Enquête de naissance

Recommandé

Pourquoi on a aimé ?

Une enquête bien ficelée et bourrée d'humour, menée par une petite fille qui n'est pas là pour rigoler ! Un personnage haut en couleur, dont les

Lire la suite

Auteur de best-sellers qui n'ont pas encore été vendus. • Roman ► "À Travers" • Instagram ► "On perd pas le sud"

Cette œuvre est
à retrouver dans nos collections


Nouvelles :
  • Littérature générale
Collections thématiques :
  • Humour - Tout public
  • Nouvelles à chute
  • Personnages féminins
  • Relation de famille

Le deuxième crime serait commis dimanche, à la clinique des Beaux-Prés.
Et si je voulais l'éviter, il fallait d'abord que j'enquête sur le premier ; vicieux, cruel, ignoble, odieux, infâme, ayant eu lieu quelques neuf mois plus tôt : la conception de mon petit frère.

J'étais déjà une grande fille à l'époque, nous venions de célébrer mes huit ans ; je savais donc que les garçons – malgré leur odeur de cageot oublié dans un grenier – ne sortaient pas des choux. J'avais saisi le concept de la graine, et, globalement, l'idée de la nudité nécessaire à deux êtres de sexes opposés, pour en venir à ce point de non-retour.
Et c'était justement là la première intrigue. Ma mère ; oui, il s'agissait encore de MA mère, et il s'en agirait ainsi pour l'éternité, peu importe le nombre de petits frères que la fatalité m'imposerait ; ma mère, donc, avait quitté mon père depuis si longtemps que si je devais vous en dresser aujourd'hui un portrait robot, celui-ci ressemblerait sans doute à Monsieur Patate, tant les souvenirs me manquent à son propos.
Le futur imposteur et moi n'étions pas issus de la même graine, et c'était là un soulagement. Mais il avait pourtant pris possession de ma première cabane : le ventre de Maman. Un pareil larcin était inacceptable. Je pouvais l'observer, chaque jour, s'y mettre à l'aise, écarter les murs, déformer le nombril porteur, déplacer tout à l'intérieur pour refaire la décoration à son – mauvais – goût. Il ne se cachait nullement, comme pour indiquer qu'il faudrait plus qu'une escouade de CRS pour le déloger de son squat.

Si je pouvais découvrir qui l'avait fait entrer, j'avais un espoir : le jour du deuxième crime, je saisirais le bébé, le jetterais dans mon cartable, puis devant la porte de son complice.
Je laisserais un post-it jaune, sur un front rose :

« Veuillez récupérer votre dû. Ne cherchez pas à me retrouver, ou je serais forcée de dénoncer vos méfaits à la police. »

Alors qui était ce complice ?
Mon enquête se concentrait sur trois suspects.

Tout d'abord, monsieur Marteau. Celui-ci portait son nom sans rapport, puisqu'il était charcutier. J'avais noté (au figuré, et au propre, sur mon carnet à spirales) les regards qu'il jetait chaque samedi à ma mère en la fournissant fourbement en faux-filets. Mais il avait pour alibi un strabisme trompeur. Monsieur Marteau eût bien pu viser notre voisine Justine, ou encore un cochon de lait en vitrine, tant ses yeux partaient dans des directions diverses. Tout était divers chez lui, comme l'odeur de poisson qui se dégageait parfois de son commerce.
Quelque chose en moi, d'une étrange nature indulgente, espérait tout de même qu'il ne s'agisse là du coupable. Les yeux de Maman étaient d'un vert si printanier qu'il eût été criminel de les croiser en pâture avec ce regard bovin.
Je présumais également qu'une fois le bébé et le post-it déposés devant sa porte, il ne remarquât ni le rose ni le jaune, et marchât simplement devant lui, transformant la semelle de ses chaussures en steak tartare.

Venait ensuite monsieur Famoso. Là encore, monsieur Famoso portait mal son patronyme.
Je ne savais rien des charmes qu'il possédait en son Italie natale, mais il ne disposait ici, que d'un attrait médiocre. La rue était son royaume de pacotille. Il s'y pavanait chaque matin, à dos d'une monture à selle jaune, tirant fièrement la bride et la nouvelle devant chaque perron : monsieur Famoso était facteur, et délivrait les colis à bicyclette.
Dès qu'un paquet était adressé à ma mère, il sonnait d'une mélodie guillerette, à la tonalité des courbettes vocales qu'il tenait une fois la porte ouverte. Tout ce qui sortait de sa bouche était démoralisant de banalité séductrice. Postée derrière la jambe maternelle, je me retenais farouchement de lui en faire la remarque, mais lui adressais mon plus mauvais regard pour le dissuader de revenir le lendemain, peu importe qu'il tînt entre les mains une missive de la reine même d'Angleterre.
Je croisais là encore quelques doigts, pour éviter sa culpabilité. Maman avait l'esprit si remarquable qu'il eût été sacrilège de le croiser avec une intelligence de bas front.
Je doutais même que le facteur fût capable de comprendre, le moment venu, le message laissé sur le seuil de sa porte – qui ne serait d'ailleurs, pour lui, rien d'autre que son lieu de travail.

Il nous restait enfin monsieur Malandrin. Monsieur Malandrin portait bien son nom.
Directeur de mon école primaire, il avait fait de cet établissement – et je pèse mes mots – un enfer carcéral. Les témoignages sur ses malfaisances étaient si nombreux dans le préau, qu'on eût pu le confondre cent fois ; pour peu qu'il ait existé dans l'enceinte scolaire cet espoir lumineux et républicain que l'on nomme : justice.
Non content d'anéantir toute soif d'avenir de la maternelle aux cours élémentaires, monsieur Malandrin sévissait en outre auprès des parentes ; et surtout ma mère, qu'il s'évertuait à convoquer pour des raisons obscures, comme un zéro en mathématiques, ou une altercation avec cette saleté de Mathilde, qui avait feutré ma trousse neuve, et méritait bien que je lui donnasse la leçon, d'une gifle retenue depuis trop longtemps.
Je priais, j'implorais, je suppliais pour que monsieur Malandrin n'eût jamais dépassé avec Maman l'éloignement minimal que la justice de ce pays devrait lui imposer pour l'ensemble de la gent féminine.
Et si, par malheur, il fut reconnu coupable, je me voyais même hésitante à déposer un couffin devant son domicile, que j'imaginais semblable au château de Dracula.

Mon enquête piétinait. Je n'avais rien dans mon dossier, pas l'ombre d'une preuve tangible, à présenter à ma mère avant le jour J – qui arrivait à grands pas.
Le comble de ma solitude se produisit lorsque, noyée dans un fond de grenadine, je fus invitée à peindre la future chambre de l'escroc. Maman chantait, embrassait mes boucles blondes tout en roulant de la peinture au kilomètre. Sa candeur crevait le cœur. Nos derniers instants de complicité s'écoulaient sous mes yeux. Dimanche sonnerait le glas de notre tandem.
C'était par césarienne que l'imposteur avait décidé de faire intrusion dans notre vie. On pouvait lui reconnaître un goût du spectacle à son image : du sang et des lames.

Et, aussi sûrement qu'une hache de bourreau sur le billot : dimanche tomba.
Je me résignai à abattre ma dernière carte : Maman affairée à préparer sa valise, je réquisitionnai son portefeuille.
Enfin, la chance me sourit ! Là, derrière un photomaton familial, se trouvait une carte d'un magasin de sushis, avec, au stylo bleu, un téléphone, et, au rouge, les lèvres de ma mère. Je tenais mon pêcheur dans les filets !
Je tentais d'approcher l'appareil pour passer le coup de fil qui nous dévoilerait le pot aux roses, mais Maman enchaînait les appels, surexcitée qu'elle était, devant l'imminent accident.

Battue, abattue, je me rendais à la clinique, la tête prête pour la sentence.
Alors que Maman était au bloc, notre voisine Justine, qui avait la gentillesse de m'accompagner, tentait de me remonter le moral, sans grand succès.
Le médecin vint nous annoncer la sanction. Je rampais dans le couloir de la mort, lorsqu'une étincelle jaillit dans mon esprit : j'avais, en ma possession, le sac de ma mère, et à l'intérieur : son portable.
Il ne me restait que très peu de temps : je me concentrai, lâchai la main de Justine – qui avait une désagréable odeur de poisson – et tapai le numéro trouvé la veille, à l'instant exact où nous entrions dans la chambre.

J'ai, encore aujourd'hui, du mal à me rappeler quelle fut la première chose que je remarquai. 
Fut-ce la mine exaltée de Maman, dont le soleil caressait les épaules nues ?
Fut-ce le petit frère – moins hideux qu'imaginé – qu'elle tenait en ses bras ?
Ou bien fut-ce Justine, qui décrochait son téléphone pour répondre à un numéro connu, avant d'embrasser ma mère... sur les lèvres ?

Ce jour fut en tout cas le dernier d'une courte carrière d'enquêtrice, et le premier d'une nouvelle, et je l'espère, longue carrière de grande sœur.

© Short Édition - Toute reproduction interdite sans autorisation

Recommandé

Pourquoi on a aimé ?

Une enquête bien ficelée et bourrée d'humour, menée par une petite fille qui n'est pas là pour rigoler ! Un personnage haut en couleur, dont les

Lire la suite