Demain, c’est les vacances !
Mademoiselle Berthon, la jeune et sémillante institutrice a bien du mal à canaliser les quelques trente têtes blondes de sa classe pour la photo de fin... [+]
Je ne connaissais de l’horizon qu’un mince filet gris séparant à grand peine le ciel de brume de la terre épaissie de scories.
A huit ans je n’avais jamais quitté le coron, prêt à descendre à mon tour avec les hommes. Ma mère tremblait à cette idée, son premier-né n’était jamais remonté, traître et impitoyable grisou.
Quand je ferme les yeux aujourd’hui, j’imagine mon pays auréolé de cette teinte qui n’en est pas une, entre le morose et la cendre, et l’humidité me glace les os et le poussier émaille mon existence.
Jour après jour la misère érodait notre santé. Tous les gamins du quartier toussaient. Pour assurer la relève, la compagnie décida d’un séjour au grand air qui rendrait à la mine des galibots aguerris. Le voyage serait pris en charge, c’était un temps où le mineur vivait tel un enfant à la merci de son père.
Je m’embarquais pour une aventure qui m’excitait et m’effrayait tout à la fois. Quinze jours dans le Vercors, flanqué d’une ribambelle de garçons glanés dans les cités voisines. Pour me vêtir, ma mère savait compter sur les œuvres de la châtelaine et de l’église. J’avais hérité d’un manteau cintré en drap couleur de la mine, de lourdes chaussures cloutées, des chaussettes montantes qui grattaient et un bonnet à pompon rouge.
Le car démarra sous le crachin de Février, de ses mains gercées ma mère serrait son châle, les larmes coulaient sur ses traits tirés, je n’étais pas plus vaillant. Elle me tendit le briquet, ce repas avalé par le mineur entre deux pelletées, au fond de la galerie. Deux tartines beurrées auxquelles elle avait ajouté sa ration de charcuterie de la semaine.
Le véhicule bringuebalait tant que je m’endormis, ma tête en équerre sur l’épaule de mon voisin qui allait devenir mon ami pour la vie, Gaspard. Le trajet se déroula d’une traite. Nous avions dévoré nos en-cas, partageant, qui son fromage, qui son morceau de lard avec force rires, déjà complices.
La colonie nous accueillit au milieu de la nuit. Dans le dortoir un lit nous invitait à faire le tour du cadran. Je n’avais encore rien vu du paysage quand, le lendemain, le soleil fit son entrée dans la pièce. Une lumière blanche et crue qui faisait mal aux yeux à travers les hautes baies vitrées où s’accrochaient des toiles d’araignée triangulaires. Je ne connaissais du soleil qu’un pâle halo au cœur de l’été, je me précipitai vers la fenêtre. Et je vis un tapis crémeux, épais et moelleux, ponctué de mille scintillements de cristal, j’ai cru que je devenais aveugle, comme grand-mère Léonie. Gaspard frotta ses paupières gonflées et me serra la main en gage d’amitié, un pacte de fraternité qui ne serait jamais rompu.
Au loin se dressait un sapin aux branches lourdes de cette mousse immaculée. Un poids qui sentait la fatigue, comme celle de mon père quand il remontait de la fosse, traînant les pieds avant de plonger dans le baquet d’eau bouillante. L’épicéa me semblait inachevé, je cherchais les guirlandes qui enrubannaient celui de la messe de minuit, à côté de la crèche, étonné qu’un arbre puisse être aussi blanc et nu.
L’arôme du café au lait nous réveilla tout-à-fait, il était différent de la maison, lui manquait l’amertume de la chicorée. Les religieuses étaient à la manœuvre, je fis équipe avec Gaspard pour les corvées de vaisselle, c’était une fête de partager ces moments avec mon ami. On s’amusait aussi beaucoup. Sur des luges improvisées de planchettes et de tôles, nous dévalions le vallon derrière le bâtiment aux murs décrépis, notre refuge. Un moniteur organisait jeux de pistes et parties de ballons, et nous rentrions, affamés, avaler la soupe et le fromage de Sassenage strié des veines bleues qui m’intriguaient.
Je ne pensais pas souvent aux miens, le soir peut-être au moment du coucher, pensées fugaces, je sombrais si vite dans le sommeil.
On nous promit une surprise pour couronner le séjour. Je montai dans le même car chaotique mais cette fois je ne dormis pas, happé par mes découvertes. Les montagnes blanches ombrées de vert, bien plus hautes que nos terrils, les forêts denses des contes de grand-mère, les roches menaçantes qui parfois s’égrenaient sur la chaussée, alors le bus faisait une embardée sur la plaque de verglas et nous riions du plaisir d’avoir peur.
Nous allions visiter des grottes, les grottes de Choranches, au nom imprononçable pour des petits chtimis. Le moniteur acheta les billets, on attendit un peu avant d’aborder les entrailles de la terre. J’étais déjà descendu dans la mine, une fois, mon père avait obtenu l’autorisation du porion. Impressionné par l’obscurité, une nuit épaisse perforée de craquements et de grincements, ou par le hennissement du pauvre cheval qui ne reverrait jamais la lumière du jour – Ecoute la mine respirer- avait murmuré mon père pour ne pas la déranger. Il avait allumé sa lanterne, ajusté sa lampe frontale sur mon casque. Je garde un souvenir mitigé de crainte et d’orgueil, soulagé de reprendre mon souffle à l’air libre.
A Choranches c’était différent, au milieu des ténèbres, des dégradés irisés éclairaient les dentelles de calcaire, certaines tombaient du plafond, d’autres montaient du sol, on aurait dit un piège aux dents acérées et il fallait suivre le chemin balisé pour ne pas tomber dans les eaux glaciales du lac sombre. Parfois nous devions courber l’échine pour passer l’obstacle mais c’était un délice, rien à voir avec le labeur imposé de nos aïeux, le nôtre bientôt, nous n’y pensions pas, tout à la magie de l’instant. Féerie d’une palette arc-en-ciel, jeux de lumières, roches ambrées, champignons de pierre figés pour l’éternité et l’écho qui résonnait à l’envi. Des gouttelettes ruisselaient, venues de nulle part, pour s’en aller grossir une cheminée, arrondir une voûte. Un monde sous-terrain indifférent à la vie du dessus, étranger aux hommes.
Déjà la visite s’achevait, il fallut remonter.
Le souffle me manquait, comme ce jour-là au fond de mon pays, mais c’était de bonheur, un trop-plein de félicité, j’avais caressé les ailes d’un ange.
A huit ans je n’avais jamais quitté le coron, prêt à descendre à mon tour avec les hommes. Ma mère tremblait à cette idée, son premier-né n’était jamais remonté, traître et impitoyable grisou.
Quand je ferme les yeux aujourd’hui, j’imagine mon pays auréolé de cette teinte qui n’en est pas une, entre le morose et la cendre, et l’humidité me glace les os et le poussier émaille mon existence.
Jour après jour la misère érodait notre santé. Tous les gamins du quartier toussaient. Pour assurer la relève, la compagnie décida d’un séjour au grand air qui rendrait à la mine des galibots aguerris. Le voyage serait pris en charge, c’était un temps où le mineur vivait tel un enfant à la merci de son père.
Je m’embarquais pour une aventure qui m’excitait et m’effrayait tout à la fois. Quinze jours dans le Vercors, flanqué d’une ribambelle de garçons glanés dans les cités voisines. Pour me vêtir, ma mère savait compter sur les œuvres de la châtelaine et de l’église. J’avais hérité d’un manteau cintré en drap couleur de la mine, de lourdes chaussures cloutées, des chaussettes montantes qui grattaient et un bonnet à pompon rouge.
Le car démarra sous le crachin de Février, de ses mains gercées ma mère serrait son châle, les larmes coulaient sur ses traits tirés, je n’étais pas plus vaillant. Elle me tendit le briquet, ce repas avalé par le mineur entre deux pelletées, au fond de la galerie. Deux tartines beurrées auxquelles elle avait ajouté sa ration de charcuterie de la semaine.
Le véhicule bringuebalait tant que je m’endormis, ma tête en équerre sur l’épaule de mon voisin qui allait devenir mon ami pour la vie, Gaspard. Le trajet se déroula d’une traite. Nous avions dévoré nos en-cas, partageant, qui son fromage, qui son morceau de lard avec force rires, déjà complices.
La colonie nous accueillit au milieu de la nuit. Dans le dortoir un lit nous invitait à faire le tour du cadran. Je n’avais encore rien vu du paysage quand, le lendemain, le soleil fit son entrée dans la pièce. Une lumière blanche et crue qui faisait mal aux yeux à travers les hautes baies vitrées où s’accrochaient des toiles d’araignée triangulaires. Je ne connaissais du soleil qu’un pâle halo au cœur de l’été, je me précipitai vers la fenêtre. Et je vis un tapis crémeux, épais et moelleux, ponctué de mille scintillements de cristal, j’ai cru que je devenais aveugle, comme grand-mère Léonie. Gaspard frotta ses paupières gonflées et me serra la main en gage d’amitié, un pacte de fraternité qui ne serait jamais rompu.
Au loin se dressait un sapin aux branches lourdes de cette mousse immaculée. Un poids qui sentait la fatigue, comme celle de mon père quand il remontait de la fosse, traînant les pieds avant de plonger dans le baquet d’eau bouillante. L’épicéa me semblait inachevé, je cherchais les guirlandes qui enrubannaient celui de la messe de minuit, à côté de la crèche, étonné qu’un arbre puisse être aussi blanc et nu.
L’arôme du café au lait nous réveilla tout-à-fait, il était différent de la maison, lui manquait l’amertume de la chicorée. Les religieuses étaient à la manœuvre, je fis équipe avec Gaspard pour les corvées de vaisselle, c’était une fête de partager ces moments avec mon ami. On s’amusait aussi beaucoup. Sur des luges improvisées de planchettes et de tôles, nous dévalions le vallon derrière le bâtiment aux murs décrépis, notre refuge. Un moniteur organisait jeux de pistes et parties de ballons, et nous rentrions, affamés, avaler la soupe et le fromage de Sassenage strié des veines bleues qui m’intriguaient.
Je ne pensais pas souvent aux miens, le soir peut-être au moment du coucher, pensées fugaces, je sombrais si vite dans le sommeil.
On nous promit une surprise pour couronner le séjour. Je montai dans le même car chaotique mais cette fois je ne dormis pas, happé par mes découvertes. Les montagnes blanches ombrées de vert, bien plus hautes que nos terrils, les forêts denses des contes de grand-mère, les roches menaçantes qui parfois s’égrenaient sur la chaussée, alors le bus faisait une embardée sur la plaque de verglas et nous riions du plaisir d’avoir peur.
Nous allions visiter des grottes, les grottes de Choranches, au nom imprononçable pour des petits chtimis. Le moniteur acheta les billets, on attendit un peu avant d’aborder les entrailles de la terre. J’étais déjà descendu dans la mine, une fois, mon père avait obtenu l’autorisation du porion. Impressionné par l’obscurité, une nuit épaisse perforée de craquements et de grincements, ou par le hennissement du pauvre cheval qui ne reverrait jamais la lumière du jour – Ecoute la mine respirer- avait murmuré mon père pour ne pas la déranger. Il avait allumé sa lanterne, ajusté sa lampe frontale sur mon casque. Je garde un souvenir mitigé de crainte et d’orgueil, soulagé de reprendre mon souffle à l’air libre.
A Choranches c’était différent, au milieu des ténèbres, des dégradés irisés éclairaient les dentelles de calcaire, certaines tombaient du plafond, d’autres montaient du sol, on aurait dit un piège aux dents acérées et il fallait suivre le chemin balisé pour ne pas tomber dans les eaux glaciales du lac sombre. Parfois nous devions courber l’échine pour passer l’obstacle mais c’était un délice, rien à voir avec le labeur imposé de nos aïeux, le nôtre bientôt, nous n’y pensions pas, tout à la magie de l’instant. Féerie d’une palette arc-en-ciel, jeux de lumières, roches ambrées, champignons de pierre figés pour l’éternité et l’écho qui résonnait à l’envi. Des gouttelettes ruisselaient, venues de nulle part, pour s’en aller grossir une cheminée, arrondir une voûte. Un monde sous-terrain indifférent à la vie du dessus, étranger aux hommes.
Déjà la visite s’achevait, il fallut remonter.
Le souffle me manquait, comme ce jour-là au fond de mon pays, mais c’était de bonheur, un trop-plein de félicité, j’avais caressé les ailes d’un ange.
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Je suis aussi partie autrefois en vacances en Isère, mais à Vénosc, suivant les traces de mon père
C'est vraiment une région qui gagne à être connue
Joli et bien conté, voici mes 5 voix.
Les images de vacances en montagne me touchent tout autant et me rappellent mes premières vacances de neige, mais dans les Alpes.
Vous écrivez de plus admirablement, je vous remercie pour ce voyage là.
Je vous invite à découvrir mon Dessin. Merci beaucoup
https://short-edition.com/fr/oeuvre/strips/au-bord-de-la-plage-1