Je voudrais ta main sur ma joue
Près de toi renverser la frayeur de mon front
Je voudrais ton épaule au creux du... [+]
Comme un tableau de feu et de glace
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« Je déjeunais dans un restaurant du village de Tencin. En face de moi, la lumière brisée en guipure descendait des montagnes aux pics festonnés de rinceaux bleu pâle. Cela s’agitait comme des volants de dentelles. Les murs du restaurant étaient couverts de tableaux. L’un deux m’attira. Quelque chose dans ce tableau reflétait bien ce que je voyais bouger au dehors.
Quelque chose de dépaysant.
J’en fus troublé.
Le gérant intercepta cet instant. Il me dit simplement :
– C’est un tableau de Calès, le peintre en soutane, celui qui peignait à cru sur les rochers pour ne pas rater la lumière. Ici, elle fugue. »
Quand Samuel me raconta cette histoire, il avait encore une émotion mouillée accrochée dans ses yeux et sur ses lèvres, l’envie de dire des mots qu’il cherchait sans les trouver.
Alors je lui proposai d’aller entendre Calès « vocaliser la réalité, transmettre son admiration pour les beautés des montagnes. »
– Et si on y allait au-devant de Calès et de ses illuminations ?
Samuel accepta de faire le chemin du peintre, d’aller à la rencontre d’une perception, d’être à l’affût des couleurs, de ne rien perdre des bruissements, de se pencher dans les anfractuosités lorsque les roches ouvrent leurs écorchures.
En quittant l’auberge où nous avions posé nos effets de moindre importance, une zone de taillis échevelés se frotta contre nos chevilles. Les longues tiges des roseaux s’écartaient. Une chantourne s’écoulait sur les cailloux, jouait de l’onde en palpitant le long des bermes des herbes aquatiques sous l’ombrage des saules pleureurs.
Dans les tapis de characées, joncs et fluteaux secouaient leurs coiffes. Le lycope aux feuilles dentées libérait ses frottements dans le trop plein de luminescence. L’épilobe hirsute en hérissant ses poils sur ses longs pédoncules rendait un son ténu repris par une grive musicienne.
Les troncs fuligineux se miraient plongeant leurs branches qui se reflétaient tels des stalactites dans l’eau frémissante sous la houppelande des feuillus. On entendait l’orgue des flots argentés parcourus par une douce clarté de notes.
Puis la vallée de Grésivaudan s’ouvrit comme dévalant d’un ciel luisant s’échappant d’une coupole couturée de filaments nacrés.
C’était les premiers jours de l’été. Les cornouillers sanguins levaient leurs rameaux comme pour présenter le ciboire de leurs graminées dans un ciel s’effilochant sous les coups de pinceau d’une brume capricieuse.
Nous approchions des poirées à cardes rouges quand les oseilles sanguines aux veines gonflées d’encre rouge sang giclèrent. Même les genévriers ouvrirent leurs paupières.
Le chaudron des dorines bouillonnait, libérait les fastes inouïs d’une vallée entourée de sentinelles perchées sur les crevasses. Si au bout de chaque rivière et de chaque chemin, il y avait une montagne, au bout de l’horizon, il y avait une passion. Elle coulait sur la palette du peintre. Il en était imprégné lui, le feu follet des moraines et plus il sentait monter en lui la sève des menthes sauvages, plus il avait eu besoin de la plaquer au couteau sur de larges toiles comme si embrasser le ciel dans de longues écharpes parvenaient à le rassasier.
Plus on avançait, plus on comprenait son œuvre. Au contact d’une présence cachée dans les fissures et les encoignures des toits émergeant des villages floutés, dans les voiles d’un œil globuleux nappant de diamant les hauts pics neigeux, le temps n’avait plus cours, le temps s’isolait.
Arrivés devant la corniche d’où s’étalait une vue nimbée de folle amplitude, il nous sembla voir le peintre devant son gigantesque tableau s’efforçant de capturer les teintes oscillant dans les strates de tons fauve que prenait le soleil enchâssé comme dans un ostensoir.
Parvenu à rejoindre la béatitude, absorbé par ce cantique qui éclatait sur les crêtes et les versants déchiquetés sur lesquels s’accrochait le nuancier de blanc et de gris, pouvait-il s’arrêter de peindre quand, sachant sa dernière heure venue, il demandait encore son pinceau, criant aux herbes chères de s’attendrir sur sa tombe ? Il souhaitait que les fibres de lin de sa toile couvrent la pierre pour laisser sur le marbre la marque rouge du géranium, le jaune du pissenlit, l’émeraude du millepertuis, le mauve de la salicaire.
Mais le plus dépaysant, nous le vécûmes à la tombée des lumières. Nous eûmes beau chercher ce qui avait préludé à son approche, nous ne trouvâmes rien que le passage d’un vent plus frais.
Le ciel commença à rougir comme des grappes de lobélie cardinale. L’horizon fut strié de cardes rouges. Le jour s’enlisait dans un cratère béant de lueurs fantomatiques. Des flambées de faisceaux grenat, traînées sanguinolentes comme des jonchées de feuilles d’érable apparurent. Après la coulée de lave pourpre sur les toits assombris, un tourbillon de fumée rougeâtre explosa son feu d’émotions qui couvaient. Des torches écarlates s’allumèrent.
Quand l’incarnat des nuages s’allongea sur le clocher du village, on crut qu’un soupir dans un abandon intime s’exhalait.
A chaque coin du paysage, vous irez à la rencontre d’une luciole, au détour de chaque sentier vous entendrez un bruit d’écorces, au loin vous verrez couler des larmes de sang et d’encre.
Un peintre ne pouvait qu’y voir la manifestation ensorcelante d’une puissance à l’écart, distante des espèces environnantes, montrant les expressions changeantes d’un visage ému, gardant une profonde connexion avec l’humain. Ces vibrations, ces hasards qui transposent des touches de sublime dans l’humilité des attentes, génèrent plusieurs variations qui vagabondent, ne durent que quelques fractions d’instants qui se figent d’ambre et de perles en suspension dans l’air. C’était comme si on entendait des appels à une contemplation étonnée du monde.
Dans ces espaces de solitude, il est plus que temps de converser avec le silence.
Quelque chose de dépaysant.
J’en fus troublé.
Le gérant intercepta cet instant. Il me dit simplement :
– C’est un tableau de Calès, le peintre en soutane, celui qui peignait à cru sur les rochers pour ne pas rater la lumière. Ici, elle fugue. »
Quand Samuel me raconta cette histoire, il avait encore une émotion mouillée accrochée dans ses yeux et sur ses lèvres, l’envie de dire des mots qu’il cherchait sans les trouver.
Alors je lui proposai d’aller entendre Calès « vocaliser la réalité, transmettre son admiration pour les beautés des montagnes. »
– Et si on y allait au-devant de Calès et de ses illuminations ?
Samuel accepta de faire le chemin du peintre, d’aller à la rencontre d’une perception, d’être à l’affût des couleurs, de ne rien perdre des bruissements, de se pencher dans les anfractuosités lorsque les roches ouvrent leurs écorchures.
En quittant l’auberge où nous avions posé nos effets de moindre importance, une zone de taillis échevelés se frotta contre nos chevilles. Les longues tiges des roseaux s’écartaient. Une chantourne s’écoulait sur les cailloux, jouait de l’onde en palpitant le long des bermes des herbes aquatiques sous l’ombrage des saules pleureurs.
Dans les tapis de characées, joncs et fluteaux secouaient leurs coiffes. Le lycope aux feuilles dentées libérait ses frottements dans le trop plein de luminescence. L’épilobe hirsute en hérissant ses poils sur ses longs pédoncules rendait un son ténu repris par une grive musicienne.
Les troncs fuligineux se miraient plongeant leurs branches qui se reflétaient tels des stalactites dans l’eau frémissante sous la houppelande des feuillus. On entendait l’orgue des flots argentés parcourus par une douce clarté de notes.
Puis la vallée de Grésivaudan s’ouvrit comme dévalant d’un ciel luisant s’échappant d’une coupole couturée de filaments nacrés.
C’était les premiers jours de l’été. Les cornouillers sanguins levaient leurs rameaux comme pour présenter le ciboire de leurs graminées dans un ciel s’effilochant sous les coups de pinceau d’une brume capricieuse.
Nous approchions des poirées à cardes rouges quand les oseilles sanguines aux veines gonflées d’encre rouge sang giclèrent. Même les genévriers ouvrirent leurs paupières.
Le chaudron des dorines bouillonnait, libérait les fastes inouïs d’une vallée entourée de sentinelles perchées sur les crevasses. Si au bout de chaque rivière et de chaque chemin, il y avait une montagne, au bout de l’horizon, il y avait une passion. Elle coulait sur la palette du peintre. Il en était imprégné lui, le feu follet des moraines et plus il sentait monter en lui la sève des menthes sauvages, plus il avait eu besoin de la plaquer au couteau sur de larges toiles comme si embrasser le ciel dans de longues écharpes parvenaient à le rassasier.
Plus on avançait, plus on comprenait son œuvre. Au contact d’une présence cachée dans les fissures et les encoignures des toits émergeant des villages floutés, dans les voiles d’un œil globuleux nappant de diamant les hauts pics neigeux, le temps n’avait plus cours, le temps s’isolait.
Arrivés devant la corniche d’où s’étalait une vue nimbée de folle amplitude, il nous sembla voir le peintre devant son gigantesque tableau s’efforçant de capturer les teintes oscillant dans les strates de tons fauve que prenait le soleil enchâssé comme dans un ostensoir.
Parvenu à rejoindre la béatitude, absorbé par ce cantique qui éclatait sur les crêtes et les versants déchiquetés sur lesquels s’accrochait le nuancier de blanc et de gris, pouvait-il s’arrêter de peindre quand, sachant sa dernière heure venue, il demandait encore son pinceau, criant aux herbes chères de s’attendrir sur sa tombe ? Il souhaitait que les fibres de lin de sa toile couvrent la pierre pour laisser sur le marbre la marque rouge du géranium, le jaune du pissenlit, l’émeraude du millepertuis, le mauve de la salicaire.
Mais le plus dépaysant, nous le vécûmes à la tombée des lumières. Nous eûmes beau chercher ce qui avait préludé à son approche, nous ne trouvâmes rien que le passage d’un vent plus frais.
Le ciel commença à rougir comme des grappes de lobélie cardinale. L’horizon fut strié de cardes rouges. Le jour s’enlisait dans un cratère béant de lueurs fantomatiques. Des flambées de faisceaux grenat, traînées sanguinolentes comme des jonchées de feuilles d’érable apparurent. Après la coulée de lave pourpre sur les toits assombris, un tourbillon de fumée rougeâtre explosa son feu d’émotions qui couvaient. Des torches écarlates s’allumèrent.
Quand l’incarnat des nuages s’allongea sur le clocher du village, on crut qu’un soupir dans un abandon intime s’exhalait.
A chaque coin du paysage, vous irez à la rencontre d’une luciole, au détour de chaque sentier vous entendrez un bruit d’écorces, au loin vous verrez couler des larmes de sang et d’encre.
Un peintre ne pouvait qu’y voir la manifestation ensorcelante d’une puissance à l’écart, distante des espèces environnantes, montrant les expressions changeantes d’un visage ému, gardant une profonde connexion avec l’humain. Ces vibrations, ces hasards qui transposent des touches de sublime dans l’humilité des attentes, génèrent plusieurs variations qui vagabondent, ne durent que quelques fractions d’instants qui se figent d’ambre et de perles en suspension dans l’air. C’était comme si on entendait des appels à une contemplation étonnée du monde.
Dans ces espaces de solitude, il est plus que temps de converser avec le silence.
Merci beaucoup d'avoir visité ma serre !
C'est intéressant de connaître comment les lecteurs abordent un texte , le perçoivent et expriment leur ressenti .
J'ai pris plaisir à lire votre " Reviens"