Des rives

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L'eau lui parut belle, Nolwen y planta sa pointe de pied. Après trois longues heures de marche sous le soleil d'août ponctuées des grognements de son frère, elle avait envie plus que tout de plonger là dans cette transparence : laver son corps de la sueur qui coulait depuis sa nuque jusqu'au bas de son dos et la tête sous l'eau, ne plus entendre ses jérémiades. Le pique-nique et la première randonnée marquaient traditionnellement le début des vacances estivales familiales : l'appartement parisien abandonné pour deux semaines, un périple tracé, organisé, minuté, dès le mois de janvier par la mère était entamé. Mais d'été en été, la déconnexion du quotidien se faisait moins facile. Les parents trouvaient toujours une excuse pour consulter leurs mails, du travail ou d'associations de parents d'élèves, qu'importe ! Thomas ancrait ses écouteurs à ses oreilles à longueur de pas, seule Nolwen survivait sans fil, connectée uniquement à la nature qui l'entourait, levant les yeux sur les cimes et les frondaisons, écoutant ceux des oiseaux qui ne s'envolaient pas effrayés des disputes à propos de la prochaine étape choisie... Elle cheminait les yeux dans le vert, à la recherche d'un rythme berceur, la tête trop pleine encore des bruits métalliques de la ville. Inutile de s'évertuer à mener quelque conversation que ce soit pendant cette balade à marche forcée ; et puis de toute façon, avec Thomas, plus aucune discussion n'était possible : paradoxalement, il semblait en vouloir à la terre entière depuis qu'il avait obtenu les félicitations du jury au bac, et la terre entière, cela commençait par sa jumelle qui elle n'avait pourtant obtenu son examen que de justesse en juillet. Leurs aspirations s'étaient comme disjointes sans qu'ils s'en rendent vraiment compte eux-mêmes.
La jeune fille fermait la marche parce qu'elle s'attardait davantage. « Arrête de traîner, limace ! » avait répété son père toute la matinée. Nolwen n'entendait plus, elle inspirait, humait l'odeur des épines sèches et souriait aux papillons des hautes herbes, cherchait à deviner la forme des cailloux sous ses chaussures. Pourquoi venir jusqu'ici si c'était pour courir encore ? Afin de pouvoir pérorer en société en septembre : on a avalé tellement de kilomètres, sur un dénivelé terrible en moins de quinze jours ! La compétition, c'était l'essence même de ses parents. On ne jouait pas au tennis : on se devait d'être classé ; on ne faisait pas la cuisine : on réalisait les recettes des grands chefs ; on ne jouait pas du piano : on faisait le conservatoire... Ils s'étaient installés sous l'ombre accueillante et généreuse d'un pin parasol. Des sacs à dos sortirait la fierté de sa mère : des terrines, une tarte aux fruits de saison vanillés, un jus de fruits bio, rien que du fait maison ! Ainsi Thomas pourrait grommeler qu'il aurait préféré un sandwich, des chips et du coca. Nolwen n'avait pas faim. Elle ôta son tee-shirt trop large et son pantalon de sport, les déposa près de ses chaussures. Elle pénétra dans l'onde progressivement, elle semblait avoir peur de déranger l'étendue claire et douce qui l'enveloppa et l'engloutit aussi délicatement qu'une couverture de soie tant sa silhouette était frêle. La jeune fille nagea en apnée aussi longtemps qu'elle put, sous l'eau, son poids s'évanouissait. Lorsqu'elle ressortit la tête, elle se trouvait à mi-parcours entre les deux rives. Elle s'étoila sur le dos puis se redressa pour scruter le couple que formaient ses parents. Ni l'un ni l'autre ne se parlait, ne se touchait. Comme les soirs dans le salon. Comme les matins dans la cuisine. Ils n'échangeaient qu'en présence des invités du week-end transformés malgré eux en relais de la parole conjugale : un couple formidable, Erik et Cathie ! Ils sont sur tous les fronts, tout leur réussit, rien ne les effraie jamais, rien n'est infaisable ! Cathie a eu le double de travail, vous pensez avec des jumeaux !
Thomas, cédant à sa mauvaise humeur perpétuelle, s'était désolidarisé du duo désormais mal assorti, assis sur un tronc mort couché ; elle ne distinguait que son dos déjà voûté. Elle se retourna et en brasse coulée se dirigea vers le bord sableux opposé. Plus elle s'éloignait d'eux, plus sa respiration se calmait. Son cœur lui sembla battre mieux, moins douloureux. Sa masse musculaire ayant fondu ces derniers mois, les efforts physiques commençaient à lui coûter. Mais là, entre les gouttes, elle se sentait plus légère, presque disparue. Si Erik et Cathie avaient pris le temps de lever la tête, sa maigreur dénudée leur aurait percé les yeux, ses côtes saillantes, ses coudes pointus et le trou de son ventre, son corps si fin qu'il tremblait au moindre souffle, ils auraient touché du regard leur fantôme de fille à défaut d'effleurer la vérité.
Nolwen traversa totalement la rivière au courant porteur, de l'autre côté, elle s'assit et essaya de faire le point. Si elle s'enfonçait dans la forêt maintenant, à quel moment se rendraient-ils compte de sa disparition ? Elle ne voulait pas les inquiéter, mais quelque chose là-dedans la dévorait, une force qui la déséquilibrait tout en la poussant hors des limites tracées par sa famille. Quand on n'est pas armé pour la vie, quelle échappatoire reste-t-il ? Quand le gouffre vous guette, où se cacher ? Elle s'enfonça discrètement dans le bois ; longtemps, elle ne croisa personne.
— Thomas, tu as vu Nolwen ? s'enquit Cathie, qui tendait une part de tarte à son fils.
— Elle n'a pas besoin d'être surveillée, Maman !
— Elle doit être restée un peu en arrière, ajouta Erik, comme d'habitude !
Thomas s'approcha de l'eau et ramassa le petit paquet de vêtements de sa sœur. Le miroitement du soleil sur la surface ondulée créait des clignotements, l'aveuglait. Sur l'autre berge, il crut voir une petite famille installée pour pique-niquer elle aussi. Parents et enfants assis au bord de la rivière s'amusaient à tenter des ricochets. Leurs cailloux plats plongeaient immanquablement et pourtant ils riaient.

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