Enfin le calme de la campagne ! Quel contraste avec le bruit et l’agitation de la ville, le brouhaha de la foule dans les rues, le vrombissement des voitures et des camions sur la route au bord... [+]
Des milliards de gouttelettes…
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Lysiane arriva sur le terre-plein dégagé, dans la vallée évasée et herbeuse de Thingvell, entre les deux montagnes sacrées. L’endroit était désert. Pas de choucas, pas de marmottes, pas d’insectes. Aucune présence humaine. Aucun bruit. Lysiane n’avait que dix ans, mais elle n’avait pas peur. Elle se sentait prête. Elle repéra vite les petits bancs de brume qui s’accrochaient aux pics acérés et aux roches escarpées, au-dessus du vallon. Son visage s’éclaira d’un sourire serein.
Cela faisait longtemps qu’elle avait mûri l’idée au fond de sa tête, et elle avait fait ce qu’il fallait faire. Elle avait d’abord sollicité une entrevue avec les Anciens, lors de la réunion annuelle de leur Parlement. Ces hommes et ces femmes, à la sagesse reconnue, avaient été surpris de voir cette petite fille aussi sûre d’elle, aussi déterminée, leur poser autant de questions précises sur les Brumes et leur dire sa volonté d’accéder à l’Embrumement. Les Anciens avaient délibéré, puis Shawana, la plus âgée, avait dit à Lysiane qu’ils consentaient à répondre à sa requête : si elle voulait rejoindre les Brumes, elle devait aller voir Nebel, le mage Gardien des Brumes, qui lui révélerait, s’il l’estimait digne de cela, la Secret des Brumes. Tous, bien qu’impressionnés par la détermination de Lysiane, ne savaient pas si elle mettrait son projet à exécution.
Lysiane était bien allée voir le mage Gardien des Brumes. Elle avait gravi la montagne sur laquelle il vivait, se faisant aider par les bêtes sauvages à qui elle savait parler, chèvres, chamois, bouquetins, aigles, tous s’étaient relayés pour qu’elle puisse accéder à la demeure du mage, une grande caverne qui sentait le genévrier et le buis. Lorsqu’elle arriva, le vieil homme, assis sur un rocher plat, laissait son regard errer vers les vallées et les monts brumeux qui se découvraient depuis son refuge. Il portait une longue tunique brune, comme les moines du temps jadis, et sa longue barbe blanche s’étalait sur ses jambes.
Il tourna alors la tête, regarda Lysiane, appuyée contre un rocher, épuisée mais souriante.
- Bonjour Lysiane, dit le mage. Je t’ai vue monter jusqu’ici. Que me veux-tu ?
Sa voix était ferme, mais ses yeux la fixaient avec bonté. En réalité, il savait parfaitement ce qui amenait la petite fille jusqu’à lui, mais il voulait l’entendre dire elle-même quelles étaient ses motivations.
- Vénérable Nebel, répondit Lysiane, je veux m’embrumer. Je le veux vraiment. Je sais que vous pouvez me révéler le Secret de l’Embrumement. Les Anciens du Parlement me l’ont affirmé.
Le mage l’observa avec attention avant de répondre. Il scruta ses yeux bleus, au travers desquels il sonda son esprit : ses intentions étaient-elles pures ? Avait-elle les qualités nécessaires pour être initiée à l’Embrumement ? La transparence du regard de Lysiane acheva de le convaincre. Nebel se leva, s’approcha d’elle, lui prit les mains, ferma les yeux, et, sans paroles, lui transmis le Secret : Lysiane sentit des fourmillements lui parcourir les mains, les bras, envahir tout son corps. Elle réalisa que des phrases silencieuses étaient prononcées en elle, des phrases qui venaient de lui révéler le Secret de l’Embrumement.
Lorsqu’il rouvrit les yeux, le mage lui dit :
- Tu es prête, maintenant. Tu sais où tu dois aller, à la prochaine lune, tôt le matin, à l’heure où la Brume s’élève dans la vallée. Mais il faut que tu sois sûre de toi, car une fois embrumée, tu ne pourras plus jamais revenir en arrière, dans le monde des Hommes et des Femmes. Lysiane, es-tu vraiment prête ?
- Je suis prête, répondit simplement Lysiane.
- Tu ne devras pas avoir peur des Brumes. Tu devras accueillir ce que tu ressentiras, laisser les choses se faire comme elles doivent se faire. Et si tes intentions sont pures, si ta volonté est sans faille, alors les Brumes t’adopteront.
Et c’est ainsi qu’elle se trouvait aujourd’hui dans la montagne, au petit matin, scrutant les bancs de Brume qui s’effilochaient dans le ciel. Elle concentra son esprit le plus fort qu’elle put : suivant les préceptes du mage, elle se représenta les milliers, les millions, les milliards de petites gouttelettes qui constituaient la Brume et qui, maintenant, dévalaient la montagne et s’approchaient d’elle. Les écheveaux de Brume fusionnèrent, s’épaissirent, l’enveloppèrent, masquant le soleil et le ciel bleu, la faisant frissonner. Alors elle se détendit, laissant les écharpes blanches et légères tournoyer autour d’elle. Son cœur se gonfla de joie lorsqu’elle sentit les extrémités de ses pieds s’alléger, elle voulut les regarder mais déjà, ne vit plus rien : la Brume les enveloppait, les transformait en fines gouttelettes. Puis la sensation monta dans ses jambes, dans son buste, ses bras. Loin d’être effrayée, Lysiane sentait son corps se dissoudre, se confondre avec la Brume environnante. Enfin elle jeta un dernier regard autour d’elle, entraperçut entre deux masses cotonneuses la silhouette familière des montagnes, les alpages verdoyants, les rochers sombres, une petite échancrure de ciel bleu... Puis plus rien... Légère, aérienne, elle se sentit comme aspirée vers le haut. Des voix amies lui parlaient doucement, dans des murmures apaisants. Des nappes de Brume s’enroulaient autour d’elle, se fondaient avec elle : elle était devenue Brume parmi les Brumes.
S’élevant dans le ciel, les Êtres de Brume qui l’entouraient l’emmenaient toujours plus haut, puis ils s’écartèrent pour la laisser voir tout le paysage qui s’étalait sous eux. Des montagnes, des vallées, et au-delà, des plaines, des fleuves, des mers... Des villes aussi, ou ce qui en restait. Des humains, par endroits, couraient en tous sens, dans un mouvement brownien incroyable. D’autres hurlaient, s’agitaient, s’entre-tuaient... Et Lysiane, comme tous ses compagnons de Brume, n’entendaient plus ce tumulte effrayant. Ils observaient toute cette agitation qui leur était devenue étrangère. Leurs esprits formulaient des pensées, les échangeaient sans qu’il leur fût besoin de parler. Leurs corps de gouttelettes changeaient de formes, de lieux, se rapprochaient ou s’écartaient, grandissaient ou se rapetissaient. Tout était simple. Tout était tranquille. Le temps n’avait plus d’importance. Lysiane savait qu’elle appartenait à présent au peuple des Brumes, dont les esprits conservaient et partageaient tout le bon, tout le beau, toute l’intelligence humaine ; les Brumes qui survivraient aux humains bien après leurs folies et sauraient recréer un monde nouveau, le moment venu.
Et tout en bas, dans le vallon où Lysiane, quelques minutes avant, s’était embrumée, restait sur la pelouse une petite carcasse de métal et de plastique : un fauteuil roulant, vieille relique maintenant inutile.
Cela faisait longtemps qu’elle avait mûri l’idée au fond de sa tête, et elle avait fait ce qu’il fallait faire. Elle avait d’abord sollicité une entrevue avec les Anciens, lors de la réunion annuelle de leur Parlement. Ces hommes et ces femmes, à la sagesse reconnue, avaient été surpris de voir cette petite fille aussi sûre d’elle, aussi déterminée, leur poser autant de questions précises sur les Brumes et leur dire sa volonté d’accéder à l’Embrumement. Les Anciens avaient délibéré, puis Shawana, la plus âgée, avait dit à Lysiane qu’ils consentaient à répondre à sa requête : si elle voulait rejoindre les Brumes, elle devait aller voir Nebel, le mage Gardien des Brumes, qui lui révélerait, s’il l’estimait digne de cela, la Secret des Brumes. Tous, bien qu’impressionnés par la détermination de Lysiane, ne savaient pas si elle mettrait son projet à exécution.
Lysiane était bien allée voir le mage Gardien des Brumes. Elle avait gravi la montagne sur laquelle il vivait, se faisant aider par les bêtes sauvages à qui elle savait parler, chèvres, chamois, bouquetins, aigles, tous s’étaient relayés pour qu’elle puisse accéder à la demeure du mage, une grande caverne qui sentait le genévrier et le buis. Lorsqu’elle arriva, le vieil homme, assis sur un rocher plat, laissait son regard errer vers les vallées et les monts brumeux qui se découvraient depuis son refuge. Il portait une longue tunique brune, comme les moines du temps jadis, et sa longue barbe blanche s’étalait sur ses jambes.
Il tourna alors la tête, regarda Lysiane, appuyée contre un rocher, épuisée mais souriante.
- Bonjour Lysiane, dit le mage. Je t’ai vue monter jusqu’ici. Que me veux-tu ?
Sa voix était ferme, mais ses yeux la fixaient avec bonté. En réalité, il savait parfaitement ce qui amenait la petite fille jusqu’à lui, mais il voulait l’entendre dire elle-même quelles étaient ses motivations.
- Vénérable Nebel, répondit Lysiane, je veux m’embrumer. Je le veux vraiment. Je sais que vous pouvez me révéler le Secret de l’Embrumement. Les Anciens du Parlement me l’ont affirmé.
Le mage l’observa avec attention avant de répondre. Il scruta ses yeux bleus, au travers desquels il sonda son esprit : ses intentions étaient-elles pures ? Avait-elle les qualités nécessaires pour être initiée à l’Embrumement ? La transparence du regard de Lysiane acheva de le convaincre. Nebel se leva, s’approcha d’elle, lui prit les mains, ferma les yeux, et, sans paroles, lui transmis le Secret : Lysiane sentit des fourmillements lui parcourir les mains, les bras, envahir tout son corps. Elle réalisa que des phrases silencieuses étaient prononcées en elle, des phrases qui venaient de lui révéler le Secret de l’Embrumement.
Lorsqu’il rouvrit les yeux, le mage lui dit :
- Tu es prête, maintenant. Tu sais où tu dois aller, à la prochaine lune, tôt le matin, à l’heure où la Brume s’élève dans la vallée. Mais il faut que tu sois sûre de toi, car une fois embrumée, tu ne pourras plus jamais revenir en arrière, dans le monde des Hommes et des Femmes. Lysiane, es-tu vraiment prête ?
- Je suis prête, répondit simplement Lysiane.
- Tu ne devras pas avoir peur des Brumes. Tu devras accueillir ce que tu ressentiras, laisser les choses se faire comme elles doivent se faire. Et si tes intentions sont pures, si ta volonté est sans faille, alors les Brumes t’adopteront.
Et c’est ainsi qu’elle se trouvait aujourd’hui dans la montagne, au petit matin, scrutant les bancs de Brume qui s’effilochaient dans le ciel. Elle concentra son esprit le plus fort qu’elle put : suivant les préceptes du mage, elle se représenta les milliers, les millions, les milliards de petites gouttelettes qui constituaient la Brume et qui, maintenant, dévalaient la montagne et s’approchaient d’elle. Les écheveaux de Brume fusionnèrent, s’épaissirent, l’enveloppèrent, masquant le soleil et le ciel bleu, la faisant frissonner. Alors elle se détendit, laissant les écharpes blanches et légères tournoyer autour d’elle. Son cœur se gonfla de joie lorsqu’elle sentit les extrémités de ses pieds s’alléger, elle voulut les regarder mais déjà, ne vit plus rien : la Brume les enveloppait, les transformait en fines gouttelettes. Puis la sensation monta dans ses jambes, dans son buste, ses bras. Loin d’être effrayée, Lysiane sentait son corps se dissoudre, se confondre avec la Brume environnante. Enfin elle jeta un dernier regard autour d’elle, entraperçut entre deux masses cotonneuses la silhouette familière des montagnes, les alpages verdoyants, les rochers sombres, une petite échancrure de ciel bleu... Puis plus rien... Légère, aérienne, elle se sentit comme aspirée vers le haut. Des voix amies lui parlaient doucement, dans des murmures apaisants. Des nappes de Brume s’enroulaient autour d’elle, se fondaient avec elle : elle était devenue Brume parmi les Brumes.
S’élevant dans le ciel, les Êtres de Brume qui l’entouraient l’emmenaient toujours plus haut, puis ils s’écartèrent pour la laisser voir tout le paysage qui s’étalait sous eux. Des montagnes, des vallées, et au-delà, des plaines, des fleuves, des mers... Des villes aussi, ou ce qui en restait. Des humains, par endroits, couraient en tous sens, dans un mouvement brownien incroyable. D’autres hurlaient, s’agitaient, s’entre-tuaient... Et Lysiane, comme tous ses compagnons de Brume, n’entendaient plus ce tumulte effrayant. Ils observaient toute cette agitation qui leur était devenue étrangère. Leurs esprits formulaient des pensées, les échangeaient sans qu’il leur fût besoin de parler. Leurs corps de gouttelettes changeaient de formes, de lieux, se rapprochaient ou s’écartaient, grandissaient ou se rapetissaient. Tout était simple. Tout était tranquille. Le temps n’avait plus d’importance. Lysiane savait qu’elle appartenait à présent au peuple des Brumes, dont les esprits conservaient et partageaient tout le bon, tout le beau, toute l’intelligence humaine ; les Brumes qui survivraient aux humains bien après leurs folies et sauraient recréer un monde nouveau, le moment venu.
Et tout en bas, dans le vallon où Lysiane, quelques minutes avant, s’était embrumée, restait sur la pelouse une petite carcasse de métal et de plastique : un fauteuil roulant, vieille relique maintenant inutile.
Il y a, dans cette finale, des textes de moins bonne qualité, mais le système de votes est ce qu'il est et cela fait partie du jeu... Ce système est un bon système parce qu'il récompense les gens qui votent et font des commentaires sur les textes mais il a aussi un effet pervers : il ne reflète pas réellement les goûts du public.
Je vous invite donc à venir prolonger le plaisir en participant à la "sélection du public" du Festival Off, sur le forum : http://short-edition.com/fr/forum/la-fabrique/imaginarius-2017-le-festival-off
Que la fête continue et longue vie au prix Imaginarius !