Quelques pas encore sur le chemin caillouteux qui grimpait en haut du village, et le facteur arriva devant l'écurie. Sur la droite, le cochon grognait, enfermé dans la soue. Marcel poussa la... [+]
Des chiffres ou des lettres
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— Du papier à lettres ? Pour écrire des lettres ? m’a demandé le jeune vendeur interloqué.
— Non, pour allumer mon feu, ai-je failli lui répondre.
Mais j’ai confirmé. Oui, j’avais l’intention d’écrire des lettres. Étonnant, non ?
Visiblement, cette demande dépassait ses compétences. Il a fait appel à la vendeuse-chef, proche de l’âge de la retraite, qui avait probablement connu le produit. Il ne s’était pas trompé. Celle-ci est allée fouiller dans la réserve du magasin d’où elle m’a rapporté l’objet en question : un bloc de papier vélin crème, comme celui que j’aimais utiliser encore de temps à autre, enveloppes assorties. Le jeune vendeur, et les quelques clients présents dans la papeterie sont venus se pencher sur cette curiosité.
— Vous écrivez vraiment des lettres ? Que vous mettez à la Poste ? Vous n’envoyez pas des mails ? Des SMS ?
Je les ai rassurés. Oui, j’envoyais des mails, oui, je savais aussi envoyer des SMS, – mes petits-enfants m’avaient appris – même si j’avais eu bien du mal, les premiers temps, à taper plusieurs fois sur des chiffres, sans me tromper, pour écrire... des mots. Quel travail fastidieux ! J’avais même chronométré le temps qu’il m’avait fallu pour écrire « bisous ». Voyons, je tape deux fois sur le 2, trois fois sur le 4, quatre fois sur le 7, trois fois sur le 6, là, faux, je me retrouve avec un m, bism, emportée par mon élan, j’ai dû taper quatre fois, j’efface, je recommence, enfin deux fois sur le 8. Bon, je ne vais joindre qu’un seul bisou à mon message, pour simplifier. Résultat : une minute, vingt-quatre secondes. Contre quatre secondes avec mon stylo ! Et on appelle ça le progrès. Je ne désespère pas, avec un peu d’entraînement, d’améliorer bientôt mes performances. Ce ne doit pas être la mer à boire, si j’en juge par tous ces gamins que je vois pianoter à toute allure, dans le métro ou le bus. Sans aucun doute, ils maîtrisent à fond la technique. Il m’est tellement plus simple et plus rapide d’utiliser mon stylo. Mais je me prétends une grand-mère à la page. À la page d’internet.
Mes petits-enfants m’envoient des SMS, à n’importe quelle heure du jour... ou de la nuit. Ils oublient simplement que moi, à minuit, je dors, lorsque retentit sur ma table de nuit le petit signal sonore qui me réveille. Heureusement, je ne m’affole plus maintenant quand l’un de ces messages me parvient, au plus profond de ma nuit : « Qui m’appelle à cette heure ? Pour m’annoncer quelle mauvaise nouvelle ? Parce que c’est forcément une mauvaise nouvelle ». On n’appelle pas au milieu de la nuit pour parler de la météo. Désormais, c’est la curiosité qui l’emporte : « Qui ? Pourquoi ? »
Le temps d’allumer ma lampe de chevet, de chausser mes lunettes, de lire : « MERCI bcp ma BM pr l chek d mes 18 ans mil biz », (l’orthographe me fera toujours frémir, mais surtout ne rien dire, si je veux que nos échanges « épistolaires » se poursuivent), et le sommeil de ta Bonne-Maman, mon Côme, s’est définitivement envolé !
Rapidité des textos (tiens, voilà encore un mot que j’ai ajouté à mon vocabulaire d’aïeule connectée), rapidité pour eux en tout cas, efficacité pour tous. Alors, quand l’un d’eux me demande s’il peut venir déjeuner avec moi dimanche, pas question, bien sûr, de lui envoyer un petit mot par la Poste pour confirmer le rendez-vous. D’autant plus que, depuis que les facteurs ne distribuent quasiment plus de lettres, le courrier met beaucoup plus de temps à parvenir à son destinataire. Allez comprendre !
Mais j’ai encore quelques vieux amis qui n’ont pas fait entrer internet chez eux, qui hésitent à téléphoner à n’importe quelle heure de la journée de peur de déranger, et qui, comme moi, aiment à découvrir dans leur boîte aux lettres une enveloppe, pas celle d’une facture, mais une vraie, l’enveloppe qui renferme la promesse d’un moment passé avec un ami lointain, son écriture que l’on reconnaît entre toutes, les nouvelles échangées, commentées, avec une orthographe irréprochable, (oui, cela existe encore et se savoure), une lettre que l’on relira deux, trois fois, et que l’on mettra de côté pour y revenir plus tard, afin de prolonger la présence de l’ami.
Nostalgie de la plume sergent-major, de l’encre violette de mon enfance, dans le godet de porcelaine au creux du bureau de bois, des majuscules élégantes, des pleins et déliés de la belle écriture. Papier à lettres aux teintes pastel, parfois même décoré, que petite fille, je recevais en cadeau, et que j’avais hâte d’utiliser pour écrire à mes copines de classe, quand nous étions séparées pendant les vacances. Doux papier aujourd’hui remplacé par la froideur d’un clavier et de ses touches chiffres-lettres.
Hier, Tiphaine m’a annoncé sa visite ce week-end. J’ai répondu aussitôt à son texto en tapant trois fois sur le 6, deux fois sur le 5. Question efficacité, on ne fait pas mieux, je dois bien le reconnaître. Surtout à minuit ! (Mais à quelle heure vont-ils donc se coucher ?)...
Sur mon bureau, elle découvre des plumes, des encres de plusieurs couleurs, une feuille de papier aquarelle sur laquelle j’ai calligraphié son prénom, plusieurs fois, utilisant des modèles d’écriture anglaise, romaine, gothique...
— Oh, j’adore !
— C’est tout l’art de la calligraphie.
— Dis, Bonne-Maman, tu pourrais m’apprendre ? Mes copines seront épatées ! Je te parie qu’elles voudront essayer aussi !
... Et lâcher leur smartphone pour tenir un porte-plume ?
Je rêve ?
— Non, pour allumer mon feu, ai-je failli lui répondre.
Mais j’ai confirmé. Oui, j’avais l’intention d’écrire des lettres. Étonnant, non ?
Visiblement, cette demande dépassait ses compétences. Il a fait appel à la vendeuse-chef, proche de l’âge de la retraite, qui avait probablement connu le produit. Il ne s’était pas trompé. Celle-ci est allée fouiller dans la réserve du magasin d’où elle m’a rapporté l’objet en question : un bloc de papier vélin crème, comme celui que j’aimais utiliser encore de temps à autre, enveloppes assorties. Le jeune vendeur, et les quelques clients présents dans la papeterie sont venus se pencher sur cette curiosité.
— Vous écrivez vraiment des lettres ? Que vous mettez à la Poste ? Vous n’envoyez pas des mails ? Des SMS ?
Je les ai rassurés. Oui, j’envoyais des mails, oui, je savais aussi envoyer des SMS, – mes petits-enfants m’avaient appris – même si j’avais eu bien du mal, les premiers temps, à taper plusieurs fois sur des chiffres, sans me tromper, pour écrire... des mots. Quel travail fastidieux ! J’avais même chronométré le temps qu’il m’avait fallu pour écrire « bisous ». Voyons, je tape deux fois sur le 2, trois fois sur le 4, quatre fois sur le 7, trois fois sur le 6, là, faux, je me retrouve avec un m, bism, emportée par mon élan, j’ai dû taper quatre fois, j’efface, je recommence, enfin deux fois sur le 8. Bon, je ne vais joindre qu’un seul bisou à mon message, pour simplifier. Résultat : une minute, vingt-quatre secondes. Contre quatre secondes avec mon stylo ! Et on appelle ça le progrès. Je ne désespère pas, avec un peu d’entraînement, d’améliorer bientôt mes performances. Ce ne doit pas être la mer à boire, si j’en juge par tous ces gamins que je vois pianoter à toute allure, dans le métro ou le bus. Sans aucun doute, ils maîtrisent à fond la technique. Il m’est tellement plus simple et plus rapide d’utiliser mon stylo. Mais je me prétends une grand-mère à la page. À la page d’internet.
Mes petits-enfants m’envoient des SMS, à n’importe quelle heure du jour... ou de la nuit. Ils oublient simplement que moi, à minuit, je dors, lorsque retentit sur ma table de nuit le petit signal sonore qui me réveille. Heureusement, je ne m’affole plus maintenant quand l’un de ces messages me parvient, au plus profond de ma nuit : « Qui m’appelle à cette heure ? Pour m’annoncer quelle mauvaise nouvelle ? Parce que c’est forcément une mauvaise nouvelle ». On n’appelle pas au milieu de la nuit pour parler de la météo. Désormais, c’est la curiosité qui l’emporte : « Qui ? Pourquoi ? »
Le temps d’allumer ma lampe de chevet, de chausser mes lunettes, de lire : « MERCI bcp ma BM pr l chek d mes 18 ans mil biz », (l’orthographe me fera toujours frémir, mais surtout ne rien dire, si je veux que nos échanges « épistolaires » se poursuivent), et le sommeil de ta Bonne-Maman, mon Côme, s’est définitivement envolé !
Rapidité des textos (tiens, voilà encore un mot que j’ai ajouté à mon vocabulaire d’aïeule connectée), rapidité pour eux en tout cas, efficacité pour tous. Alors, quand l’un d’eux me demande s’il peut venir déjeuner avec moi dimanche, pas question, bien sûr, de lui envoyer un petit mot par la Poste pour confirmer le rendez-vous. D’autant plus que, depuis que les facteurs ne distribuent quasiment plus de lettres, le courrier met beaucoup plus de temps à parvenir à son destinataire. Allez comprendre !
Mais j’ai encore quelques vieux amis qui n’ont pas fait entrer internet chez eux, qui hésitent à téléphoner à n’importe quelle heure de la journée de peur de déranger, et qui, comme moi, aiment à découvrir dans leur boîte aux lettres une enveloppe, pas celle d’une facture, mais une vraie, l’enveloppe qui renferme la promesse d’un moment passé avec un ami lointain, son écriture que l’on reconnaît entre toutes, les nouvelles échangées, commentées, avec une orthographe irréprochable, (oui, cela existe encore et se savoure), une lettre que l’on relira deux, trois fois, et que l’on mettra de côté pour y revenir plus tard, afin de prolonger la présence de l’ami.
Nostalgie de la plume sergent-major, de l’encre violette de mon enfance, dans le godet de porcelaine au creux du bureau de bois, des majuscules élégantes, des pleins et déliés de la belle écriture. Papier à lettres aux teintes pastel, parfois même décoré, que petite fille, je recevais en cadeau, et que j’avais hâte d’utiliser pour écrire à mes copines de classe, quand nous étions séparées pendant les vacances. Doux papier aujourd’hui remplacé par la froideur d’un clavier et de ses touches chiffres-lettres.
Hier, Tiphaine m’a annoncé sa visite ce week-end. J’ai répondu aussitôt à son texto en tapant trois fois sur le 6, deux fois sur le 5. Question efficacité, on ne fait pas mieux, je dois bien le reconnaître. Surtout à minuit ! (Mais à quelle heure vont-ils donc se coucher ?)...
Sur mon bureau, elle découvre des plumes, des encres de plusieurs couleurs, une feuille de papier aquarelle sur laquelle j’ai calligraphié son prénom, plusieurs fois, utilisant des modèles d’écriture anglaise, romaine, gothique...
— Oh, j’adore !
— C’est tout l’art de la calligraphie.
— Dis, Bonne-Maman, tu pourrais m’apprendre ? Mes copines seront épatées ! Je te parie qu’elles voudront essayer aussi !
... Et lâcher leur smartphone pour tenir un porte-plume ?
Je rêve ?
Pour sourire, je vous prose:"Trouver basket à son pied!"
Les copines auront sans doute beaucoup de plaisir à apprendre l'art de la calligraphie, mais le smartphone ne sera certainement pas très loin...
Un texte très agréable à lire !