Cœur en torture : Coronavirus

Quand ta colère fait meubler mon âme d'émotions... Quelques larmes stillent à l'orée de mes paupières, reliques d'une plaie peu profonde C'est te mentir si du regard j'ai l'air gagnant...

« Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux ».
Cette phrase, Yannice l’avait encore à ses lèvres, quand il sentit ramper sur ses joues deux sillons de larmes salées d’amertume et de confusion. Plus tôt dans la journée, sa mère avait été testée positive à un virus, d’origine étrangère semble-t-il, mais dont la cruauté ne laissait aucune chance à ses victimes d’échapper à la dernière demeure. Aussi, la peur de voir s’achever la vie de sa mère dans une salle d’hôpital, affluait constamment dans sa tête un ruisseau d’inquiétudes qui semblait irriguer son pessimisme. Deux ans auparavant, c’était son père qui succombait à ses blessures après s’être fait agresser au couteau. Au funérarium, le corps immolé semblait promettre au jeune-homme et à sa mère une flopée de souvenirs, lesquels finiraient tôt ou tard par archiver le rôle qu’il avait tant aimé jouer de son vivant, celui d’un père attentionné, probe et responsable. Mais alors que les jours peinaient à lui faire accepter cette réalité, la terreur semblait de retour, prête à rajeunir la souffrance du garçon.
Privé de sa mère, Yannice alla dans le jardin s’isoler sous un dais de verdure en dormance. Cela faisait maintenant une heure qu’il meublait son silence d’une question qui malaxait sa réflexion, « pourquoi ? ». La tristesse et la colère tournaient au vinaigre son humeur. Pire, les doutes le fiançaient au désespoir. La vie, il la voulait comme la plupart d’autres gens, mais pas au prix de ceux qu’il aimait tant. Tous ces drames étaient-ils donc fatidiques ? Ses larmes ne servaient-elles qu’à suppléer au tourment ? Et de celles de sa mère, que pouvait-on bien en dire ?
Le soleil s’était couché à son habitude quand Yannice leva ses yeux érubescents, où tant de larmes avaient bouilli ! Il maintint sa tête entre ses deux mains pleurant à mi-voix et observa le ciel se dévêtir de ses gris nuages, révélant une intimité constellée. Presqu’au même instant, la lune se montra et versa sa lueur sur une trainée de brouillard qui semblait offusquer la vue du jeune-homme. Ainsi, fardé d’étoiles et de luisance sélène, le ciel ouvrit à son inspiration un chapelet de paroles qu’il récita d’un trait comme s’il les lisait dans un diurnal. Ouvrant sa bouche, où se trouvaient loger deux rangées de dents éburnées, Yannice gémit :
« Dieu, juste au cas où vous existeriez, souvenez-vous que mes larmes ne vous sont pas neuves. Sous une motte de terre là-bas, des larves digèrent mon père. Longtemps je me suis menti à moi-même en croyant qu’il nous reviendrait, quand bien même de ce monde vous le saviez déjà chassé. Et pourquoi ?
Jour après jour, j’ai la mémoire alourdie par les souvenirs qui me redessinent son visage. L’oublier m’aurait été sans doute simple si ma soif de lui avait bu l’eau du Léthé, mais voilà que la vie n’a de sens que pour mon nez qui la respire. Mes mots c’est vrai peinent à vous décrire ma souffrance. Et malheur à moi si je me contentais de multiplier les raisons qu’il y a de croire que l’avenir compensera le passé ; car il reste des plaies à cicatriser, des coups à resubir et des chagrins à faire maigrir avec des larmes. Qu’ai-je donc à vous dire que vous ne sachiez ?
De cet adolescent aux yeux baveux ayez pitié, vous qui avez un cœur habitué à cela...
Dans ce monde où tant de promesses peinent à trouver leur concrétude, la peur et le désespoir peuvent faire du mal à bien des gens fragiles comme moi...»
Dès qu’il eut finit d’ailer son oraison pour ainsi dire, Yannice retourna dans sa chambre, lampa un verre d’eau, après quoi le sommeil lui scella les yeux.
Au matin, ce furent les pleurs de l’horloge qui l’aidèrent à déjouquer. La pendule au mur indiquait 7h30. Il plaça devant ses yeux une paire de verres et mit de l’ordre dans sa literie. Il alla au salon, s’assit sur une causeuse, le regard un peu rêveur. Le fixe gronda et Yannice couru y répondre. « Allô », dit-il. « Maman ? » « C’est bien toi ? » « Je vais bien. Et toi, et toi maman ? » « Que disent les soignants, c’est quoi ce qui va pas ? » « Hein ! Du Coro quoi ? Qu’est-ce que c’est encore ?». « Tu rentres donc pas aujourd’hui ? »...« En quarantaine ! C’est si grave que ça ? » « Non, pour la maison t’as pas à t’en faire, j’en prendrai grand soin ; là où est la poussière, là ira l’aspirateur...». Il parlait encore, quand de l’autre côté il se fit un silence. Non que sa mère fût morte, mais son appel avait atteint son but, celui de s’assurer que son fils était épargné du mauvais sort.
Yannice mit en marche la télé pour s’informer. D’ordinaire il ne le faisait pas, au prétexte que la radio et la télé furent inventées pour polluer l’oreille humaine de mauvaises nouvelles. Il croyait dur comme fer que tous les médias mutilaient l’information pour faire mentir la vérité. De plus, il n’y avait pas pour lui d’usage plus saint du téléphone que celui de s’en servir pour écouter du rap. Cette musique lui chantait à l’oreille ses thèmes de prédilection dont l’argent, le sexe, la priapée, et même l’intempérance ; tout « le génie d’un vestiaire, celui de la rébellion », protestait assez souvent son oncle Rudel. Les réseaux sociaux l’intéressaient peu et après tout, c’est au babillement et à l’itinérance que ses sorties nocturnes l’avaient habituées...
Il prit la commande, tomba sur l’actualité internationale de 8h00 sur TV5 Monde. C’est alors qu’il sut que sa mère souffrait d’une maladie clairement létale, le Coronavirus. Cette maladie avait, aux dernières nouvelles, fait beaucoup de victimes en Chine, en Italie, en France et aux États-Unis. Et que ce fut au tour de sa mère de courir au-devant d’une mort certaine, cela se pouvait. Cet afflux d’informations mit en déroute ses émotions ; la panique féconda sa peur. Il zappa, encore et encore, mais partout l’information fut la même, au détail près. Toutes les chaînes chuchotaient sur cette affaire avec une insistance qui ridiculisait son ignorance. Le déluge médiatique à ce sujet était d’une cacophonie hors pair !
Ce fut là le début d’une implacable anxiété, d’autant plus que son effroi jouait les cassandre. L’optimisme et les larmes s’apprêtaient à œuvrer pour amortir sa peine.
Troublé, il prit son cellulaire et téléphona à sa sœur aînée Anna, étudiante en Italie, pour la mettre au fait.
« Allô »
« Alô, Buongiorno »
« Anna arrête ton babélisme, c’est Yannice »
« Yannot ? Ah ! Ah ! J’en reviens pas ! Depuis quand ton phone sert à passer les appels ? »
« Ouais c’est ça ; t’as oublié qu’à un moment de leur vie les gens cessent de ressembler à leurs habitudes ? »
« Pouah ! Toi et les tiennes êtes siamois. Alors whats’up ? »
« Eh bien il whats’up que maman s’est coronavirée, voilà ! »
« Non ! »
« Oui ! »
« Oh non ! »
« Mais Puisque je te le dis ! Hier matin elle se plaignait d’avoir mal au buste... Maman étant de nature hypocondriaque, j’en ai abduis que ce n’était rien de très grave. Mais je me trompais ! »
« Et comment t’as su que c’était du corona ? »
« A-t-on besoin d’être Pythie pour le savoir ? »
« Yannot un peu de respect ! »
« Je m’en excuse »
« Mais non ! Après papa... » (Yannice l’interrompit)
« Dis pas ça, je suis sûr qu’elle va en guérir »
« Ici en Italie, c’est pire Yannot ! L’ubiquité du virus accule à la psychose. Et les rues sont barricadées de sorte que la liberté ne peut s’y mouvoir. Mais qu’à cela ne tienne, appelle oncle Rudel et dis-lui surtout que maman a besoin de nous. D’accord ? »
« D’accord ».
Il voulut appeler Rudel comme l’en avait priée Anna, mais il se ravisa. Il s’était rappelé à sa mémoire que Rudel était un homme de principes, un rigoriste fieffé. Les rumeurs prétendaient même à son sujet qu’il était plus saint qu’une Bible et un Coran réunis ensemble. Il lui parut donc tentant d’appeler Carl, son meilleur ami, dont l’histoire racontait que les parents seraient morts d’une foudre.
Après avoir téléphoné à Anna et à Carl, Yannice prit un paquet de corn-flakes, en versa le contenu dans une saucière et les crémouilla. Puis balayant le salon d’un prompt regard, la solitude l’isola.