Corse et âmes

Toute ma vie a été bercée par la littérature, la poésie, et le théâtre. J'ai pris la plume très tôt, et bien que légère elle donna du poids à mes mots, qui devinrent des récits, des ... [+]

Image de Portez haut les couleurs ! - 2020

— Je vous préviens : dans deux semaines nous allons affronter les Lionnes de Nice pour la finale de la ligue des champions. Alors c'est terminé la charcuterie, les fromages, les fiadone et les canistrelli.
Désormais vous allez bouffer des pompes, de la gym et du Gr20 jusqu'à ce que mort s'ensuive !

La voix de Monsieur Giabanelli, appelé Giaba par l'équipe de Hand féminine de Bastia, les " Corsaires " résonnait jusque dans les montagnes du col de Teghime.

— Tu crois qu'il plaisante ? s'inquiéta Janine.
— Qui a parlé ?
— C'est moi coach !
— Est-ce que j'ai une tête de comique ?
— Non coach !
— Alors tu vas me faire dix fois le tour du terrain en petite foulée, et que ça saute !
— Dix fois ? Le coach a perdu la tête ! On n'est pas en Corée du Nord !
— Laetitia, j'ai reconnu ta voix ! Merci pour ton intervention ! Les filles, vous allez toutes faire vingt fois le tour terrain, sauf toi Laetitia. Tu vas les regarder ! Elles te remercieront après.

Giaba était sur les nerfs. La finale de ligue des champions de handball féminin tenait toute la Corse en haleine. C'était la première fois que "les Corsaires" se qualifiaient, et une telle chance ne se représenterait pas de sitôt. Alors pas question pour lui de baisser les bras. L'évènement faisait la une du journal télé " Via Stella ".
Sur le magnifique parcours du GR20, les odeurs du maquis embaumaient les narines : la chlorophylle, la terre humide, la bruyère, les arbousiers,le romarin. Les sept handballeuses ne sentaient plus la fatigue, dopées par l'idée de la victoire. Les paysages magnifiques s'offraient à leurs yeux de Conca en passant par les aiguilles de Bavella.

Nice. Salle de sport de l'Arena :

Les Lionnes s'entraînaient d'arrache-pied. Tony, dit Toto, leur entraîneur, ne ménageait pas ses efforts :

— Juju, purée ouvre les yeux ! Passe à Nath, passe à Nath punaise, tire ! Yes !
Des deux côtés de la méditerranée, la rudesse de l'entraînement n'épargnait personne.

J -6 : Ajaccio :

Les Corsaires attendaient, sur le quai de la gare, le train pour Ajaccio. Elles y sont attendues pour disputer un match amical contre l'équipe des tornades rouges. Le score fut sans appel, 21 à 2 pour les Bastiaises. Elles ont pourtant joué
" mollo " pour ne pas risquer de se blesser avant le match décisif.

J -5 : Le coach redéfinit l 'équipe :

Les filles, par le passé vous avez déjà affronté les Lionnes. Elles vous connaissent par cœur, elles ont étudié tous vos matchs à la loupe. Nous devons les surprendre et les déstabiliser. Nous allons réorganiser l'équipe :

— Janine, désormais tu passes demi-centre.
— Quoi mais...
— Laetitia, du deviens ailier droit.
— Mais coach vous...
— Vos gueules les mouettes ! Michèle, tu es goal.
— Giaba, j'ai jamais ...
— Camélia, ailier gauche, Anna arrière droit, Sophie arrière gauche, et Alexandra, pivot, et n'ouvrez pas vos gueules sauf pour dire «  merci chef ! » Si vous voulez cette foutue victoire, c'est comme ça que vous l'aurez, allez ouste, direction le gymnase en petites foulées !

J -4 : Séance bien-être chouchoutage :

Les filles sirotaient tranquillement leurs cocktails de jus de fruits entre deux séances de spa et les massages du kiné de l'équipe. Le coach n'était pas qu'un dictateur sanguinaire.

J -3 : Séance de méditation de relaxation :

Les yeux rivés sur l'énorme écran led, les Corsaires visionnaient tous les matchs de leurs adversaires en écoutant Vivaldi.

J -2 : Entraînement et petit resto sympa :

Toute l'équipe les remplaçantes se lâchent et se régalent au resto : La taverne Corse.
Entrée : salade, plat de résistance salade, dessert, salade, arrosée dune bonne eau minérale, et la, j'vous raconte pas de salades.

J -1 : Voyage à Nice et nuit à l'hôtel :

— Les filles demain on doit se donner à fond !
— J'aimerais tellement que ma mère me voit jouer .
— Le monde entier te verra jouer, Michèle, t'inquiète !
— Oui mais le monde entier c'est pas ma mère.
— Bon ok les filles, on s'reprend, demain, on gagne et on est fêté en héroïnes nationales, ou...
— Il n'y a pas de ou qui tienne ! On est les championnes, on va les avoir les Niçoises, on va leur montrer ce que c'est que d'êtres Corses !

Jour J : La salle est comble. Les clameurs s'élèvent de la salle omnisport de Nice Arena. Tous les supporters Bastiais ont fait le déplacement. Les drapeaux Corses, une tête de maures sur fond blanc côtoient les drapeaux Niçois, l'aigle rouge avec une couronne, entouré de deux branches de lauriers dans un très festif ballet aérien. Giaba et Toto, assis côte à côte, se saluent.

Les Corsaires sont resplendissantes dans leurs belles tenues bleues. Les Lionnes arborent un maillot rouge et blanc. Les deux équipes se font face. Le tirage au sort désigne les Lionnes pour l'engagement. Le coup de sifflet de l'arbitre retentit. C'est Véro qui engage. Très vite, un, deux, trois pas en dribblant, passe à Cathy qui est contrée par Sophie des Corsaires, qui s'empare de la balle, virevolte, un, deux, trois, passe à Janine, tir stoppé par Nadège. Les Bastiaises mènent par 5 à 0 à la première mi-temps ; La foule exulte, Giaba s'arrache les cheveux qu'il aurait bien voulu avoir, Toto est paralysé, les yeux exorbités. Engagement par les Corsaires, la balle circule, de main en main, on saute, on court, on se contre, de passe en passe, de tir en tir, jets de coin...plus que deux minutes de jeu. Les Lionnes sont désormais à égalité, c'est bientôt la fin du match.

Mumu se lance dans un dribble endiablé, virevoltant et zigzagant entre ses adversaires avec une extraordinaire habileté. Michèle, la goal Bastiaise ne la quitte plus des yeux, les genoux semi fléchis. La foule exulte, Mumu s'apprête à tirer la défense ne peut la contrer. La balle, au ralenti, hors du temps, prend son envol de la zone des sept mètres, un cri retentit, plus fort que tout les autres :

— Vas-y ma Chérie, vas-y mon amour, bloque la balle !
— Mamaan !

Le regard de Michèle se tourne vers les gradins, la balle entre dans les filets et c'est le but !

— Mamaan ! Michèle quitte sa cage, les yeux en larmes elle court rejoindre sa mère dans les gradins. Le coup de sifflet de l'arbitre retentit. Les coachs sont médusés. L'équipe, qui vient de réaliser ce qui vient de se passer sous leurs yeux est en pleurs ! Elles pleurent en groupe, en cercle, elles pleurent non pas la défaite, mais l'émotion des retrouvailles. Michèle et sa maman sont dans les bras l'une de l'autre ; Les Lionnes oublient la victoire et vont rejoindre les Corsaires, dans une immense ronde, et pleurer avec, en s'embrassant, dans une immense joie. La salle applaudit. Les spectateurs sont en liesse. L'arbitre y va de sa larme, les coachs se donnent l'accolade en larmoyant.

Devant les caméras de télé, Giaba descend sur le terrain prend le micro, le silence s'installe devant la solennité du moment:

« Ce soir, deux valeureuses équipes se sont affrontées ; Elles se sont préparées à cet affrontement sportif de haut niveau. La victoire ou la défaite, il fallait choisir. Pourtant, ce soir, ce sont les sentiments qui ont triomphé.
Par-delà le sport, par-delà les rivalités, par-delà les clivages, l'amour entre une mère et sa fille ont été plus important que ce magnifique match. Avant d'être des sportifs, nous sommes des êtres humains, avec des valeurs, des émotions, des joies et des peines. Le sport, ça n'est pas que la rivalité, le sport c'est aussi le respect de toutes les valeurs humaines qui nous permettent de nous dépasser, le sport c'est aussi l'amour de son prochain.Ce soir, nous nous sommes donnés corps et âmes, et malgré le score, nous n'avons pas perdu. Ce soir, c'est l'amour qui a gagné.

On est Corses dans l'âme, on s'est donné corps et âmes. Il n'y a pas que la victoire qui compte, il y a aussi toutes les valeurs du sport. L'amitié, le fairplay, le respect. Nous avons disputé un match de haute lutte, et au-delà de la victoire, au-delà des différences, nous avons découvert et montré au monde ce qu'est l'âme de la corse. Simu Corsi è simu fieri, issa lissa ! »