Des inquiétudes en toute quiétude

« Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux. » Cette question ne cesse de me titiller l’esprit. J’ai peur d’avancer car l’inconnu me terrifie. L’avenir me paraît tout à fait incertain et je me demande si j’ai encore une raison de vivre. Ces ténèbres imposés par le confinement de nos jours nous étouffent, et nos rêves avec.

Mes études de Master FLE devraient commencer au mois de septembre, jusque-là je réalisais ma licence en vue de préparer la rentrée. Tout était bien planifié, je serai maître dans deux ans. Ça c'était le rêve, c'était mon avenir. J’avais le contrôle du temps, je pourrais même dire que j’étais maître du temps. Et encore avec toutes les avancées réalisées au niveau de la science, je savais qu’on était pleinement dans cette réalité cartésienne « nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature ». Je domptais ma volonté, je planifiais ma vie et le temps s’écoulait de manière tout à fait linéaire.

Puis vint la désillusion. C'était un jeudi soir vers les 19hrs. Un couvre-feu fut décrété sur tout le pays...Il est là. Celui dont le nom était devenu viral, on l'entendait dans tous les médias internationaux. Synonyme de souffrances et de morts, il faisait trembler toute la planète. Ce nom ou ce mot que même dans nos pires cauchemars on ne souhaiterait l'entendre est sorti de la bouche du président. Il est là, il est présent sur notre territoire. Des mesures drastiques doivent être prises pour éviter une trop forte propagation déclarent les autorités. Des mesures qui vont tout basculer. Du jour au lendemain nous redevenons des enfants qui sont incapables de prendre des décisions de leur propre chef.

Jean, un bon ami à moi m'a téléphoné hier. Cela fait déjà 4 semaines qu’on s’est ni vu ni entendu, conséquences du confinement. Il voulait savoir ce que je pensais de tout ça. Je lui crache à l’instant : « Frère, voyons le programme des universités, jetons un coup d’œil sur le budget des gouvernements, il semble que rien n’a été prévu à cet effet. Comment est-ce que ces hommes si intelligents, ces pays si puissants, ces laboratoires si bien équipés n’ont pas pu voir la venue de cette petite chose dont je ne souhaite même pas citer le nom ? Je ne pense pas qu’elle soit si forte qu’on le pense d’ailleurs mais qu'au contraire c'est nous qui sommes trop superficiels et arrogants. On ne fait que se vanter tout le temps de nos exploits militaires, de la puissance de nos dernières armes de longue portée. Mais rien, absolument aucun système de défense n'a été mis à point pour notre petit corps. À quoi pensaient ces messieurs ?

- Qu’en est-il des Droits de l’Homme ? Me demande Jean, peut-on toujours en parler ?
- Les Droits de l'Homme ? Nous avons inventé les droits de l’homme, ces droits sacrés et inaliénables semblent devenir futiles d’un seul coup. C’est l’Etat d’Urgence sanitaire, l’inquiétude reste si des États qui n’ont pas su gérer le long terme peuvent gérer l’urgence. 
Jean rit à gorge déployée :
- Gérer l'urgence tu dis! J’espère que tu ne fais pas allusion à ce pays. Nous n'avons même pas l'eau courante et l'électricité. Même pas une bonne connexion internet, la 4G ce n’est que du bluff ici. »

Jean et moi reconnaissons notre peine de supporter ce mode de vie imposé mais non voulu. Cela pourrait paraître égoïste dans la mesure où ces règles sont censées être appliquées pour sauver nos vies. Mais ici la vie c’est la rencontre permanente, ce sont les vigoureuses poignées de mains. Ce sont les embrassades, un mélange chimique incessant de nos vies, de nos rêves; des contacts de peau et de sueurs. Il n'y a pas de vie possible en l’absence de l’autre. Cet être qui n'est pas nous mais sans qui nous ne pouvons vivre. Ce seul remède contre la solitude, autrui. Il est défini de manière plus complexe ici. Nos campagnards ne peuvent pas vivre sans le dialogue du lever de soleil, le café quotidien et les audiences avec le voisinage. Le plaisir de travailler la terre et de s'occuper de leurs bétails...

Voilà déjà plusieurs semaines que je fais du sur place. J'en ai marre ! Marre du confinement, marre du déconfinement. J’ai comme l’impression que le temps s'est arrêté. Les gens ne cessent de parler d’une possibilité de deuxième vague. Le déconfinement laisse planer une plus grande inquiétude. Le monde s'est immobilisé. Est-ce la répétition ou l’inadaptation ? L'obscurité où je me trouve me rend plus lent mais ma perception s'est améliorée. Et c'est une occasion pour moi de me questionner sur ce qui paraissait être la norme dans ma vie et dans la société. Car voyez-vous, il est toujours intéressant de demander à l’évidence de se justifier et de nous dire en quoi est-elle vitale à notre survie.
Ce soir, j’ai finalement pu voir une lueur. J’ai trouvé une réponse ou est-ce plutôt une autre nouvelle direction ? Qu'importe sa nature, c'est un changement de perspective qui se dessine et je l'ai eu : « Pourquoi voulons nous toujours aller plus vite ? Est-ce une nécessité ou ne peut-il pas y avoir un certain éloge de la lenteur ? N’est-il pas possible de redéfinir notre rapport au temps, à la sédentarité aussi ? N’y a t-il pas du plaisir dans le fait de perdre du temps où si même perdre du temps ne serait pas une idée qui nous est venue de la logique qu’on doit faire tout et le plus rapidement possible ? Quelle est la place laissée donc à l’imprévu ? » Prenons du temps à perdre son temps, voilà une alternative qu’on a trop longtemps ignorée.

Reposons nous donc un instant et dispersons les ténèbres qui nous entourent. Je veux croire aussi que c’est une meilleure manière d’être maître de soi même lorsqu’on sait prendre en compte ce dont on n’est pas maître... Tout n’est pas fini comme je le pensais, peut-être un autre mode de vie nous est offert à tous.

Soit dit en passant laissez moi vous faire une petite confidence : je suis bon philosophe, surtout la nuit où ma capacité de raisonner dépasse les frontières de l’habituel. Et sachez bien que vous étiez plongé avec moi dans l'une de mes réflexions arrosées du samedi soir...