La maison me déplut d’emblée. Pas seulement à cause de son aspect lugubre, mais parce qu’il s’en dégageait quelque chose de malsain, comme si un venin l’imbibait jusqu’aux poutres... [+]
« À l’abordage, à l’abordage », il est marrant mon père… Facile à dire du fond de son canapé avec sa femme qui fait la vaisselle. Il aborde quoi, lui, au juste ? À part son sixième apéro ? Et puis, il la connaît pas, lui, Clélia, il sait pas comment mon cœur déraille quand je la regarde, j’ai l’impression qu’il va fondre et exploser en même temps. L’autre jour, à la récré, mon copain Fabrice, lui aussi expert en conseils, m’a dit d’aller lui parler, « va lui parler » qu’il me dit. « Va lui parler », ce type est fou ! Vous savez, vous, que c’est pas possible… Non, c’est pas possible d’aller « lui parler », pas pour moi en tout cas. Des fois, j’ai l’impression qu’elle me regarde et que ça lui chatouille le ventre, mais les impressions, on sait ce que ça vaut… J’en mourrai si elle m’envoie bouler, ou pire, si elle est bien douce et bien gentille, comme avec un petit débilou. « Oh, Lucien, voyons ! Je suis très flattée de ta proposition, mais, hélas, nul n’a d’empire sur ses sentiments ; le cœur a ses raisons comme dit la chanson ». C’est pas une chanson connasse ! Et puis elle continuerait, « tu sais, je suis très flattée, Lucien ! Un bon gaillard comme toi, des tas de filles voudraient ma place. OH LUCIEN, TU COMPRENDS CE QUE JE DIS ? MOI, TRES FLATTEE, TOI TRES GENTIL ! ».
Vous voyez bien, c’est pas possible, c’est atroce, cauchemardesque, inhumain, seuls les autres peuvent encaisser ça, pas moi. Moi, je suis différent… « Ah ça pour être différent, tu l’es différent, je t’aurais dressé comme il moi, sans ta mère pour m’empêcher… résultat, une demi-fiotte même pas capable de faire son coming-out ! Dis-le, que t’aime les zboubs, allez répète après moi : « papa, j’aime les zboubs, je veux en être, je veux me faire empapaouter du soir au matin » ». « Dis, Jean-Paul, tu vas le laisser tranquille un petit peu ? J’emmène le gosse chez ma mère, hein, j’te préviens, comme la fois où tu lui a lavé les dents avec la brosse à chiottes ». Ah ça lui ferait une belle-famille sympa à la Clélia ! Une belle aventure humaine, une dérive à la Guy Debord ! Je vais lui en créer, moi, des situations, y’a qu’à franchir le périph’ et s’arrêter à la mairie d’Aubervilliers, on est tous là, papa, maman, la bonne et moi. Tous. À part la bonne.
Elle est là, sur son petit banc, toujours à la même place, avec sa copine Bérénice. C’est même une sorte d’amie qu’elle possède, le genre qui confesse, le genre exclusif, jaloux, qui fait des chichis. Le genre que je dois me mettre dans la poche, sauf que Bérénice, personne peut la saquer, si je lui pique sa copine, pardon, son « amie », elle va pas l’entendre de la même oreille. J’ai dans l’idée que ça lui plairait pas des masses de passer ses récrés à faire semblant de textoter. Non, il faudrait que je m’octroie subtilement les faveurs de ce boudin ingrat. Du reste, est-ce que Clélia n’aurait pas mauvais fond, au fond, de se faire mousser grâce à l’autre laideron ? De profiter du contraste ? Pas très chic, ça, Mademoiselle, vous me décevez beaucoup. Ou alors elle lui offre son amitié envers et contre tout ? Sans se soucier des apparences ? Quelle belle nature ? Quelle âme haute et charitable ? Comment ai-pu pu penser toutes ces horreurs ? Il faut vraiment que je sois un petit vicieux, un incurable dégénéré pour voir le mal partout. Il a raison mon père, je vaux pas un pet…
Allez, j’y vais, je m’en fous, hop, ce sera fait. « Bonjour Clélia, tu me plais beaucoup, est-ce que ça te dit un petit Cacolac après les cours ? ». C’est bon le Cacolac, mais ça fait un peu petit gros des Goonies qui invite la reine du bal. « Un Tropico ? Bien frais c’est une parcelle de paradis sur la langue, et quand ça te coule dans la gorge, huuummm, c’est, haaannn ». C’est ça, branle-toi devant elle aussi tant que tu y est, ça ira plus vite ! « Un ice-tea ? », oui c’est bien ça, ni trop ni pas assez, sobre, efficace. On s’en fout un peu de la boisson, non ? Pas tant que ça. Qui parle, bordel ? L’auteur, le mec qui essaie d’écrire cette histoire. Même qu’il a pas de chute. Ah, ok ! Excuse-moi, je suis un peu à cran. Pas de souci. Bon courage. Lol.
Putain, putain, putain, allez whffou, whffou, j’y vais. Non, je peux pas. Allez (mouvements de boxe), j’y suis, ça y est, trop tard, je me lance, c’est par…
– Lucien ?
Elle me regarde avec ses grands yeux gentils et doux, un peu étonnés, je suis propulsé à des années-lumière, spectateur de la scène, ce n’est pas ma voix, pas mon corps, pas moi.
– Tu connais mon prénom ?
– Bien sûr, je connais les prénoms de tout le lycée.
– Ouais, genre boy-scout quoi. (J’imite le salut, au cas où elle aurait pas compris).
– Tu as quelque chose contre ?
– C’est plutôt les curés qui ont quelque chose contre, genre, leur bite, si tu vois ce que je veux dire !
Elle me jette un long regard triste et s’en va, sa copine l’accompagne en se retournant vers moi avec des yeux furieux. Mon père a parlé à travers moi, ça mettra longtemps à me passer.
Vous voyez bien, c’est pas possible, c’est atroce, cauchemardesque, inhumain, seuls les autres peuvent encaisser ça, pas moi. Moi, je suis différent… « Ah ça pour être différent, tu l’es différent, je t’aurais dressé comme il moi, sans ta mère pour m’empêcher… résultat, une demi-fiotte même pas capable de faire son coming-out ! Dis-le, que t’aime les zboubs, allez répète après moi : « papa, j’aime les zboubs, je veux en être, je veux me faire empapaouter du soir au matin » ». « Dis, Jean-Paul, tu vas le laisser tranquille un petit peu ? J’emmène le gosse chez ma mère, hein, j’te préviens, comme la fois où tu lui a lavé les dents avec la brosse à chiottes ». Ah ça lui ferait une belle-famille sympa à la Clélia ! Une belle aventure humaine, une dérive à la Guy Debord ! Je vais lui en créer, moi, des situations, y’a qu’à franchir le périph’ et s’arrêter à la mairie d’Aubervilliers, on est tous là, papa, maman, la bonne et moi. Tous. À part la bonne.
Elle est là, sur son petit banc, toujours à la même place, avec sa copine Bérénice. C’est même une sorte d’amie qu’elle possède, le genre qui confesse, le genre exclusif, jaloux, qui fait des chichis. Le genre que je dois me mettre dans la poche, sauf que Bérénice, personne peut la saquer, si je lui pique sa copine, pardon, son « amie », elle va pas l’entendre de la même oreille. J’ai dans l’idée que ça lui plairait pas des masses de passer ses récrés à faire semblant de textoter. Non, il faudrait que je m’octroie subtilement les faveurs de ce boudin ingrat. Du reste, est-ce que Clélia n’aurait pas mauvais fond, au fond, de se faire mousser grâce à l’autre laideron ? De profiter du contraste ? Pas très chic, ça, Mademoiselle, vous me décevez beaucoup. Ou alors elle lui offre son amitié envers et contre tout ? Sans se soucier des apparences ? Quelle belle nature ? Quelle âme haute et charitable ? Comment ai-pu pu penser toutes ces horreurs ? Il faut vraiment que je sois un petit vicieux, un incurable dégénéré pour voir le mal partout. Il a raison mon père, je vaux pas un pet…
Allez, j’y vais, je m’en fous, hop, ce sera fait. « Bonjour Clélia, tu me plais beaucoup, est-ce que ça te dit un petit Cacolac après les cours ? ». C’est bon le Cacolac, mais ça fait un peu petit gros des Goonies qui invite la reine du bal. « Un Tropico ? Bien frais c’est une parcelle de paradis sur la langue, et quand ça te coule dans la gorge, huuummm, c’est, haaannn ». C’est ça, branle-toi devant elle aussi tant que tu y est, ça ira plus vite ! « Un ice-tea ? », oui c’est bien ça, ni trop ni pas assez, sobre, efficace. On s’en fout un peu de la boisson, non ? Pas tant que ça. Qui parle, bordel ? L’auteur, le mec qui essaie d’écrire cette histoire. Même qu’il a pas de chute. Ah, ok ! Excuse-moi, je suis un peu à cran. Pas de souci. Bon courage. Lol.
Putain, putain, putain, allez whffou, whffou, j’y vais. Non, je peux pas. Allez (mouvements de boxe), j’y suis, ça y est, trop tard, je me lance, c’est par…
– Lucien ?
Elle me regarde avec ses grands yeux gentils et doux, un peu étonnés, je suis propulsé à des années-lumière, spectateur de la scène, ce n’est pas ma voix, pas mon corps, pas moi.
– Tu connais mon prénom ?
– Bien sûr, je connais les prénoms de tout le lycée.
– Ouais, genre boy-scout quoi. (J’imite le salut, au cas où elle aurait pas compris).
– Tu as quelque chose contre ?
– C’est plutôt les curés qui ont quelque chose contre, genre, leur bite, si tu vois ce que je veux dire !
Elle me jette un long regard triste et s’en va, sa copine l’accompagne en se retournant vers moi avec des yeux furieux. Mon père a parlé à travers moi, ça mettra longtemps à me passer.
Je vous invite également à soutenir ma peinture: https://short-edition.com/fr/oeuvre/strips/dumbledores-tattoo-1