La basket amoureuse aux lacets enlacés,
A su séduire aussi le pied de ma maîtresse,
Et nous partons alors pour goûter à... [+]
Je remonte les Champs Élysée sous une fraîcheur automnale qui a rendu l’air plus cristallin, comme si l’atmosphère s’était figée, en attendant les prémices de l’hiver. Quelques feuilles, roussies par le temps, virevoltent sous l’effet d’un vent léger qui fait danser ma chevelure. Elles procurent à la scène un sursaut d’insouciance, de fantaisie, dans ce monde un peu trop policé.
Devant mon ombre, les jambes d’une femme guident mes pas vers un destin que je ne connais pas, mais qui, malgré moi, ou peut-être avec moi, va certainement changer quelque chose, modifier le cours des événements qui m’ont porté jusque-là, témoin incrédule de ma propre vie, comme si elle se déroulait à mes côtés, en dehors de moi, mais en même temps tout près, comme si je n’étais que le reflet de mes sentiments, le contour de mes émotions. À l’instar du battement d’ailes d’un papillon qui provoque un ouragan en Floride, cette apparition va peut-être engendrer un tsunami dans mon existence.
Soudain, un flash ! Un arrêt sur image ! La sensation étrange d’avoir déjà vécu la scène qui se produit devant moi. La femme s’est arrêtée, a semblé hésiter, avant de se retourner pour faire demi-tour en me croisant. Son regard a plongé dans le mien, comme si elle avait désiré me capturer, ou s’emparer de mon âme.
Ai-je réellement déjà vécu cet instant ? J’en suis persuadé. Mais où ? Dans quelles circonstances ? Impossible de m’en souvenir. L’ai-je alors rêvé ? Je ne le pense pas tant il s’est imposé comme une évidence. Celle d’un passé qui revient à la surface après une trop longue immersion. J’en suis de plus en plus sûr ! La scène s’est répétée exactement telle que je l’avais vécue. Le film a été projeté une nouvelle fois devant mon regard incrédule.
Même fraîcheur de l’atmosphère. Même environnement. Mêmes visages. Mêmes effluves de feuilles mortes mélangés au gaz d’échappement. Suis-je victime d’une faille spatio-temporelle ? D’une fluctuation quantique ? Ai-je été plongé dans un univers parallèle à mon insu ? Mon esprit a-t-il quitté mon corps pour occuper le cerveau d’un autre ?
Alors que je reste toujours figé sur le trottoir, la femme a disparu depuis quelques secondes, mais son image est toujours présente, comme imprimée sur un papier carbone qui aurait été placé là, devant moi, par un avatar du destin. Je scrute la représentation mentale laissée par son souffle dans l’éther qui m’enveloppe.
Je l’ai déjà rencontrée, c’est maintenant une certitude. Soudain, un détail s’impose. Un détail minuscule, microscopique : sa broche. L’agrafe, faite d’émail et sertie de rubis, qu’elle portait au revers de son tailleur. Une épingle en forme de scarabée. L’Égypte. Carnac. Ou plutôt Assouan. J’avais acheté ce bijou dans un marché à ciel ouvert, un souk posé au bord du Nil traversé lentement par des felouques. Je l’avais choisi pour l’offrir à mon épouse qui l’avait accepté avec ce sourire qui me troublait à chaque fois ; ce sourire disparu dans un accident de voiture deux années plus tard ; ce sourire qui s’impose à moi de nouveau, comme une analepse imprimée à jamais dans ma mémoire.
Aussi je me retourne, je cherche des yeux l’apparition, scrute le boulevard jusqu’à la Concorde, avant de constater qu’elle s’est évaporée au sein de la foule compacte. Dépité, désarçonné, je reste scotché comme un figurant dans une pièce de théâtre classique. Je viens de revoir mon épouse disparue qui m’a abandonné une nouvelle fois. Alors, quelqu’un saisit mon bras, m’entraîne avec fermeté un plus loin, en me disant :
— Je t’avais pourtant interdit de sortir de notre appartement.
C’est ainsi que je rappelle soudain que je suis atteint de la maladie d’Alzheimer.
Devant mon ombre, les jambes d’une femme guident mes pas vers un destin que je ne connais pas, mais qui, malgré moi, ou peut-être avec moi, va certainement changer quelque chose, modifier le cours des événements qui m’ont porté jusque-là, témoin incrédule de ma propre vie, comme si elle se déroulait à mes côtés, en dehors de moi, mais en même temps tout près, comme si je n’étais que le reflet de mes sentiments, le contour de mes émotions. À l’instar du battement d’ailes d’un papillon qui provoque un ouragan en Floride, cette apparition va peut-être engendrer un tsunami dans mon existence.
Soudain, un flash ! Un arrêt sur image ! La sensation étrange d’avoir déjà vécu la scène qui se produit devant moi. La femme s’est arrêtée, a semblé hésiter, avant de se retourner pour faire demi-tour en me croisant. Son regard a plongé dans le mien, comme si elle avait désiré me capturer, ou s’emparer de mon âme.
Ai-je réellement déjà vécu cet instant ? J’en suis persuadé. Mais où ? Dans quelles circonstances ? Impossible de m’en souvenir. L’ai-je alors rêvé ? Je ne le pense pas tant il s’est imposé comme une évidence. Celle d’un passé qui revient à la surface après une trop longue immersion. J’en suis de plus en plus sûr ! La scène s’est répétée exactement telle que je l’avais vécue. Le film a été projeté une nouvelle fois devant mon regard incrédule.
Même fraîcheur de l’atmosphère. Même environnement. Mêmes visages. Mêmes effluves de feuilles mortes mélangés au gaz d’échappement. Suis-je victime d’une faille spatio-temporelle ? D’une fluctuation quantique ? Ai-je été plongé dans un univers parallèle à mon insu ? Mon esprit a-t-il quitté mon corps pour occuper le cerveau d’un autre ?
Alors que je reste toujours figé sur le trottoir, la femme a disparu depuis quelques secondes, mais son image est toujours présente, comme imprimée sur un papier carbone qui aurait été placé là, devant moi, par un avatar du destin. Je scrute la représentation mentale laissée par son souffle dans l’éther qui m’enveloppe.
Je l’ai déjà rencontrée, c’est maintenant une certitude. Soudain, un détail s’impose. Un détail minuscule, microscopique : sa broche. L’agrafe, faite d’émail et sertie de rubis, qu’elle portait au revers de son tailleur. Une épingle en forme de scarabée. L’Égypte. Carnac. Ou plutôt Assouan. J’avais acheté ce bijou dans un marché à ciel ouvert, un souk posé au bord du Nil traversé lentement par des felouques. Je l’avais choisi pour l’offrir à mon épouse qui l’avait accepté avec ce sourire qui me troublait à chaque fois ; ce sourire disparu dans un accident de voiture deux années plus tard ; ce sourire qui s’impose à moi de nouveau, comme une analepse imprimée à jamais dans ma mémoire.
Aussi je me retourne, je cherche des yeux l’apparition, scrute le boulevard jusqu’à la Concorde, avant de constater qu’elle s’est évaporée au sein de la foule compacte. Dépité, désarçonné, je reste scotché comme un figurant dans une pièce de théâtre classique. Je viens de revoir mon épouse disparue qui m’a abandonné une nouvelle fois. Alors, quelqu’un saisit mon bras, m’entraîne avec fermeté un plus loin, en me disant :
— Je t’avais pourtant interdit de sortir de notre appartement.
C’est ainsi que je rappelle soudain que je suis atteint de la maladie d’Alzheimer.