Ces êtres créés dans le noir

Écriture dans les Sciences Humaines.

Suis-je dans le noir, ou ai-je les yeux fermés? Peut-être les deux.
Je n’ai jamais langui pour un peu de lumière, tant mon désespoir me semble profond. Suis-je dans un puits ? Je n’ai que ma chair, et un peu de froid, de l’humidité, pour alimenter l’espoir qu’elle ne s’est pas écroulée, encore. J’ignore combien de temps il me reste, et j’ignore si mes yeux ne peuvent m’aider, si ce n’est que pour réaliser que je me suis réellement perdue. Et que le plus petit mouvement ouvre une écorchure sur mes bras et une douleur à chaque point de mon corps. Peut-être me suis-je débattue assez longtemps ? Et bien que je ne sache comment je suis arrivée ici, je ne m’en étonne pas. Tant d’efforts, que je ne me souviens avoir fournis, me rappellent par le poids de chaque petit mouvement. Mais soudain, tout s’écroule en un bruit assourdissant. Tout réveille les battements fatigués de mon cœur. Les genoux entre les bras, j’exerce une force tellement puissante qui pourrait me convaincre que je peux encore tout avoir, et sortir. Mais en restant, je vois que plus je me fais petite, mieux je me porte. Alors je reste là.
Le bruit perdure, ou suis-je perdue au point de ne plus connaître la différence entre les heures et les secondes ? Il s’arrête brusquement. Et je réalise que mes yeux étaient ouverts, et que j’étais réellement dans le noir.
Un peu de lumière, et je redresse ma tête. Trop de lumière, et un être, une ombre apparaît. Pour le temps qu’il m’ait été trouvé de passer ici, je réalise que j’ai pris l’habitude de voir l’obscurité. Car cette lumière m’aveugle. Elle m’engloutie. Elle prend toutes mes forces. Et je retombe dans le noir.

Je reviens, quand tout me semble moins sombre, au touché d’une main froide sur mes joues. Je ne vois pas, mais tout semble différent. Peut-être m’étais-je évanouie ? Peut-être m’a-t-on fait sortir du puits, aux grandes difficultés qui cela représentait ? Je reste dans le noir, mais une petite lueur se voit au fond. Car l’on a décidé de me faire sortir du noir, pour me mettre dans le noir. Un tunnel ? Peut-être est-ce meilleur qu’un puits ? Je m’étonne de ressentir mes pieds, de pouvoir avancer malgré la sensation que mes membres pourraient me ramener vers le sol. En avançant vers cette lumière, mon cœur se serre. Une ombre semble me suivre. Par ma faiblesse, par la peur qui sévit mon esprit, je ferme les yeux et j’avance. Un peu plus vite à chaque pas, pour sauver ce qu’il en reste, pour me sauver. Du puits, au tunnel, je reste déchaussée. Et chaque pas dévoile une nouvelle surprise, une petite montée, puis un petit trou. Des cailloux. Un plus grand Trou. Une pente persistante, et soudain un trou profond. Je ne peux que marcher prudemment. Mais l’ombre semble se rapprocher à chaque fois. Plus près de la lumière, éprise d’une force inexplicable, je me précipite vers celle-ci, et vois ma main tenir une poignée. La peur m’envahit, complètement, car je peine à ouvrir la porte. Je la force. Je la pousse. L’ombre se rapproche. Mon cœur me trahit, il entraîne mes yeux, mes mains. J’en tremble. Et puis d’un coup la porte s’ouvre. L’ombre est derrière moi : envahissante, forte, brutale. J’y entre, et me retourne pour voir mon agresseur : un mur. Il se rapproche, cherchant à se coller à la porte. Ce mur allait me détruire. Il allait me serrer, qu’il n'en reste ne serait-ce qu’un signe de mon existence. Il se rapproche, encore et encore, et je réunis assez d’énergie pour fermer la porte.
Elle se claque. Tout est calme.
Sans recours, mes yeux ressentent l’agression de la lumière. Elle m’aveugle, tant qu’en me retournant, je ne parviens à former des images. Tout me semble uniforme.
Quelques secondes m’ont révélé un autre monde. Tout de la lumière, du glamour, de la grâce et de la force. Je me sens vivre, plus que ne le permettent mes membres. L’air, si pure, envahit tout mon être. Mon cœur s’est éloigné de la terreur que je venais de vivre il y a quelques minutes.
Et puis devant, se trouvent des personnes. La salle se remplie de leurs rires et de leurs mots. Ils portent tous un masque, et malgré leurs allures effrayantes, chaque trait me fait sentir heureuse. Car au milieu de cette foule dansante, habillée d’une plénitude d’ironie et d’arrogance, je vois une famille. Je le sens, mon cœur reconnaît sûrement tous ceux qui sont passés par les mêmes épreuves, car malgré les regards, je vois leur bonté. Et même si leurs yeux me sont cachés, je perçois la lumière qu’ils détiennent. Tout ceci paraît surréel. Tout ceci paraît surnaturel.
Mais rien ne m’est plus étrange que le courage que je ressens d’avancer, d’entrer dans leur danse. En un pas, une chose retient mon attention : à mes pieds, un dessin. Un bateau, perdu dans un océan entouré par les couleurs de la lumière : jaune, orange et rouge. Ce dessin m’est à la fois étranger et familier, car bien que mes souvenirs me trompent, je sais que je suis celle qui l’est fait. Mes yeux se relèvent, et je vois la foule, toujours aussi active, toujours aussi souriante. Ils se parlent. Ils ne me remarquent pas, bien que mes vêtements me trahissent. Ma présence ne semble pas les affecter. Plus encore, ma présence semble être méconnue. Aucun d’eux ne me voit.
Intruse, je me retrouve à les observer. Chaque masque. Chaque voix. Chaque sourire. Chaque démarche. Puis mes yeux retombent sur une femme. Une femme dont l’élégance surpasse tout ce que j’ai pu voir dans ma vie. Son masque cache son visage, mais elle incarne la force, la grâce et le succès. Ses gestes véhiculent la détermination, le courage et la douceur à la fois. Elle se tourne soudainement puis s’en va. Elle échappe mon regard. J’ai toutefois cette impression de l’avoir déjà vu. Alors je la suis.
Cet être rempli de grâce passe près de corps, de sourires. Elle esquive alors les serveurs, les boissons, les hommes qui ne cherchent qu’un mot, un sourire qui pourrait signifier la plus belle approche sur ses lèvres. Elle peut inciter à la folie, je le vois. En avançant, elle se retrouve devant une porte, l’ouvre gracieusement, se retourne, et y entre. Et bien que son masque ait caché son visage, je sais qu’elle se tournait vers moi.
La précipitation envahit de nouveau tout mon corps, mais cette fois-ci, ce n’est pas la peur qui m’emporte. Je veux, par tous les moyens, la rattraper. Cette sensation m’est complètement étrangère, et sans lui donner un sens, je me précipite et me retrouve devant la porte. En la poussant, je la vois, le dos tourné, debout, seule dans la pièce. Elle retire doucement son masque, la pose sur une table. Et avec le pouvoir et la grâce que lui prêtent ses longs cheveux, elle se retourne....
En un moment, je vois tout s’éclaircir. C’était elle.
Cet ombre que je voyais pousser le couvercle du puits. La main qui m’a réveillée, alors que j’étais endormie dans ce tunnel sombre. Tout ce temps, elle était celle qui m’avait sauvée. C’était elle.
Mais alors, je comprends que la nécessité que je ressentais de la poursuivre, relève d’une reconnaissance. Car il m’est nécessaire de la remercier. Car peut-être, sans elle, aurais-je perdue la vie ? Par le froid. Par l’angoisse. Par la peur. Par le noir. Peut-être aurais-je accepté de me laisser envahir ?
Elle se retourne, et une grande lumière s’en suit. Elle me dévoile son visage, et...

Un dernier coup au fond de mon cœur. Je sursaute.
Je me retrouve dans une chaise, dans les airs, dans un avion. Et à ma main, un papier, le dessin inachevé d’un bateau, entouré de bleu.
Ce n’était qu’un rêve.
Ce n’était pas un cauchemar, bien que, en quelques minutes, je me voyais submergée, envahie par l’ennui et le doute, par l’incapacité à être et à vivre.
En montant dans cet avion, j’étais plongée dans le noir, dans le froid.
Et celle qui m’a sortie de ce noir, devait être celle que je devais trouver.
Tant de temps, à chercher un coupable. Tant de temps, à chercher une solution.
C’était elle. C’était moi.