Cet interdit attirant

Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux. Je peine encore à croire que tout cela soit réel. Les yeux arrondis, la bouche entrouverte je restai ébahie devant ce que je considérais d'inconcevable jusqu'à maintenant. Émotions. Larmes. Je me tourne lentement vers EdHrisse mon mari qui attendait impatiemment mon verdict.
«Alors ? Commença-t-il, angoissé. Dis-moi ma douce, ça te plaît ?»
Je le regarde avec des yeux humides. Je regarde celui avec qui je me suis liée depuis bientôt un an. Celui à qui j'ai révélé mon désir le plus profond, le plus refoulé, le plus interdit. Devrais-je ou avais-je tort ? Je ne saurai pas tout de suite. Jamais même.
Je fais partie de ces personnes qui redoutent la réaction et le jugement des autres, mais qui aiment quand même parler des choses osées. Osées sont-elles pour mon entourage en tout cas. La peur de me révéler au grand jour, de m'assumer pleinement, d'avoir à supporter le poids des regards qui seront désormais changés, la peur de ne pas être rangée dans la catégorie des pervers...faisaient la une de mon existence. « Mais que veux-tu ? me disais-je. Tu ne vas tout de même pas salir ta réputation de bonne protestante ? Hein ? Tu ne vas pas faire la honte de la famille non ? » Des raisons fusèrent de toutes parts pour solidifier l'image à laquelle je devais correspondre. Ma mère n'a pas cessé de me les rappeler après tout ! Je connaissais par coeur les critères d'une bonne jeune femme pieuse de bonne famille : être un modèle aux yeux de tous, ne pas mettre des bijoux c'est trop extravagant, jamais mettre des vêtements qui ne dépassent pas les genoux, pas d'élan d'affection avec le sexe opposé, ne pas rire trop fort... et par dessus tout, demeurer chaste. Emportée a été ma mère quand je lui ai parlé de la fellation et de la levrette. À elle de m'affirmer que ses expériences sexuelles n'ont jamais dépassées la fameuse position du missionnaire. J'étais la sainte nitouche qui observais sagement ces règles préétablies et/ou inventées par la famille pendant que seule avec moi-même je salivais, mouillais devant des scènes qui défilaient dans mon esprit les unes plus torrides et plus érotiques que les autres. Contraste. Accoutrement. Hypocrisie. Je jouais bien le jeu de ces deux réalités, patiente, en espérant en sortir peut-être.
Jusqu'à ce que je rencontre EdHrisse. Ou plutôt jusqu'à ce que je connaisse EdHrisse. Il a toujours été là, présent et distant. Petits sourires enjôleurs, regards pesants et exigeants. Dans une démarche discrète et efficace, il a su me conquérir. Je commençais à me percevoir en lui quand il entreprit de me proposer des expériences empreintes de l'audace, du désir de défier qui scintillaient dans nos yeux et bouillonnaient dans nos corps. M'embrasser en pleine rue avant que je prenne le taxi ; me servir de siège devant le piano pendant que ses doigts magiques jouent Canon de Pachelbel en E# dans ma chatte au beau milieu du salon de ma mère ; me prendre dans la posture de la liane sur son escalier pendant que son père est en bas ; me presser le sexe sous la table dans des réunions professionnelles...

Puis est arrivé le moment où je lui ai parlé de mon plus grand fantasme : le BDSM. Merde. Fichtre. Ma poitrine se soulevait en saccades irrégulières dans l'attente de sa réponse qui tardait à venir. Peut-être n'aurais-je pas dû. Peut-être aurais-je dû garder cela comme inaccessible. Mon angoisse s'est dissipée lorsqu'il m'a répondu calmement : « Je ne savais pas que cela t'excitait. Encore un point commun, il fallait qu'un d'entre nous aie le cran de le proposer un de ces jours. » Il a dit OUI ! Je n'en croyais pas à mes oreilles. Tout comme je n'en revenais pas qu'il ait pu équiper toute une chambre de notre maison de tout ce que requiert moyennement une séance de BDSM. Des menottes à une croix de Saint André, des barres d'écartement aux pinces à seins... Cela dépassait mes espérances, mon entendement de bonne protestante modèle, de la jeune femme simple et sage que je devrais être.
Je l'embrasse langoureusement pour lui faire comprendre que cela fait plus que me plaire. Que tout mes refoulements depuis l'adolescence se trouvent dans cette pièce. Que je ne me suis pas trompée, que c'est lui le bon. D'un coup sec il me passa des menottes...et je me réveille en sursaut le corps en sueur. J'allume l'écran de mon téléphone. Minuit pile. Mes démons ne me lâchent pas. Encore une fois j'ai rêvé d' EdHrisse le fiancé de ma patronne. Faudrait peut-être que je pense plus sérieusement à le lui chipper avant le mariage.
Maintenant je sais bien que j'étais dans le noir avec les yeux fermés.