Confessions d'une nuit

Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? peut-être les deux.
Où est-ce-que je suis ? Qu'est-ce-que je fais ici ? Comment ai-je fait pour me retrouver là, au fond de cet abysse ? J’essaie de remonter vers mes souvenirs, mais désespérant d'arpenter l'abrupte mémoire ; je déchois de nouveau en mon lit.
La télévision a cessé son irritant murmure, avec ses vagues incessantes d'actualités. D’autres voix plus proches ont pris le relai. D’ici, je perçois les rires et les cris, la musique aussi, agressive ; ce doit sûrement être une fête... Par-delà les murs, ils me parviennent absolus. Qu’est-ce-qui les rend donc si bruyants ? Si heureux ? Je ne sais pas ! Il y'a longtemps que j'ai le sentiment de ne plus appartenir à l'humanité ordinaire, de ne plus comprendre le monde dans lequel je vis pourtant. Les sons me causent des déchirures à l'audition, j'ai l'impression que l'on m'envoie des boules épineuses dans les oreilles et que l'on me les enfonce jusqu'aux tympans et de là ils prolongent leur itinéraire et mon supplice vers mon cerveau et me causent un atroce mal de tête...Le jour se lèvera-t-il un jour ? Selon toute vraisemblance non !
Qu'est-ce-que j’entends ? Le martèlement de quelques gouttes...progressivement elles s’accentuent, puis la pluie commence à tomber pour de bon ! Une délivrance ! Enfin, toute la troupe jacassière va disparaître avec cette symphonie. Je me laisse hypnotiser par la mélodie uniforme et rassérénante. Le bruit a été englouti ! Je me fourre dans mes couvertures. Une sensation d'apaisement ! Enfin ! Bonne nuit ! Bonne nuit ! Puis tout cesse, assez rapidement, désagréablement ; l'enchantement disparaît ! La nuit est devenue maintenant taciturne. Je peux désormais mesurer l'étendue de ma solitude...Ce n'est certainement pas de cette veille que procèdera quelconque révélation...J'ai beau questionner mon existence, l’avenir demeure dans son opaque mutisme. Ma voûte infinie restera le plafond très bas qui ne révèle aucune constellation pour m'illuminer dans l'incertitude de cette nuit. Je n'arrive plus à bouger ! J’ai peur ! Qui pour ouvrir cette porte avec la clef du salut et pour apporter dans cette chambre lumière et paix. Une compagnie, n’importe laquelle !...
Je fais un effort pour me relever, une pression sur la commande, le téléviseur est rallumé...Tout continue comme d'habitude : informations, sport, séries, cinéma... je zappe...Mon attention est requise par l'exposition de corps nus...Je m'arrête...Une crudité dégueulasse, avec les chairs qui éclatent à l'écran, les organes consciencieusement exposés, je ressens ça comme une contrainte, comme si on essayait de m'écarquiller les yeux pour voir quelque chose dont je n'en ai absolument pas envie. Et leurs gestes prévisibles de mécaniques...Je m'aperçois que je ne ressens que du dégoût et aucun désir ne serait-ce qu’infime... Décidément ! j'éteins de nouveau...Le silence revient à son apogée...Seule ma respiration hocquetante le conteste récurrement...Je pense à ma petite amie Alice, Alice, si elle était là ! Ce serait différent...Mon ancienne petite amie plutôt...Les raisons de notre rupture ! C’est moi qui ai mis un terme à la relation. Mais pourquoi donc ? Je dois faire un certain effort pour m'en rappeler ! Ah oui je m’en rappelle ! Elle m'ennuyait terriblement. A toujours réclamer des attentions, à n'en plus finir...Les femmes surtout veulent être aimées ou haïes, elles ne supportent pas de souverain dédain.... Maintenant je me sens idiot...je regrette vraiment...On aurait pu bien être heureux ensemble ! Mais qu’est-ce-qui m’a pris ? Il me vient une envie éruptive de lui écrire. C’est un peu bizarre, surtout à cette heure. Que vas-t-elle penser de mon attitude ? En tout cas, je me lance. Il est trop tard ! Dans cette situation, je n'ai plus rien à perdre. Je prends mon téléphone, son numéro, je l'avais déjà effacé de mon répertoire. Heureusement je ne l'ai pas encore oublié. Je compose les chiffres. Puis sur le clavier, j’entame un assez long message « Bonsoir Alice. Je sais que je me suis mal comporté envers toi ! Je le regrette sincèrement crois-moi ! S’il te plaît, pardonne-moi ! Oublions tout ! Je sais que c'est facile pour moi de te dire cela après t'avoir fait du mal, mais je te promets de changer mon comportement à ton égard. Et d'être un homme tel que tu le souhaites ! »
Au bout d'une heure d'attente vaine, je m'impatiente, elle n'a toujours pas répondu. Mais à quoi m’attendais-je ? Il est trop tard maintenant. C’était pourtant prévisible...Et je m'en sors juste avec une humiliation probable...Je me recouche. Au secours ! Ayez pitié ! Je suis dans de beaux draps !
Le ciel a enfin répondu à ma complainte...Deux compagnons surgissent, ils ont dû écouter mon appel ; un cafard, une souris font leur apparition fugitive...Il ne reste plus que les cris de quelques grillons et mon escorte sera complète. Aucune promesse !
Dans l'état où je me trouve, je n'accepterais plus aucune visite...Je suis trop susceptible pour exposer à autrui mon abandon et ma misère actuelles...La pluie a cessé, mais une autre averse plus violente se prépare...Les nuages opaques s’accumulent au niveau des paupières et les gouttes tombent sur mes joues et bientôt l'oreiller est mouillé ! Je fais un véritable effort pour ne pas suffoquer, je me relève et prends une feuille de papier toute blanche, je m'assieds, un stylo en main. Peut-être l’éclaircie viendra si je recueille toutes mes obsessions... Il reste des reliques de larmes, je ne réussis qu'à transcrire du vide, toute inspiration me fuit prudemment et je pense au suicide. Ce serait vraiment une solution assez facile. Quelques secondes et le temps aura disparu et la torture de la vie aura cessé, la dévorante mort pourra consumer ce petit corps fragile qui frétille. J'hésite sur les moyens ; le couteau ?non, mon bras manque de vigueur pour me l'enfoncer ;la pendaison ? mais le plafond est si bas que je ne peux y accrocher aucune corde...Il faudrait un poison qui abrègerait tout de façon insidieuse...mais cette nuit ne recèle aucun expédient et je me dois d’attendre le jour jusqu'au bout...Au fond, il me manque juste le courage et je dois continuer à vivre avec toutes les compromissions quotidiennes possibles... Locataires de l’indifférence, je ne connais plus que des bas et des bas.
Il y'a loin de l'enfance désormais, où je m'endormais et je ne me réveillais qu'au matin...nul trouble dans mon sommeil pas même le songe. Les jours alors déroulaient leur anneau bienveillant...
Une lueur irradie faiblement la pièce à travers le rideau de la fenêtre et les interstices de la porte. Elle vient subrepticement, puis elle éclate. Quelques cris d'oiseaux...Le matin arrive avec son éblouissante brutalité. Un tour dans la glace me conforte sur le désarroi de mon état, le crâne étoilé de cheveux ébouriffés...un visage raviné de rides...des yeux exorbités et froissés...le regard errant...cette bouche avec une moue aigrie et le corps indolent ratatiné sous l’action des années...J'ouvre enfin ! Immersion dans la clarté ! La voisine d'en face me voyant sortir lance un Bonjour, bien dormi ? avec un sourire radieux. En essayant de la mimer, je réplique « Plutôt bien et chez toi ? » - « Bien, passe une bonne journée » - « Merci meilleur à toi ». J’ai repris mes habitudes d’homme « civilisé ». Le monde se reconstitue et il redéploie avec lui toutes ses exigences...Rien ne s’est passé !