En une nuit

Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés? Peut être le deux; pourtant dans mes ténèbres, je peux voir cette lumière étincelante qui m'appelle au loin tel un chant d'oiseau dans un matin ensoleillé; comment était-ce possible? Ou plutôt comment en étais-je arrivée là? Je vais vous le dire. Je me nomme Yulia Yilmaz, oui, Yilmaz est mon nom de famille, un substantif noyé dans un océan de sept milliards d'autres, une dénomination désignant un humain du genre féminin : une fille, une femme, une soeur ou encore une mère; mais qu'est-ce qu'un nom peut bien signifier? C'est simple, c'est un mot avec lequel vos parents vous ont désigné pour la première fois en vous regardant dans les yeux. Chaque nom a une définition et cette définition, c'est nous et notre vécu. Retenez-le derrière chaque identité se cache une histoire.
Toute ma vie, j'ai essayé d'être à la hauteur de ce que représentait mon nom, car la société exigeait de moi, étant la digne fille de Katherine Yilmaz, une styliste de renom et d'Omar Yilmaz, grand homme d'affaire à la tête d'une grande multinationale, homme admiré et respecté de tous, d'être l'incarnation même de la perfection; hélas, la nature en avait décidé autrement, je n'ai jamais été conforme aux critères de mon rang, au plus grand désarroi de ma mère. Dotée dune grande beauté avec sa taille fine et son visage angélique aux traits bien dessinés, elle ne pouvait s'imaginer une progéniture aussi fade, il était vrai que comparer à ma mère je n'avais rien d'attrayant, en plus d'être en surpoids, j'avais un visage tout rond auréolé des joues joufflues qui me valut d'ailleurs le surnom de "bouleboule" en primaire. En y pensant, elle n'a jamais su accepter le fait que je ne lui ressemblais pas alors elle a tout essayé, ne fût-ce que pour sauver la mise, me faisant passer toute sorte des régimes, cétait presqu'obsessionnel, cela ma privé de mon enfance et je ne pouvais que subir; je me laissais donc entraîner dans ses folies pourvu que je me débarrasse de ce problème, l'échec n'était pas permis. C'est ainsi que dans une ultime tentative d'essai désespéré, ma mère pensa que je devais intégrer la sororité dont elle fut membre, une des meilleures de la prestigieuse université où jetais acceptée, ce même club où tous les membres étaient issus de l'élite du pays, des petites princesses à l'apparence d'ange et au caractère de diablesse. Je devais à tout prix me faire une place dans ce monde. Je n'avais plus droit à l'erreur, mon avenir en dépendait, je devais le faire et tous les moyens étaient nécessaires pour y arriver. Je savais que je n'avais rien d'anormal, que les gens naissent différents et que la réelle valeur d'un homme se trouve dans son intérieur, mais dans le milieu où j'ai grandi, on m'a toujours fait comprendre que l'image prévalait sur toute autre chose, ne donner à personne l'occasion de vous calomnier, était la règle d'or, dominer ou se faire dominer, tout était question de pouvoir et d'avoir. J'entrai donc dans cette sororité avec la ferme intention d'être acceptée bien que je n'avais le profil requis; être une Yilmaz avait ses avantages, surtout que ma mère était un ancien membre émérite du club, ce qui faisait de moi une privilégiée; c'est ainsi que je fis la rencontre de Jessica Kavelo et ses deux acolytes Gennep Ukoy et Helena Inow, ces trois demoiselles aux allures des tops models sortis tout droit d'un magazine, dirigeaient ce club d'une main de maître avec une suprématie incontestée; étant des manipulatrices nées, elles savaient obtenir ce quelles voulaient, d'ailleurs toutes les filles ici étaient taillés à la même image et je devais le devenir aussi, peu importe le prix, mais je n'étais pas dupe dès le premier instant, j'ai su que je n'étais pas la bienvenue, à voir leurs iris me détaillant de chaque côté, je n'étais tout simplement pas dans le standard de la maison; je n'étais là que grâce à mes parents. Chaque année, on procédait à un recrutement, une sélection tout aussi excentrique où le snobisme et la prétention étaient des maîtres mots. Etant une "pur-sang", j'en étais exemptée, cette nouvelle me réconforta; je ne pouvais supporter leurs remarques acerbes; néanmoins, je devais assister à la traditionnelle soirée qu'organisait la maison pour acceuillir les nouvelles et ainsi nous socialiser avec nos consoeurs mais tout le monde savait qu'en réalité ce n'était qu'une partie de bizutage où les pires folies étaient autorisées montrant une fois de plus la perfidie de l'homme. Je savais rien quà voir leurs regards vicieux posés sur moi que je n’allais pas être louper. Le soir venu, à bord d'une limousine, je faisais mon entrée. Musique assourdissante, alcool coulant à flot, j'assistais à ma première soirée d'étudiant, et quoi qu'angoisser, j'étais tout de même exciter à l'idée de vivre la toute première party de ma vie parce que même au lycée, je n'avais pas d'amis du coup ce genre des soirées m'était inaccessible, je collais pas au décor; alors d'habitude, j'étais mise à l'écart, on m'ignorait ou se moquait, à défaut de me faire la misère comme "je le méritais" , disaient-ils, sûrement protéger par mon nom, le seul atout que j'avais; bon, je faisais aussi leurs devoirs quand ils me le demandaient "gentiment", mais ça, ça comptait pas. Ce soir là, je devais leur prouver que je pouvais être comme eux. Tout était mis à disposition pour y arriver, de ma robe rouge colle au corps choisie par le soin de ma mère aux escarpins à talons vertigineux qui ressemblaient plus à des instruments de torture, en passant par ma tignasse indomptable qui parraisait moins sauvage, tout était passé au peigne fin. A l'intérieur, je fus accueillie par Jessica et compagnie, toute magnifiquement vêtue, munis de leurs faux sourires et leurs regards hautains, elles me détaillèrent d'abord puis me conduisirent au bar pour mon tout premier shot, la soirée ne faisait que commencer, je devais me mettre dans le bain, je le bus cul sec; en ce moment là, je savais pas où tout ça aller me mener, je crois même que je m'en fichais, tout ce que je voulais, c'était m'intégrer; je voulais au moins que l'on m'estime à défaut de m'aimer; avoir une chance de lire de la fierté dans le regard de mes parents. Alors, je me laissa emporter dans leurs jeux sordides, enchaînant des shots, je prenais tout ce qu'ils me présentaient; tout le monde s'était rassemblé pour me voir jouer le clown de la soirée, riant à s'étrangler les cordes; puis l'un deux intima un nouveau jeu toute suite approuvé par les autres, la règle était simple, répondre à la question et à chaque échec, je perdais un de mes vêtements, vite, je me retrouvais en sous-vêtement au regard de tous, c'était le but depuis le début, cette soirée n'était qu'une machination orchestrée dans le but de m'humilier mais je ne pouvais m'arrêter, mon esprit déraillé par l'alcool entre autre, n'avait plus aucun contacte avec la réalité, je m'écroula au sol d'un coup; quelqu'un m'emmena à l'une des chambres à l'étage, il me déposa et s'en alla aussitôt sans un regard, sûrement en avaient-ils marre de ce spectacle écoeurant. J'étais dans un état de semi-conscience. Soudain, je me sentis observer, je tentai de me relever malgré que j'avais l'impression de péser des tonnes, ma tête tournait, était-ce une ombre? Ou peut-être, mon esprit me jouait-il de tour? J'essayais de dire quelque chose mais j'avais la bouche pâteuse, je tentai à nouveau de me relever, j'y arrivai par je ne sais quel miracle; en titubant, j'essayais de faire un pas puis d'un coup, "crac!", un silence assourdissant, je me sentis partir mais ce n'était à cause de l'alcool, non, j'avais reçu un coup à la tête, était-ce un rêve? Je ne savais pas, je ne ressentais plus de douleur, ni dans mon corps ni dans mon âme, j'étais dans le noir mais je voyais la lumière, était-ce la fin? Ça n'avait aucune importance parce que j'étais libre, je n'étais plus personne.
En une nuit, tout avait basculé; en bien ou en mal, ce n'était qu'une question de point de vue.