Ce soir-là, l’alcool empourprait les joues d’Hagrid plus que d’habitude. Il entonnait un vieux chant anglais, passait du rire aux larmes puis des larmes au rire. Il ne savait plus trop su... [+]
Un jour, Morgan Wolfe m’avait confié que le blanc était la seule couleur qu’il aimait. « Le blanc est une couleur honnête, m’avait-il dit. Sur le blanc, je distingue clairement les ombres qui m’entourent. Sur les autres couleurs, elles s’évanouissent et viennent me hanter lorsque je m’y attends le moins. Oui, j’aime le blanc. » Et il avait ricané. Le genre de ricanement qui ne vous inspire que la fuite. Cependant, il suffisait de réprimer cet instinct et Morgan vous invitait dans son monde : un univers de noir et de blanc, d’ombres et de clarté. A ma connaissance, je suis la seule à y être entrée. Je suis donc la seule à pouvoir vous raconter qui était vraiment Morgan Wolfe.
*
Les premiers rayons du soleil s’infiltrèrent par la fenêtre de l’appartement de Morgan. Il dormait, raide comme une statue de marbre : seules ses lèvres serrées trahissaient qu’un souffle de vie l’animait encore. Il semblait souffrir en silence, en proie à un terrible cauchemar. La lumière claire du matin s’engouffrait dans la pièce avec de plus en plus de force, jusqu’à tirer Morgan de son sommeil. Ses yeux s’ouvrirent et son visage avec eux. Son expression crispée se détendit tandis qu’il se levait avec difficulté. Sa chambre ne comportait aucune décoration. Les murs étaient placardés de grandes feuilles blanches qui renvoyaient intensément la lumière matinale. Il ouvrit lentement une armoire, révélant une série de t-shirts et de pantalons tous identiques, immaculés. Il saisit ses vêtements du jour et les enfila dans le plus grand calme.
La salle de bain présentait un aspect tout aussi spartiate. Chaque objet était disposé selon une précision dont un géomètre aurait été envieux. Quand Morgan y entra, on aurait cru voir un spectre : son pas était léger et son visage ne laissait voir aucune émotion. Sa main plana au-dessus des rasoirs avant d’en choisir un. Ses mouvements dignes d’un chirurgien frôlèrent ses joues, les délivrant peu à peu de la mousse qui les entourait. Soudain, un tremblement incontrôlé secoua ses muscles, faisant chavirer sa main. Une ligne rouge fleurit sur sa joue. Morgan se fixa dans le miroir puis passa son pouce sur sa blessure, effaçant la trace écarlate. Il porta son doigt à sa bouche et savoura le goût métallique du sang. Le rouge avait disparu, tout était rentré dans l’ordre. Une bonne journée commence parfois par une petite mésaventure...
Il arriva dans la cuisine de son pas spectral et s’assit à table. Il y avait déjà quatre tranches de pain disposées symétriquement dans l’assiette, un bloc de beurre accompagné d’un couteau arrondi et un pot de confiture de fraises. Il beurra systématiquement les quatre tartines et les garnit d’une quantité égale de confiture. Il les trancha toutes méthodiquement en deux avant de les manger. Il nettoya ensuite le couteau taché de rouge. Lorsque ce dernier fut redevenu étincelant, il ouvrit un tiroir pour le ranger à côté d’autres de divers types. Morgan examina chaque outil soigneusement. Il finit par prendre un couteau à cran d’arrêt. La lame, récemment graissée, renvoya un bref éclair de lumière dans les yeux orageux de Morgan avant de se replier silencieusement dans son manche. L’ombre d’un sourire tordit ses lèvres pâles et il s’en alla de chez lui.
Sur le seuil, Morgan hésita. Il jeta un regard méfiant aux alentours. Personne. Il huma un moment l’air, comme le ferait une bête sauvage avant d’avancer hors de sa tanière. Le vent frais d’un matin d’automne lui ébouriffait les cheveux, accentuant cette aura intimidante qui émanait de lui. Il marcha jusqu’à une petite place. Il s’assit sur un banc juste en face de la vitrine d’un café et se mit à examiner les clients.
Un vieillard devant son journal. Pourquoi se préoccupait-il de l’actualité ? Morgan pouvait distinguer son ombre derrière son dos voûté. C’était une ombre fatiguée d’exister. Elle portait en elle beaucoup de rancœur envers ce monde moderne. Cet homme venait d’un autre temps et cette époque l’insupportait. Alors pourquoi faire semblant de s’y intéresser, avec cet air faussement concerné ? Une jeune femme avec son bébé. Tous deux avaient des ombres déjà similaires. La mère imprégnait son enfant de ses angoisses, de ses démons et de son hypocrisie. Elle gazouillait tendrement quelques mots doux à son fils mais Morgan ne pouvait ignorer leurs ombres. Il cracha. Pourquoi s’obstinait-on à se reproduire ? A quoi bon perpétrer l’espèce alors même que l’humain n’est qu’un échec ?
Il ne comprenait personne, et personne ne le comprenait. Il ne détestait pas les hommes. Il ne détestait que les ombres. L’incarnation de la noirceur des humains. Ces derniers pouvaient être aussi souriants et courtois qu’ils le souhaitaient. Cette lumière artificielle qu’ils dégageaient ne cachait que les ténèbres des ombres. Celles-ci le hantaient, le torturaient, lui vrillaient l’esprit de leur obscurité. Et il ne connaissait qu’un remède : les faire disparaître. Les percer d’un éclair de lumière pure.
Huit heures étaient passées et Morgan se tenait toujours hors du café, immobile. Huit heures étaient passées quand il la vit. L’ombre qui avait hanté son cauchemar de cette nuit. Un homme venait de s’asseoir à la table du café, son ordinateur devant lui. Il portait des vêtements colorés et un sourire conquérant. Plein de jeunesse et d’énergie, il buvait du café tout en tapant vivement sur les touches de son ordinateur. Il lançait des vannes à la serveuse et son rire résonnait un peu trop fort. Un peu trop faux. Car son ombre était énorme, pleine de vices et de mensonges. Une ombre manipulatrice, le genre d’ombre qui soumet toutes les autres, les nourrissant peu à peu. Morgan ne le lâchait pas du regard. Une seconde de distraction et elle se serait échappée. Elle serait revenue dans le cauchemar. Il fallait s’en débarrasser.
L’homme paya sa consommation et sortit. Morgan déplia ses membres d’automate et le suivit. L’inconnu emprunta quelques ruelles, marchant d’un pas joyeux. A quelques pas derrière lui, les mains enfoncées dans les poches, Morgan ne perdait aucun de ses mouvements. Il n’y avait personne dans la rue. Il accéléra. Il ne supportait pas être si proche des ombres, il pouvait presque entendre leur cri silencieux déchirer l’air. Autant en finir au plus vite.
Une main imposante se plaqua sur la bouche de l’inconnu. Ses pieds se soulevèrent du sol tandis qu’il brassait l’air de ses bras. Il sentit qu’on l’entrainait dans une ruelle sombre. On l’écrasa contre un mur, lui broyant la gorge. Ses yeux écarquillés aperçurent la lueur menaçante d’une lame. Un éclair métallique déchira l’obscurité et une douleur intense parcourut son œil, puis son crâne. Il s’écroula sur les pavés, tandis que son agresseur s’éloignait lentement. L’homme était mort, mais l’ombre aussi. Incapable de revenir hanter les vivants, elle s’écoula en une flaque noire sur le sol, se mêlant au sang de celui qui l’avait portée.
Le matin d’après, les rayons du soleil éclairèrent une nouvelle fois Morgan Wolfe, raide comme un sarcophage, le visage crispé, plongé dans un cauchemar. Il descendit précautionneusement du lit, ouvrit son armoire et choisit un t-shirt et un pantalon blancs. Il entra silencieusement dans la salle de bain. Il se rasait quand un tremblement secoua son bras. Une fine ligne rouge apparut sur sa joue. Il essuya sa blessure et porta son pouce teinté de rouge à ses lèvres. Un rictus déforma son visage. Une bonne journée commence parfois par une petite mésaventure...
*
Voilà l’homme que je connus. Je sais que beaucoup ne seront pas convaincus par mon témoignage et persisteront à ne pas croire aux ombres, à voir dans ce liquide noir retrouvé près des corps une quelconque cause rationnelle. Je sais que beaucoup d’entre vous recherchent ici le monstre qu’on vous a présenté. Mais chacun cache un monstre. Lui fut rattrapé par sa propre noirceur ; vous et moi en recelons aussi. Et si ne vous ne me croyez pas, attendez de croiser la route d’un chasseur d’ombres...
*
Les premiers rayons du soleil s’infiltrèrent par la fenêtre de l’appartement de Morgan. Il dormait, raide comme une statue de marbre : seules ses lèvres serrées trahissaient qu’un souffle de vie l’animait encore. Il semblait souffrir en silence, en proie à un terrible cauchemar. La lumière claire du matin s’engouffrait dans la pièce avec de plus en plus de force, jusqu’à tirer Morgan de son sommeil. Ses yeux s’ouvrirent et son visage avec eux. Son expression crispée se détendit tandis qu’il se levait avec difficulté. Sa chambre ne comportait aucune décoration. Les murs étaient placardés de grandes feuilles blanches qui renvoyaient intensément la lumière matinale. Il ouvrit lentement une armoire, révélant une série de t-shirts et de pantalons tous identiques, immaculés. Il saisit ses vêtements du jour et les enfila dans le plus grand calme.
La salle de bain présentait un aspect tout aussi spartiate. Chaque objet était disposé selon une précision dont un géomètre aurait été envieux. Quand Morgan y entra, on aurait cru voir un spectre : son pas était léger et son visage ne laissait voir aucune émotion. Sa main plana au-dessus des rasoirs avant d’en choisir un. Ses mouvements dignes d’un chirurgien frôlèrent ses joues, les délivrant peu à peu de la mousse qui les entourait. Soudain, un tremblement incontrôlé secoua ses muscles, faisant chavirer sa main. Une ligne rouge fleurit sur sa joue. Morgan se fixa dans le miroir puis passa son pouce sur sa blessure, effaçant la trace écarlate. Il porta son doigt à sa bouche et savoura le goût métallique du sang. Le rouge avait disparu, tout était rentré dans l’ordre. Une bonne journée commence parfois par une petite mésaventure...
Il arriva dans la cuisine de son pas spectral et s’assit à table. Il y avait déjà quatre tranches de pain disposées symétriquement dans l’assiette, un bloc de beurre accompagné d’un couteau arrondi et un pot de confiture de fraises. Il beurra systématiquement les quatre tartines et les garnit d’une quantité égale de confiture. Il les trancha toutes méthodiquement en deux avant de les manger. Il nettoya ensuite le couteau taché de rouge. Lorsque ce dernier fut redevenu étincelant, il ouvrit un tiroir pour le ranger à côté d’autres de divers types. Morgan examina chaque outil soigneusement. Il finit par prendre un couteau à cran d’arrêt. La lame, récemment graissée, renvoya un bref éclair de lumière dans les yeux orageux de Morgan avant de se replier silencieusement dans son manche. L’ombre d’un sourire tordit ses lèvres pâles et il s’en alla de chez lui.
Sur le seuil, Morgan hésita. Il jeta un regard méfiant aux alentours. Personne. Il huma un moment l’air, comme le ferait une bête sauvage avant d’avancer hors de sa tanière. Le vent frais d’un matin d’automne lui ébouriffait les cheveux, accentuant cette aura intimidante qui émanait de lui. Il marcha jusqu’à une petite place. Il s’assit sur un banc juste en face de la vitrine d’un café et se mit à examiner les clients.
Un vieillard devant son journal. Pourquoi se préoccupait-il de l’actualité ? Morgan pouvait distinguer son ombre derrière son dos voûté. C’était une ombre fatiguée d’exister. Elle portait en elle beaucoup de rancœur envers ce monde moderne. Cet homme venait d’un autre temps et cette époque l’insupportait. Alors pourquoi faire semblant de s’y intéresser, avec cet air faussement concerné ? Une jeune femme avec son bébé. Tous deux avaient des ombres déjà similaires. La mère imprégnait son enfant de ses angoisses, de ses démons et de son hypocrisie. Elle gazouillait tendrement quelques mots doux à son fils mais Morgan ne pouvait ignorer leurs ombres. Il cracha. Pourquoi s’obstinait-on à se reproduire ? A quoi bon perpétrer l’espèce alors même que l’humain n’est qu’un échec ?
Il ne comprenait personne, et personne ne le comprenait. Il ne détestait pas les hommes. Il ne détestait que les ombres. L’incarnation de la noirceur des humains. Ces derniers pouvaient être aussi souriants et courtois qu’ils le souhaitaient. Cette lumière artificielle qu’ils dégageaient ne cachait que les ténèbres des ombres. Celles-ci le hantaient, le torturaient, lui vrillaient l’esprit de leur obscurité. Et il ne connaissait qu’un remède : les faire disparaître. Les percer d’un éclair de lumière pure.
Huit heures étaient passées et Morgan se tenait toujours hors du café, immobile. Huit heures étaient passées quand il la vit. L’ombre qui avait hanté son cauchemar de cette nuit. Un homme venait de s’asseoir à la table du café, son ordinateur devant lui. Il portait des vêtements colorés et un sourire conquérant. Plein de jeunesse et d’énergie, il buvait du café tout en tapant vivement sur les touches de son ordinateur. Il lançait des vannes à la serveuse et son rire résonnait un peu trop fort. Un peu trop faux. Car son ombre était énorme, pleine de vices et de mensonges. Une ombre manipulatrice, le genre d’ombre qui soumet toutes les autres, les nourrissant peu à peu. Morgan ne le lâchait pas du regard. Une seconde de distraction et elle se serait échappée. Elle serait revenue dans le cauchemar. Il fallait s’en débarrasser.
L’homme paya sa consommation et sortit. Morgan déplia ses membres d’automate et le suivit. L’inconnu emprunta quelques ruelles, marchant d’un pas joyeux. A quelques pas derrière lui, les mains enfoncées dans les poches, Morgan ne perdait aucun de ses mouvements. Il n’y avait personne dans la rue. Il accéléra. Il ne supportait pas être si proche des ombres, il pouvait presque entendre leur cri silencieux déchirer l’air. Autant en finir au plus vite.
Une main imposante se plaqua sur la bouche de l’inconnu. Ses pieds se soulevèrent du sol tandis qu’il brassait l’air de ses bras. Il sentit qu’on l’entrainait dans une ruelle sombre. On l’écrasa contre un mur, lui broyant la gorge. Ses yeux écarquillés aperçurent la lueur menaçante d’une lame. Un éclair métallique déchira l’obscurité et une douleur intense parcourut son œil, puis son crâne. Il s’écroula sur les pavés, tandis que son agresseur s’éloignait lentement. L’homme était mort, mais l’ombre aussi. Incapable de revenir hanter les vivants, elle s’écoula en une flaque noire sur le sol, se mêlant au sang de celui qui l’avait portée.
Le matin d’après, les rayons du soleil éclairèrent une nouvelle fois Morgan Wolfe, raide comme un sarcophage, le visage crispé, plongé dans un cauchemar. Il descendit précautionneusement du lit, ouvrit son armoire et choisit un t-shirt et un pantalon blancs. Il entra silencieusement dans la salle de bain. Il se rasait quand un tremblement secoua son bras. Une fine ligne rouge apparut sur sa joue. Il essuya sa blessure et porta son pouce teinté de rouge à ses lèvres. Un rictus déforma son visage. Une bonne journée commence parfois par une petite mésaventure...
*
Voilà l’homme que je connus. Je sais que beaucoup ne seront pas convaincus par mon témoignage et persisteront à ne pas croire aux ombres, à voir dans ce liquide noir retrouvé près des corps une quelconque cause rationnelle. Je sais que beaucoup d’entre vous recherchent ici le monstre qu’on vous a présenté. Mais chacun cache un monstre. Lui fut rattrapé par sa propre noirceur ; vous et moi en recelons aussi. Et si ne vous ne me croyez pas, attendez de croiser la route d’un chasseur d’ombres...
Les miennes s'en sortent mieux. Vous tentent-elles ?
https://short-edition.com/fr/oeuvre/tres-tres-court/lemancipation-des-ombres-1