Dépression

Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut être les deux.

Le noir. Un mot si simple mais pourtant si complexe. Pour vous, le noir signifiera tristesse, tragédie ou deuil. Pour moi, le noir ne sera qu'obscurité . Ce mot désignant assez bien l'histoire de ma vie.
J'ai 40ans, je suis noire et dépressive. Vous vous demandez sûrement pourquoi je précise que je suis noire. Chez moi, en Afrique, être dépressif est considéré comme une "affaire des blancs". Le noir est censé être une personne forte, capable de tout supporter. Peu importe si tu as été blessé, déçu, déchiré, tu te dois d'être fort. Il n'est pas interdit de pleurer, mais ça ne doit pas durer une éternité. Ici les hommes se cachent pour pleurer et les femmes sourient pour oublier.
Dans chaque aspect de ma vie, dans chaque journée qui passait, j'ai été formée à éteindre mes tristesses. Les femmes te noyant de calomnies et d'hypocrisie, et les hommes, de mépris et d'envie. Mais tous n'ont qu'un seul but, te rendre fort. Tel un baobab dans la forêt, je me dois de rester debout, peu importe la pluie qui pénètre chaque morceau de mon écorce, peu importe le vent qui déchire et emporte mes feuilles dans un lointain horizon, peu importe le soleil qui me transperce de son ardente chaleur.
Mais à la longue, même le bois le plus résistant finit par vieillir, laissant entrevoir des failles pour de grands ennemis, le rongeant jusqu'à l'oubli. J'étais devenue ce bois, qui auparavant était resplendissant de force mais qui aujourd'hui se plie sous l'effet de la brise.
J'ai une belle vie. J'avais une belle vie. Médecin réputé, mariée à un homme merveilleux et mère d'enfants brillants. Tant de charges et de responsabilités. Au début, on se dit "si les autres y sont arrivés, alors pourquoi pas moi?". Oubliant que la vie était maître aux jeux de hasard. Je n'avais pas prévu que mon mari me serait infidèle jusqu'à cou, que mes enfants deviendraient des voleurs et que je serai poursuivie pour faute professionnelle. Mais malgré ça je devais rester forte. Je devais supporter. Si possible assassiner ces terreurs qui me rongent de l'intérieur et en faire mon sacerdoce quotidien.
Chaque jour je m'enfonçais dans ma noirceur, creusant encore et encore, espérant trouver un coin plus sombre. A l'hôpital, mon nombre de patients avait diminué. Les infirmières les envoyant expressément vers d'autres confrères. Mon mari multipliait les aventures et réclamait repentance à chaque fois. Je ne comptais plus le nombre de bijoux qu'il m'offrait pour excuser ses infidélités. Mes enfants, aussi brillants qu'ils étaient, s'étaient laissés aller à la dépravation. Je ne comptais plus les nuits où Ils étaient absents sans donner signe de vie. Mais j'étais là. Il fallait bien quelqu'un pour dire "oui la famille se porte bien. Grâce à Dieu. Il nous a aidé à surmonter nos difficultés". Chaque jour je me recitais cette phrase, telle une prière, espérant qu'elle se réalise un jour. Mais je savais que ça n'arriverait pas. Quelque chose s'était brisé dans ma famille. Quelque chose s'était brisé dans ma vie.
Chaque jour la noirceur se faisait plus profonde. J'avais décidé de fermer mes yeux, de me laisser conduire telle une barque sur le flot de la vie. Je n'étais plus de taille à lutter. Je ne voulais plus lutter.
Suis-je dans le noir ? Ai-je fermé mes yeux ? Je ne saurais vous le dire avec exactitude. Tout n'est qu'obscurité pour moi.