Angine d'été
le soleil coincé au fond
de la gorge en feu
« Voici votre chambre, je vous laisse vous installer... »
Je ne réponds pas et la porte à peine refermée, une fatigue intense m’envahit. Je renonce à défaire ma valise. Sans même jeter un regard autour de moi, je me dirige vers la fenêtre. Je reste immobile un long moment, à la fois surpris et enchanté par la vue majestueuse qui se déploie sous mes yeux...
Baigné de soleil, le massif de Chartreuse, dans un camaïeu d’or, de vert et de rouge, se détache sur un ciel d’un bleu limpide. Imposante et familière, la montagne me paraît toute proche, ce qui annonce la pluie à coup sûr. Le phénomène est dû aux minuscules gouttes d’humidité en suspension dans l’atmosphère. Elles créent un effet loupe, ce qui donne l’impression que la montagne se rapproche. Malgré le ciel lumineux, le soleil n’en a donc plus pour longtemps et, curieusement, cette perspective me réjouit.
« Rochers à portée de main, averse le lendemain ! ». Réminiscence du passé, comme un écho, la voix grave de mon grand-père résonne dans ma tête. Sa prévision se vérifiait toujours, et le bruit de la pluie sur le toit, auréolait le vieil homme d’un prestige, qui en faisait l’égal des chefs indiens qui peuplaient mes livres d’enfant.
Sainte-Marie-du-Mont, petit village niché au creux de la Chartreuse... Une santé un peu fragile me donnait le privilège d’y passer toutes mes vacances. A l’époque rien de tel que « le bon air de la montagne » pour requinquer un petit grenoblois un peu frêle et anémié. Une chance. Toute mon enfance est restée là-haut. J’étais au paradis, libre, en osmose avec mon grand-père, la nature et la montagne. Sans oublier le point d’orgue de chaque séjour : l’incontournable randonnée au col de l’Alpe.
Tout se déroulait selon un rite immuable : la veille, se coucher tôt, c’est-à-dire avec les poules, ensuite préparation du sac et départ de bon matin. Après une marche tranquille dans la forêt, on arrivait au parc du Seuil. Les choses sérieuses commençaient avec l’ascension à flanc de montagne. En contrebas, la vallée du Grésivaudan scintillait sous le soleil ou restait cachée sous la brume. Selon les saisons, on pouvait parfois deviner les méandres de l’Isère, la rivière qui partage la plaine en deux et serpente doucement vers Grenoble.
Sur le chemin étroit, le passage dit « des Balmes » m’impressionnait particulièrement, et ces énormes rochers qui surplombent le sentier sur une cinquantaine de mètres, nous avaient offerts plus d’une fois, un abri salutaire.
« Alors bonhomme, bouquetin ou chamois ? » C’était un signal entre nous, la phrase totem qui annonçait le dernier bout du chemin, le plus abrupt, le moment où il fallait s’accrocher, dans tous les sens du terme. Je chaussais mentalement les sabots de l’animal qui me paraissait le plus fort et je rassemblais toute l’énergie qu'il me restait pour attaquer la pente.
Ce dernier tronçon, raide et caillouteux, mettait à rude épreuve mes jambes de petit garçon. La transpiration coulait dans mon dos, les pierres roulaient sous mes chaussures et s’il m’arrivait de tomber, je serrais les dents. Je savais que la récompense était au bout du chemin, mais plus que tout, la peur de lire de la déception dans le regard de mon grand-père, m’interdisait de laisser échapper la moindre plainte.
Juste après ce passage, la prairie et les vaches nous accueillaient enfin. Pendant que je reprenais mon souffle, mon grand-père sortait le repas du sac. Un morceau de saucisson, du pain frais au levain, des pommes et quelques noix, un vrai festin... Face à nous, la chaîne de Belledonne et ses délicates crêtes blanches. Un jour, en les regardant, mon grand-père me dit : « Des montagnes, tu en graviras d’autres et des bien plus difficiles. N’oublie pas bonhomme, on a rien sans effort. Parfois il faut du temps, mais le plus important c’est de ne jamais renoncer. »
« Bonjour Monsieur, je viens vous installer votre perfusion. » La voix de l’infirmière me fait sursauter et m’arrache brutalement à mes souvenirs.
Un traitement de plus. Je ne les compte même plus. A chaque fois, les mêmes douleurs, le même épuisement, le même découragement...
J’hésite un instant, mon regard posé sur la valise encore fermée. L’infirmière donne des signes d’impatience, et je finis par m’allonger sur le lit. Je lui souris alors qu’elle m’explique un protocole que je connais par cœur.
Le liquide transparent s’écoule lentement dans mes veines. Mon regard reste fixé sur la fenêtre. Le soleil s’est voilé et la Chartreuse a déjà presque disparu derrière un amoncellement de nuages.
Bien sûr que je vais m’accrocher. Il me reste encore tant de sommets à atteindre...
Je ne réponds pas et la porte à peine refermée, une fatigue intense m’envahit. Je renonce à défaire ma valise. Sans même jeter un regard autour de moi, je me dirige vers la fenêtre. Je reste immobile un long moment, à la fois surpris et enchanté par la vue majestueuse qui se déploie sous mes yeux...
Baigné de soleil, le massif de Chartreuse, dans un camaïeu d’or, de vert et de rouge, se détache sur un ciel d’un bleu limpide. Imposante et familière, la montagne me paraît toute proche, ce qui annonce la pluie à coup sûr. Le phénomène est dû aux minuscules gouttes d’humidité en suspension dans l’atmosphère. Elles créent un effet loupe, ce qui donne l’impression que la montagne se rapproche. Malgré le ciel lumineux, le soleil n’en a donc plus pour longtemps et, curieusement, cette perspective me réjouit.
« Rochers à portée de main, averse le lendemain ! ». Réminiscence du passé, comme un écho, la voix grave de mon grand-père résonne dans ma tête. Sa prévision se vérifiait toujours, et le bruit de la pluie sur le toit, auréolait le vieil homme d’un prestige, qui en faisait l’égal des chefs indiens qui peuplaient mes livres d’enfant.
Sainte-Marie-du-Mont, petit village niché au creux de la Chartreuse... Une santé un peu fragile me donnait le privilège d’y passer toutes mes vacances. A l’époque rien de tel que « le bon air de la montagne » pour requinquer un petit grenoblois un peu frêle et anémié. Une chance. Toute mon enfance est restée là-haut. J’étais au paradis, libre, en osmose avec mon grand-père, la nature et la montagne. Sans oublier le point d’orgue de chaque séjour : l’incontournable randonnée au col de l’Alpe.
Tout se déroulait selon un rite immuable : la veille, se coucher tôt, c’est-à-dire avec les poules, ensuite préparation du sac et départ de bon matin. Après une marche tranquille dans la forêt, on arrivait au parc du Seuil. Les choses sérieuses commençaient avec l’ascension à flanc de montagne. En contrebas, la vallée du Grésivaudan scintillait sous le soleil ou restait cachée sous la brume. Selon les saisons, on pouvait parfois deviner les méandres de l’Isère, la rivière qui partage la plaine en deux et serpente doucement vers Grenoble.
Sur le chemin étroit, le passage dit « des Balmes » m’impressionnait particulièrement, et ces énormes rochers qui surplombent le sentier sur une cinquantaine de mètres, nous avaient offerts plus d’une fois, un abri salutaire.
« Alors bonhomme, bouquetin ou chamois ? » C’était un signal entre nous, la phrase totem qui annonçait le dernier bout du chemin, le plus abrupt, le moment où il fallait s’accrocher, dans tous les sens du terme. Je chaussais mentalement les sabots de l’animal qui me paraissait le plus fort et je rassemblais toute l’énergie qu'il me restait pour attaquer la pente.
Ce dernier tronçon, raide et caillouteux, mettait à rude épreuve mes jambes de petit garçon. La transpiration coulait dans mon dos, les pierres roulaient sous mes chaussures et s’il m’arrivait de tomber, je serrais les dents. Je savais que la récompense était au bout du chemin, mais plus que tout, la peur de lire de la déception dans le regard de mon grand-père, m’interdisait de laisser échapper la moindre plainte.
Juste après ce passage, la prairie et les vaches nous accueillaient enfin. Pendant que je reprenais mon souffle, mon grand-père sortait le repas du sac. Un morceau de saucisson, du pain frais au levain, des pommes et quelques noix, un vrai festin... Face à nous, la chaîne de Belledonne et ses délicates crêtes blanches. Un jour, en les regardant, mon grand-père me dit : « Des montagnes, tu en graviras d’autres et des bien plus difficiles. N’oublie pas bonhomme, on a rien sans effort. Parfois il faut du temps, mais le plus important c’est de ne jamais renoncer. »
« Bonjour Monsieur, je viens vous installer votre perfusion. » La voix de l’infirmière me fait sursauter et m’arrache brutalement à mes souvenirs.
Un traitement de plus. Je ne les compte même plus. A chaque fois, les mêmes douleurs, le même épuisement, le même découragement...
J’hésite un instant, mon regard posé sur la valise encore fermée. L’infirmière donne des signes d’impatience, et je finis par m’allonger sur le lit. Je lui souris alors qu’elle m’explique un protocole que je connais par cœur.
Le liquide transparent s’écoule lentement dans mes veines. Mon regard reste fixé sur la fenêtre. Le soleil s’est voilé et la Chartreuse a déjà presque disparu derrière un amoncellement de nuages.
Bien sûr que je vais m’accrocher. Il me reste encore tant de sommets à atteindre...
Azalée ma balade entre deux mondes au bord de l'eau est en finale et a besoin de votre soutien