Je me souviens que les tremblements de la rame neuve provoquaient des petits frottements du col amidonné de ma chemise contre mon cou. Le col était tout raide, comme moi. J’étais coincé dans mon... [+]
Fin mai. L’air était doux, chaud et appétissant. Comme chaque jeudi, Jacques franchit le porche de sa luxueuse demeure. Élégant, il avançait sous les arcades dans un costume trois pièces, taillé sur mesure chez Arnys. Le gilet sombre enserrait habilement sa ferme bedaine. L’homme se dirigeait d’un pas lent mais appuyé vers son club de poker. Au passage, il jeta un regard sur la jeunesse qui sirotait et babillait en terrasse. Les volutes ondoyantes de son cigare s’envolaient et les vapoteurs biberonnaient.
Dans leur salon, au style victorien, Hélène, sa femme, tira d’un coup sec les lourds rideaux bordeaux. La lumière printanière qui osait encore s’infiltrer menaçait le décor théâtral au parfum XIXème que la rousse altière affectionnait tant. Hélène vérifia une dernière fois la bonne tenue de sa robe blanche en guipure de coton. Elle enfila une manchette en corne ornée d’un rubis ovale. Son portrait, signé Karl Lagerfeld, surmonté d’un aigle doré, trônait au-dessus de la cheminée ancienne en marbre de Carrare.
Pour accueillir ses amis qui allaient prendre place dans les fauteuils en cuir vieilli, elle n’avait rien négligé : coupes de vin, fruits confits, service à thé sur une nappe amidonnée tombant jusqu’au sol.
Cette salope était pétée de thunes.
Hélène animait chez elle la soirée poésie hebdomadaire mais ce soir-là, elle était un peu fébrile. Un nouveau membre, édité chez Apudpo et Zie – deux cents recueils vendus à ce jour –, devait intégrer le petit groupe.
— Bonjour Ambroisine, mon amie, ma douce amie, midi, minuit, toujours là sur les heures d’or pur. Comment allez-vous ? Prenez place.
Deux bises où les joues s’effleuraient à peine. Des amies de trente ans.
— Bonjour Pétronille, muse du sonnet, sonne, sonne, mignonne. Comment allez-vous ? Prenez place.
Deux bises où les joues s’effleuraient à peine. Des amies de trente ans.
— Bonjour Eulalie, princesse aux doux rêves, Ève lève-toi et ne prends pas la pomme. Comment allez-vous ? Prenez place.
Deux bises où les joues s’effleuraient à peine. Des amies de trente ans.
Puis, entra le Poète. L’homme portait beau. Il avait fière allure. Sa moustache molle et touffue chatouilla en un baise-main délicat la dame de céans. Ses yeux sombres entrèrent au plus profond de l’âme d’Hélène. Sur le champ, une pluie de roses rouges s’abattit sur leurs deux coeurs vibrant au tempo d’un instant suspendu.
— Hector de Saint-Nectaire, me semble-t-il ? Ravie de faire votre connaissance. Prenez place.
Tout était parfait.
— Ce soir, dans mon panier de mots (elle sortit un panier), je veux nous faire cheminer sur des sentiers follement romantiques. Empruntons les dédales du passé, mes amis, et remontons ensemble doucement le temps. J’ouvre votre appétit avec mon cher Cyrano : Je t’aime, je suis fou, je n’en peux plus, c’est trop. Qu’en dites-vous, Ambroisine ?
La garce refilait la patate chaude à sa pote.
Ambroisine embraya et balbutia comme une bonne élève, se la jouant Roxane :
— Oui, c’est bien de l’amour...
— Sublimons, sublimons, poursuivit Pétronille qui reniflait la fragrance dans l’espace où fleurissait une passion jaillissante, perturbant les odeurs littéraires habituelles.
Hector prit la main. En quelque sorte, le professionnel, c’était lui.
— Mesdames, voici pour chacune mon dernier recueil Il était une fois moi mais c’est d’Apollinaire que je vous entretiendrai ce soir. Si vous le permettez, nous allons épiphorer. Mon très cher petit Lou, je t’aime. Ma chère petite étoile palpitante je t’aime. À vous.
— Mon petit lapin de la lune à Pampelune, je t’aime, s’empressa Eulalie qui ne voulait pas être en reste.
L’épiphore passa de bouche en bouche comme dans un verre à qiddoush. Il était temps de conclure. Hélène donna congé après les dégustations d’usage mais retint le bel Hector en otage.
La cochonne avait le feu au cul.
Et alors ?
Hector de Saint-Nectaire, de son vrai nom Jean-Luc Vilain, l’empoigna.
Et alors ?
Il la troussa.
Et alors ?
Jacques est arrivé, sans se presser...
Ben, mes p’tits amis.
Dans leur salon, au style victorien, Hélène, sa femme, tira d’un coup sec les lourds rideaux bordeaux. La lumière printanière qui osait encore s’infiltrer menaçait le décor théâtral au parfum XIXème que la rousse altière affectionnait tant. Hélène vérifia une dernière fois la bonne tenue de sa robe blanche en guipure de coton. Elle enfila une manchette en corne ornée d’un rubis ovale. Son portrait, signé Karl Lagerfeld, surmonté d’un aigle doré, trônait au-dessus de la cheminée ancienne en marbre de Carrare.
Pour accueillir ses amis qui allaient prendre place dans les fauteuils en cuir vieilli, elle n’avait rien négligé : coupes de vin, fruits confits, service à thé sur une nappe amidonnée tombant jusqu’au sol.
Cette salope était pétée de thunes.
Hélène animait chez elle la soirée poésie hebdomadaire mais ce soir-là, elle était un peu fébrile. Un nouveau membre, édité chez Apudpo et Zie – deux cents recueils vendus à ce jour –, devait intégrer le petit groupe.
— Bonjour Ambroisine, mon amie, ma douce amie, midi, minuit, toujours là sur les heures d’or pur. Comment allez-vous ? Prenez place.
Deux bises où les joues s’effleuraient à peine. Des amies de trente ans.
— Bonjour Pétronille, muse du sonnet, sonne, sonne, mignonne. Comment allez-vous ? Prenez place.
Deux bises où les joues s’effleuraient à peine. Des amies de trente ans.
— Bonjour Eulalie, princesse aux doux rêves, Ève lève-toi et ne prends pas la pomme. Comment allez-vous ? Prenez place.
Deux bises où les joues s’effleuraient à peine. Des amies de trente ans.
Puis, entra le Poète. L’homme portait beau. Il avait fière allure. Sa moustache molle et touffue chatouilla en un baise-main délicat la dame de céans. Ses yeux sombres entrèrent au plus profond de l’âme d’Hélène. Sur le champ, une pluie de roses rouges s’abattit sur leurs deux coeurs vibrant au tempo d’un instant suspendu.
— Hector de Saint-Nectaire, me semble-t-il ? Ravie de faire votre connaissance. Prenez place.
Tout était parfait.
— Ce soir, dans mon panier de mots (elle sortit un panier), je veux nous faire cheminer sur des sentiers follement romantiques. Empruntons les dédales du passé, mes amis, et remontons ensemble doucement le temps. J’ouvre votre appétit avec mon cher Cyrano : Je t’aime, je suis fou, je n’en peux plus, c’est trop. Qu’en dites-vous, Ambroisine ?
La garce refilait la patate chaude à sa pote.
Ambroisine embraya et balbutia comme une bonne élève, se la jouant Roxane :
— Oui, c’est bien de l’amour...
— Sublimons, sublimons, poursuivit Pétronille qui reniflait la fragrance dans l’espace où fleurissait une passion jaillissante, perturbant les odeurs littéraires habituelles.
Hector prit la main. En quelque sorte, le professionnel, c’était lui.
— Mesdames, voici pour chacune mon dernier recueil Il était une fois moi mais c’est d’Apollinaire que je vous entretiendrai ce soir. Si vous le permettez, nous allons épiphorer. Mon très cher petit Lou, je t’aime. Ma chère petite étoile palpitante je t’aime. À vous.
— Mon petit lapin de la lune à Pampelune, je t’aime, s’empressa Eulalie qui ne voulait pas être en reste.
L’épiphore passa de bouche en bouche comme dans un verre à qiddoush. Il était temps de conclure. Hélène donna congé après les dégustations d’usage mais retint le bel Hector en otage.
La cochonne avait le feu au cul.
Et alors ?
Hector de Saint-Nectaire, de son vrai nom Jean-Luc Vilain, l’empoigna.
Et alors ?
Il la troussa.
Et alors ?
Jacques est arrivé, sans se presser...
Ben, mes p’tits amis.
Rien ne vaut une partie de jambe en l'air.
Pour Hector-Luc, c'est certainement trop tard, mais... Je pense qu'il faudrait demander son avis à Pétro : je verrais bien, pour étoffer l'ambiance de ce texte, une musique comme celle-ci :
https://www.youtube.com/watch?v=Z3_HTGdLXL4
(Si je la trouve dans les commentaires ci-dessous, je le lui demande ? Permission accordée ? Très bien, je pars à sa recherche !)
Vous ne trouvez pas qu'une musique devrait accompagner ce texte on ne peut plus foutraquement hectorfantesque ?
Celle-ci :
https://www.youtube.com/watch?v=Z3_HTGdLXL4
???