De l'été de la lavande

Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux. La conscience est assombrie et le corps est détendu. Je reste languissamment allongé sur un plancher en bois chaud et j’essaie de me rendre compte où je suis et comment je me suis retrouvé ici. Et au moment où j'attrape l'odeur astringente des herbes, je comprends bien : je suis dans les foyers.

La lavande. Elle est partout. Elle me voite de tous les côtés en pénétrant sous mon habillement, emmêlant mes cheveux avec une épaisseur melliflue et remplissant toute ma tripe. Je la respire comme je te respirais auparavant.

Je rencontre de la main une lampe de poche et la sors. Une lueur blême frappe aux sachets de lavande soigneusement empilés. Ma mamie, elle faisait toujours des trucs comme ça. Je me lève à peine, examinant le grenier. Alors, rien n'a changé, tout est comme dans mon enfance : des mobiliers, des fleurs séchées, du miel en pots.

Je descends lentement les escaliers et je m'approche de mon ancienne chambre. Il fait lourd. Il fait chaud. Tout est comme en été.

Je vais au bureau, je cherche un stylo en triant la papeterie d'où la poussière tombe constamment. Et voilà le stylo qui ressemble par son parme à celui dont je t’ai écrit. Mais c'était après. Or tout d'abord c’était l’été.

Je ferme les yeux en inhalant l'odeur de la lavande dans laquelle je semble vivre. Elle est partout. Elle est toujours.

Nous folâtrions dans les champs et cueillions des fleurs. Les vieux paysans nous criaient en agitant leurs chapeaux. Tu riais en tout temps et disais que les gens devaient partager de belles choses. Même si ce n’était pas encore le moment de les cueillir, tu voulais prendre un peu de joie verte parce que c’était ce moment-là où tu pouvais le faire.

Tu disais qu’il fallait vivre jour après jour. Et nous vivions. Nous profitions de la journée venante et nous faisions nos adieux à la soirée partante de tout cœur.

Nous étions toujours ensemble. Et des fleurs étaient toujours avec nous.

J’ouvre mes yeux et regarde le stylo. Je prends un papier vierge, je commence à écrire. Et pendant tout ce temps il n’y a que la lavande dans ma tête. Mais toi ?

Nous avons passé tout l'été dans la cour de ma grand-mère. Elle habitait au voisinage de toi. Ma maison était à quelques pas de la tienne, mais c’était trop loin de toi, de l'odeur de la lavande qui émanait de tes cheveux. Tu dansais souvent en secouant la tête, alors l’arôme des fleurs, doux et enivrant, se répandait sur la place de notre village.

Il a pénétré tes cheveux, il a pénétré ta peau. On aurait dit que tu en étais imprégnée de la tête aux pieds.

Nous cousions des chapeaux ridicules avec des voiles pour nous protéger des abeilles. Je croyais qu'elles étaient nos amies et ne nous piqueraient jamais. Après tout, elles voulaient aussi jouer aux touffes de la lavande en savourant son nectar. Tout comme nous. Étions-nous les abeilles ? Bzz-bzz... Probablement, parce que nous muions également les herbes en quelque chose de bon et incroyablement utile. Nous faisions du savon avec nos mères et récoltions du miel avec nos pères. C’était sûr qu’à cause du dernier les abeilles se sont tant montées contre nous. L’une s’est faufilée sous la toile fine et m’a piqué. Tu as arraché ton chapeau au trot pour m’aviser et examiner mieux, alors apporter des soins.

En effet, c’était un égarement d’agir imprudemment au péril de la sécurité en vue de faire une politesse à l’autre. Ou non ?

En tout cas, ensuite nous étions assis sous le porche et pleurions de la douleur, or le ciel pleurait avec nous. Il était beau, de la couleur grise lavandée. Maintenant je sais que toute notre époque conjointe, passée ensemble, pourrait être nommée lavandée.

Sais-tu ce que ça signifiait ?

Je voudrais que tu aies su.

Nous triturions des herbes sèches de l'année dernière par désœuvrement. Ma mamie grommelait souvent, mais ça nous était égal, n'est-ce pas ? Nous étions des enfants et nous ne comprenions pas toujours des valeurs.

Ta mère nous infusait la tisane, et au ce moment-là je me figeais devant une tasse odorante en mirant le vapeur épais au-dessus d’elle, où je te voyais au mirage.

Tu me regardais narquoisement et faisais de l'œil, tellement insouciante et joyeuse. Toi, pour ta part, tu ne savais pas là que tu allais agir comme ça par la trahison de ton rêve d’enfant et il en résulte que moi.

Je mets à côté le papier et commence à tripoter le stylo. C'était peut-être brutal de te traiter de cette manière-là. Telles lettres, oublie-les si tu peux. Mais au premier lieu comprends : je ne pouvais pas faire autrement.

Ta robe violacée claire frémissait en plein vent. J’étais assis au grenier chez mamie en regardant la fenêtre sur laquelle l’averse tambourinait de longue durée. Il est apparu que tes talons tambourinaient sur des carreaux de pierre dans le même registre. Tu t’en fuyais de l’été, de la lavande, de moi sans laisser même un sillage de parfum floral. La ville faisait miroiter à tes yeux, et tu suivais à tâtons son appel ayant quitté ceux qui avaient besoin de ta présence.

Ça fait des années. Et dans mon âme sombre ton fantasme ne s'obscurcit plus. Il a encore le relent de la teinte lavandée.