Du rêve au cauchemar

Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux. Je ne m’en souviens pas. M’avait-il envoyé un SMS pour me demander de venir chez  lui ou m’avait-il appelée ? Je ne me rappelle rien. Ce qui importait est que j’étais chez lui et nous étions seuls. J’allais à la véranda pour prendre un bol d’air pur quand il me rejoignit pour apprécier la beauté du paysage.  Il attrapa mes mains… J’étais étonnée mais ne réagissais pas. Je gardais mon sang-froid en m’appuyant sur le garde-fou. Je savais pourtant que c’était perdu d’avance. Voulant s’amuser avec moi, il me pinça le nez. Et voilà que je sentis une vague de chaleur monter en moi. L’air frais n’eut aucun effet sur moi et mes joues étaient peut-être en train de rougir.

Je me sentis gênée. Voyant ma réaction, il enleva mes mains de la rambarde. Il tint ma tête et dirigea ma face vers lui. Il me fixa des yeux. Je restais silencieuse. Je ne savais quoi dire. Je n’avais plus la force pour articuler un mot, encore moins pour quitter cet endroit, pour m’éloigner de lui. L’instant suivant, il tenta de me donner un baiser, mais je l’esquivai. Je ne me sentais pas prête, je ne m’y attendais pas. Je ne m’y étais pas préparée. S’ensuivit un silence embarrassant. Je dirigeai à nouveau mes yeux vers le paysage. Je n’avais pas trop l’intention d’apprécier la beauté de la nature, ce n’était qu’un prétexte pour  éviter de lui faire face.

Je me demandais ce qui me prit à cet instant. En effet, contre toute attente, je me tournai vers lui, attrapai son visage et mes lèvres cherchèrent les siennes… malgré moi. Le battement de mon cœur s’accéléra. Cela faisait un bail que  je n’eus pas l’occasion de vivre ce moment agréable. Il me tenait dans ses bras, les yeux dans les yeux. On souriait. Puis, il brisa le silence :

— Dis à tes parents que …

— Que nous allons nous marier ? lui ai-je demandé de manière infantile sans lui laisser finir sa phrase.

— Je suis heureux de t’avoir à mes côtés, disait-il en me serrant fort dans ses bras.

J’ai posé la tête contre sa poitrine.

— Comme c’est agréable d’être à tes cotés.

 

Il me conduisit au salon sans lâcher mes mains. Et sous le rythme d’un music slow très romantique, nous dansions ensemble. Ces minutes m’étaient précieuses. A vrai dire, aussi étrange que cela puisse paraître, j’avais l’impression d’être le personnage d’un roman à l’eau de rose. Cependant, il fallait que je rentre chez moi. Il me raccompagna.

Le lendemain, on s’était rencontrés à l’Université. En sa présence, mon cœur battait très fort. C’était comme si cet instrument qui assurait une activité vitale à l’intérieur de moi voulait sortir de ma poitrine. Et sans crier gare, la personne qui provoquait cette sensation bizarre en moi, m’approcha et osa m’embrasser devant tout le monde. Certes, je manquais d’audace, mais cela ne m’avait posé aucun problème.

 

Notre cours était prévu à 8 heures mais le prof s’absentait. Or, c’était le seul cours programmé pour cette journée. Les étudiants commencèrent alors à partir. Quant à nous, nous passions tous les deux notre temps à l’esplanade d’Ankatso, juste près du bassin. Nous nous amusions à regarder les poissons nager sans prendre en compte notre présence.

 

Les passants nous voyaient peut-être comme deux amoureux qui passaient leur temps à flirter sans se soucier de l’avenir. Avions-nous des préjugés sur ces « spectateurs » à partir de leur simple regard ? Quoi qu’il en était, nous décidâmes de monter sur la colline où se trouvait l’inscription « Université d’Antananarivo ». Nous nous prenions en photo, nous nous baladions et nous nous amusions. Après ce « rencard réussi », nous nous résolûmes à rentrer. Il m’accompagna jusqu’à l’arrêt de bus. Un moment romantique difficile à oublier… Au moment où je devais partir, nous nous câlinâmes  pendant quelques minutes.

Un an plus tard, nous nous résolûmes à nous marier. Inquiets, mes parents avaient demandé de s’entretenir avec nous afin de s’assurer que nous étions vraiment prêts à nous marier.

— Nofy ! Tu n’as que 20 ans. Te sens-tu vraiment prête à te marier ?

— Je suis prête, Maman. Je l’aime beaucoup.  

Strict comme il était, mon père restait sceptique.

— Jeune homme, ne comptes-tu pas faire souffrir ma fille ? Peut-être que tu te précipites et puis tu vas l’humilier.

— Jamais, avait rétorqué mon amour. Je l’aime et je ne ferais jamais une chose pareille. Je n’ai pas l’intention de vous humilier, ni Nofy ni vous, ses parents. Je vais la rendre heureuse et l’honorer.

 

Chez nous, c’était un honneur pour les femmes  de célébrer le mariage à l’Eglise.

Combien de jeunes filles étaient-elles tombées dans la tentation ? Après avoir commis l’irréparable, elles tentaient à tout prix de maintenir leur amant, quitte à déshonorer leur famille et leur propre corps. Enfin, elles comptaient au moins légaliser à la mairie leur union avec les supposés « hommes de leur vie », tout en écartant l’idée du mariage religieux avec plein d’invités.

— Lala, je suis heureuse d’être à tes côtés pour toujours.

— Nofy ! Moi aussi, je me sens chanceux.

— Mon cœur, ceux qui sont destinés à être ensemble doivent s’unir, même contre vents et marées.

— Comment ? A quoi fais-tu allusion ?

— Mmmmh, soupirais-je, ne nous étions-nous pas déjà séparés ? A cause des autres … Mais l’amour a vaincu : j’ai gardé le mien et tu as préservé le tien.

— Oui, mon ange. Et il m’a embrassée.

Le Samedi suivant le mariage civil, nous nous rendîmes à l’église pour témoigner devant Dieu du défi que nous avions pu relever, et pour demander sa bénédiction pour notre vie future… notre vie conjugale. Je me sentais chanceuse ! Mon prince charmant était devenu mon mari, l’homme que j’aimais et qui m’appréciait autant. Rêve ! Un rêve qui devenait  réalité, un vœu exaucé.
Jour J ! Combien de jeunes filles avaient-elles tant attendu ce moment ? Combien avaient goûté cet instant sans remords ? Cette voile, plus qu’un simple accessoire de mode, démontrait que j’étais parvenue à tenir ma promesse d’enfance. Elle reflétait ma pureté…

 

Oui ! « Mon » innocence face aux péchés de jeunesse. Mais qu’en advenait-il pour lui ?

Le Prêtre lui posa la question…

— Monsieur RA…Lala, acceptes-tu de prendre Rahary Nofy comme épouse ?

Contre toute attente, une femme accompagnée d’un enfant d’à peine 2 ans s’introduisit dans l’Eglise et s’écria devant tout le monde.

— Espèce de canaille ! Maudit sois-tu ! Te fous-tu de cet enfant ? Préfères-tu te marier avec une autre, et ton fils, qui va-t-il appeler « Papa »   ? 

Mon Dieu, mais qu’est-ce que tout cela ? Je étais humiliée devant tout le monde ! Je ne m’attendais pas à tout ceci ! Mon rêve virait au cauchemar ! L’homme que je désignais mon âme sœur n’allait pas soulever ma voile ! Nous n’échangerions pas les alliances et il ne m’embrasserait pas devant l’autel !

Je n’avais pas réussi. J’étais vaincue. C’était plus fort que moi. Pourquoi tout cela m’arrivait-il ? Et pourquoi cela n’était-il arrivé qu’à moi ? Pourquoi ce jour-là ? Je n’en pouvais plus. Je me recroquevillai devant l’autel, laissant mes larmes mouiller ma robe blanche.

Cette femme qui prétendait être mère d’un enfant de Lala n’était que Niry, sa camarade de classe. Ils sortaient ensemble pendant notre séparation. Et quelle idiote j’étais ! Je n’y avais pas songé avant de me remettre avec lui. Alors, au lieu de remplir de joie mes parents, je les avais couverts de honte, eux et moi-même !

Hélas, nous avions dû supprimer les signatures à la mairie. Le mariage religieux avait d’ailleurs été annulé illico presto. Tout le monde se moquait de moi.

« Aussi prétentieuse qu’elle est, elle a porté cette longue robe qui nettoyait les chemins où elle passait ! Maintenant, elle va la laver avec ses larmes ! », Chuchotaient les invités.

Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux. Lala ! Est-ce trop demander ? Mon plus grand rêve est de rester à tes côtés pour le restant de ma vie…