Tu ne m’as pas prévenu, t’avais rien laissé à découvert, juste un plan gribouillé sur l’emballage carton de ta dernière gourmandise, des... [+]
Comme un cadeau
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Elle est entrée en hésitant dans la grande salle d’attente de l’hôpital. Des pas menus, presque glissés. Ses cheveux blancs, comme de la gypsophile, frisottent sous le bonnet de laine. Elle me fait penser à un santon hérité de mes parents : une dame âgée et souriante penchée sur un ouvrage de dentelle.
Elle a pris place à côté de moi, laissant entre nous la chaise vide qui garantit la distanciation.
Les patients – une douzaine – attendent qu’on les appelle pour la prise de sang. Une infirmière apparaît régulièrement à l’entrée des cabines, prononce un nom à haute voix. Quelqu’un se lève, rassemble sac et manteau, laisse tomber un parapluie, chiffonne son journal en le repliant, coupe rapidement son portable :
— Je te rappelle plus tard, c’est mon tour. Ciao, ciao, ciao…
Un uniforme blanc surgit dans l’encadrement de la porte. La soignante appelle un nom compliqué et repart sans attendre de réaction vers les cabines, persuadée que l’appelé lui emboîte déjà le pas.
Ma voisine me regarde avec insistance :
— Lievens, je m’appelle Lievens… je n’entends pas très bien.
— Rassurez-vous, ce n’est pas encore vous. Si vous voulez, je vous ferai signe.
Elle me remercie d’un plissement des yeux et je devine le sourire rassuré qu’elle m’adresse sous son masque.
On m’appelle au guichet. Vérification administrative. Quand je reviens, la place est occupée à côté de madame Lievens. Je m’assieds un peu plus loin, à portée de regard. Je sais qu’elle compte sur mes oreilles.
Plusieurs appels se succèdent. La salle se désemplit peu à peu au fur et à mesure que les patients sont happés par le couloir des prélèvements. Ils en sortent en rajustant leur veste ou leur écharpe, se désinfectent une énième fois les mains. Ceux qui attendent encore titillent leur téléphone, lisent, bâillent… les minutes coulent dans un silence gêné, à regret, comme les gouttes qui perlent sur la cuiller en bois des confitures cuites.
Pas drôle, l’antichambre des cancéreux…
Un papillon appelle :
— Madame Lievens ?
J’adresse un signe encourageant à la petite dame. Elle veut se lever, retombe sur la chaise, s’agrippe au radiateur et s’efforce de se mettre debout. Vaine tentative. Elle vacille. J’hésite une seconde : la crainte du virus me retient. Surtout ne toucher personne ! Elle va tomber… Mon regard croise à cet instant précis un brancardier qui arrive en sens inverse. Il lit dans mes yeux, découvre la dame qui titube et l’attrape en deux pas de géant.
— Prenez mon bras, Madame, je vous aide.
— C’est trop gentil, Monsieur.
— Vous savez, moi quand je vois une jolie femme, je ne peux pas m’empêcher de lui proposer une promenade.
C’est un « lève-toi et marche » tellement galant ! Il a parlé haut et fort. Tout le monde a levé la tête, a entendu la plaisanterie, a souri. C’est comme si des paillettes de bonne humeur s’étaient répandues dans la pièce. Des regards amusés s’échangent. Instant magique qui tire chacun de sa léthargie.
La dame aux cheveux de neige pose une main diaphane sur le bras de son chevalier servant. Elle retrouve l’équilibre et m’adresse un clin d’œil tandis que leur couple s’approche doucement des cabines.
Ah, le pouvoir d’un compliment !
Elle a pris place à côté de moi, laissant entre nous la chaise vide qui garantit la distanciation.
Les patients – une douzaine – attendent qu’on les appelle pour la prise de sang. Une infirmière apparaît régulièrement à l’entrée des cabines, prononce un nom à haute voix. Quelqu’un se lève, rassemble sac et manteau, laisse tomber un parapluie, chiffonne son journal en le repliant, coupe rapidement son portable :
— Je te rappelle plus tard, c’est mon tour. Ciao, ciao, ciao…
Un uniforme blanc surgit dans l’encadrement de la porte. La soignante appelle un nom compliqué et repart sans attendre de réaction vers les cabines, persuadée que l’appelé lui emboîte déjà le pas.
Ma voisine me regarde avec insistance :
— Lievens, je m’appelle Lievens… je n’entends pas très bien.
— Rassurez-vous, ce n’est pas encore vous. Si vous voulez, je vous ferai signe.
Elle me remercie d’un plissement des yeux et je devine le sourire rassuré qu’elle m’adresse sous son masque.
On m’appelle au guichet. Vérification administrative. Quand je reviens, la place est occupée à côté de madame Lievens. Je m’assieds un peu plus loin, à portée de regard. Je sais qu’elle compte sur mes oreilles.
Plusieurs appels se succèdent. La salle se désemplit peu à peu au fur et à mesure que les patients sont happés par le couloir des prélèvements. Ils en sortent en rajustant leur veste ou leur écharpe, se désinfectent une énième fois les mains. Ceux qui attendent encore titillent leur téléphone, lisent, bâillent… les minutes coulent dans un silence gêné, à regret, comme les gouttes qui perlent sur la cuiller en bois des confitures cuites.
Pas drôle, l’antichambre des cancéreux…
Un papillon appelle :
— Madame Lievens ?
J’adresse un signe encourageant à la petite dame. Elle veut se lever, retombe sur la chaise, s’agrippe au radiateur et s’efforce de se mettre debout. Vaine tentative. Elle vacille. J’hésite une seconde : la crainte du virus me retient. Surtout ne toucher personne ! Elle va tomber… Mon regard croise à cet instant précis un brancardier qui arrive en sens inverse. Il lit dans mes yeux, découvre la dame qui titube et l’attrape en deux pas de géant.
— Prenez mon bras, Madame, je vous aide.
— C’est trop gentil, Monsieur.
— Vous savez, moi quand je vois une jolie femme, je ne peux pas m’empêcher de lui proposer une promenade.
C’est un « lève-toi et marche » tellement galant ! Il a parlé haut et fort. Tout le monde a levé la tête, a entendu la plaisanterie, a souri. C’est comme si des paillettes de bonne humeur s’étaient répandues dans la pièce. Des regards amusés s’échangent. Instant magique qui tire chacun de sa léthargie.
La dame aux cheveux de neige pose une main diaphane sur le bras de son chevalier servant. Elle retrouve l’équilibre et m’adresse un clin d’œil tandis que leur couple s’approche doucement des cabines.
Ah, le pouvoir d’un compliment !
Si vous le souhaitez mais sans aucune obligation vous pouvez venir lire mon dernier poème.
https://short-edition.com/fr/oeuvre/poetik/melange-des-sens?all-comments=1&update_notif=1612008108#fos_comment_4686622
Amicalement.
Tout le début dans la salle d’attente baigne dans une ambiance qui ne rappelle pas précisément de bons souvenirs.
La fin est symbolique et me laisse sur une bonne impression : « au bas de l’échelle » des soignants, la chaleur humaine reste spontanée.