Ce qui vient l'accueille

Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux, continuait donc son esprit dans des pensées introspectives. En vérité, Suzanne ne les était pas. Seulement, ses pleurs de confusion s'étaient transformés en un voile si solide et opaque qu'elle pouvait à peine distinguer la forme de ses propres bras. Elle venait de faire un test de grossesse. Et regardant, médusée, le signe positif qui à un autre moment l'aurait apporté tant de joie, mais qui alors la fit avoir une expression qui conservait une ombre de catastrophe.
Sa crainte suprême l'avait enfin rattrapé. Suzie, comme elle fut connue parmi ses amis de proches, fut fiancée, et déjà une mère d'une jolie fille, Elsie, quand elle a rencontré Léon. Elle s'en rappelait vivement et avec un coeur lourd. Ce fut la deuxième semestre de sa troisième année à l'université Kenyatta. Pourtant, en raison de son absence de l'université durant une année académique, - pendant laquelle elle prenait soin de sa grossesse avant l'accouchement d'Elsie,- elle a été contrainte suivre les cours des deuxièmes années.
Leur première rencontre était ce que l'on aurait appelé brusque et sans la timidité féminine qui emplit les yeux en premier abord d'un bel homme. Peut-être ce fut ainsi puisqu'elle s'était déjà fiancée et, alors, non plus facilement surprise. Quelle qu'elle soit la raison, une chose était évidemment certaine, elle avait laissé sur Léon une impression durable et tenace, même d'un penchant. De jour en jour, comme des oiseaux du même avis ils se sont fréquemment retrouvés ensemble. Elle, qui avait eu de la fierté dans sa solitude et qui avait toujours chéri d'être seule, - « une figure solitaire va vite et à son propre rythme, » peut-être de tel dicton elle avait tiré sa force d'appui, - alors se trouva s'attachant et se confiant à un autre, et à un homme !
Léon, grâce à son entente des sentiments des autres, et plus précis ceux de Suzie, la présenta un genre des hommes dont elle n'avait ni connu ni reconnu leurs existences. Sans dire, le sort s'était sûrement surpassé cette fois. Car de son tiroir de haut, et le plus artistique, il eut tiré et jeté dans le chemin de Suzie un filet de finesse, l'embrouillant, en forme de ce jeune homme. Cependant, jadis, elle voulait croire à l'innocence de leur relation et ainsi elle croyait. Et pour un moment fugace elle avait raison ; en tous cas même Léon en contempla de manière plus pareille.
Pourtant, malgré leurs efforts, petit à petit et à chaque heure, entre eux s'amplifiait un penchant avide et ardent, se transformant clandestinement en semence d'amour. Lui, Léon, il traité Suzanne comme il savait le faire, avec de la tendresse assez folle et tachetée de parures de virile gentillesse. Dans ses bras, toujours, Suzanne s'est muée en portrait de docilité, et elle rougissait jusqu'aux moelles dans telles étreintes, respirant le parfum de son corps masculin qui chatouillait ses narines en douce surprise.
Tout le temps, et inconsciemment, elle basculait l'image de son propre fiancé, Jean, de sa mémoire et vers l'oubli. Celui la retenait une chose des blagues comme lorsque l'on regarde un bêtisier de sa propre vie, les caricatures et les dessins animés intimement reconnaissables. Ainsi, par jour comme par nuit, son coeur réverbérait avec chaque battement le nom de Léon, et non plus de Jean. Par contre, et de plus absurde, elle maintenait, à l'extérieur, le semblant que tous étaient tels qu'ils eurent été avant ; aucun amour partagé avec un autre excepté avec son fiancé. Hélas, quelle affectation, et à penser qu'elle contemplait le vivre, ce prétexte emmerdeur qui pétait à son nez aux heures les plus importunes. Certes, tant elle avait tort même d'en imaginer ainsi, et tant elle voulait s'excuser de tous.
Dès l'aube jusqu'au crépuscule ils s'asseyaient de front, souvent dans les bras de l'un ou de l'autre, et lui, ce beau parleur dont les paroles graissaient l'âme aussi à merveille que l'encre des poètes les papiers vierges, il savait consoler, inciter, compatir et conduire fou. Avec lui donc, et pour la première fois dans sa vie, elle n'avait plus de contrôle ; certes, ce qui en restait s'en allait aux flots d'atmosphère, expulsé sans l'espoir d'en recouvrer.
De temps en temps Léon sentait au cœur un coup brutal, aussi aigre que celui d'épée, chaque fois que Jean appela Suzie dans sa présence. Néanmoins, et contraire à sa nature attentive, il a raté à maintes reprises dans toutes les occasions de reconnaître la lâche forme de jalousie, cet asile des amoureux et en même temps bourreau social de bon voisinage. Puis, comme le reste mâché de canne à sucre, il l'oublierait, ce passe de jalousie, d'un air peu perturbé et de n'y jamais revenir...pour le meilleur ou pour le pire.
Un jour, déclencheur peut-être les autres l'auraient intitulé, ils s'étendaient tous les deux au parc, se recroquevillant ; lui, sur le dos, et elle dans son bras, sa tête d'ange sur sa musculaire poitrine. Et, en plus, timidement, elle bougeait au ralenti la flèche de ses doigts délicats sur le sein de Léon tout comme aurait fait une masseuse débutante. En revanche, la bouche de Léon s'ouvrait et n'en laissait s'épancher que de la poésie pour mots dont le charme arrivait même aux oiseaux qui alors se turent, envoûtés. Et seuls les rebelles perroquets murmuraient, s'efforçant en reproduire.
Lourdement chargée en émotions, elle se mit sur un coude et tourna ses yeux vers Léon au-dessous d'elle et, par hasard, leurs lèvres se touchèrent, intensifiant leurs regards qui depuis naguère se troublaient de passions. Ils se sont embrassés et le bisou, tant doux et rafraîchissant qu'un souffle de chaleur en hiver, était leur baume, un calmant pour leurs âmes naufragées d'affection.
Depuis lors elle verrait Léon en diverses casquettes, un ami, un amant, un prétendant potentiel et même, tant mieux, un mari ; elle gloussait, surtout à ce dernier-ci, à voix basse à ces pensées charmantes qui tant la confondaient. Ces sourires disparaissaient comme de la rosée éphémère au plus petit rappel de l'aigreur de la réalité tortueuse. Sa fiançailles avec Jean se pendait en spéciale horreur sur sa conscience et ombrait l'amour béat qu'elle avait pour Léon.
Devant ses yeux, le mirror de ses larmes, se défilait, reflétait l'histoire de leur histoire qui en se concluant non en point définitif mais avec ceux de suspension récompensait Suzie de l'amère prise de conscience de l'ampleur de son vrai dilemme. Que ferait-elle de son état ? Pourrait-elle garder cette autre grossesse pour laquelle Léon a été le responsable ? Quoi ! Qu'est-ce qui allait lui arriver alors ?
Ces questions dans le même pouvoir l'ont bousculée réfléchir davantage et ont brutalement mis en évidence le vide dont son indécision servait sans cesse à élargir et à approfondir fort profondément. Seulement, pendant ces heures troublantes où à ce qu'elle était, à qui elle était, elle pensait, elle a réalisé qu'elle voulait épouser Léon... Mais qu'en était-il de Jean, le père d'Elsie, l'homme qui l'avait soutenu pour ses études universitaires ?
Léon, Jean, Jean, Léon...Peut-être, peut-être pas.
Elle se leva lentement, voyant rien, mains sur le bas-ventre et décida de laisser le sort prendre son cours.
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