En mal d'humanisme

Recule, si nécessaire Mais n'abandonne pas. N'abandonne jamais.

« Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux. » Un être au fond du trou pourrait ainsi se plaindre ; oubliant que le Ciel jamais ne tombera. J’aimerais vous conter l’histoire d’un bonhomme, du nom de Safairien, qui m’a rendu humain. Je n’aimais pas vraiment, je blâmais tout le monde, je ne regrettais rien, je ne pensais qu’à moi.

Un jour que j’allais sur le pré dans mon village, je vis un jeune enfant, damné par l’entourage. Couché dans la prairie, chantant un hymne divin, il avait sous ses yeux un gros livre de grammairien. Je m’approchai de lui, pour m’enquérir de lui, pour comprendre la raison pure de sa méditation. C’est alors que je sus, oh !, que cet enfant était un orphelin, rejeté par les siens. Il perdit père et mère pendant une guerre atroce ; sa tante le recueillit pour s’occuper de lui. Mais la vie chez sa tante – zut – ne faisant point sa joie, il souffrait dans sa chair, il souffrait dans son âme ! Un enfant de cet âge, pourquoi trop l’occuper ? A cet âge de sept ans, est-on déjà conscient ? L’enfant ne dormait pas, il travaillait le jour, il travaillait la nuit, travaillant tout le temps. Les enfants de son âge allaient tous à l’école. Ils avaient tous pour rêve de se réaliser. Safairien quant à lui, il ne pouvait rêver, il ne pouvait s’instruire, il souffrait dans son être. Un homme de l’entourage un jour s’enquit de lui ; imaginant sa peine, il voulut l’adopter. Mais la tante refusa, pis commettra un gueux pour décapiter cet homme, qui plaignait Safairien. La mort de cet altruiste fit la joie des commères. Ils y trouvaient raisons pour haïr Safairien. Ils racontaient partout, que l’enfant était sorcier, qu’il avait mangé son père, qu’il avait croqué sa mère. La vie donc de l’enfant devint toute la mer à boire. Sa tante le tourmentant, et les autres s’en moquant. Il essuyait la haine, éprouvait du dépit, et n’ayant point d’onction, il quitta l’entourage. C’est ainsi qu’il alla – à l’insu de sa tantie, – un soir se réfugier loin là-bas dans la prairie. Cet enfant ne mangeait, il ne buvait non plus, il voulut en finir là pour réduire ses douleurs. Il était devenu efflanqué telle la brindille. Il n’avait que sa tête, qui point ne maigrissait. Au bout de quelques jours, au gré de la prairie, il reçut la visite d’un élève du village. Ce dernier s’y rendait pour bosser dans le calme ; il tenait dans son sac un bon livre de grammairien. Frappé de compassion, voyant sa condition, il lui prêta ce livre, puis lui donna des cours. Après cette rare visite, l’enfant eut du recul. Il se disait peut-être que Dieu veut l’en délivrer. Alors pris de courage, avec sa voix d’archange, il se mit à chanter, pour louer l’Eternel :
« Dieu aime ses enfants, il les délivre de leurs souffrances. Dieu aime ses enfants, il les délivre de leurs souffrances. Quand tu n’as plus d’espoir, abandonné et méprisé, crois et sois confiant, Dieu pourvoira à tous tes besoins. Quand tu n’as plus d’espoir, abandonné et méprisé, crois et sois confiant, Dieu pourvoira à tous tes besoins. »

C’est ainsi qu’y passant, je l’entendis chanter. Le chant qu’il fredonnait – oh ! – me fit tant réfléchir. Alors pris d’empathie, je m’approchai de lui, m’enquis de son vécu puis le recueillis chez moi... C’est une loi d’humanité que de plaindre les affligés. Parfois au fond du trou, on se dit : « c’est fini » ; qu’on est plein dans le noir, qu’on ne verra plus rien. Soyons humanistes : ça ferait du bien.