Canyoning

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J'aime la poésie, la fiction, les nouvelles, les textes courts, les textes longs, j'aime inventer des personnages hors du commun, emportés dans des situations inhabituelles par le temps qui passe ... [+]

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La vie, c'est comme ça, on ne choisit pas. Cette affaire me terrorisait, mais je l'aimais. Mathilde était une fan de canyoning, elle passait ses dimanches, ses vacances encordée, à escalader le lit abrupt des torrents de montagne, à sauter de vasque en vasque et du haut de promontoires vertigineux sous le regard admiratif d'une bande de garçons qui en rajoutaient pour attirer son attention. Cabrioles dans l'eau glacée, plongées dans des cuvettes de pierre à se casser le cou, jaillissement au soleil le sourire aux lèvres. Elle était le centre de ce monde aquatique, risqué, dangereux. Et moi je l'aimais et je traînais la patte pour suivre ce troupeau. Je sautais bien dans quelques bassins d'apprentissage, je m'essayais au saut de l'ange, mais j'avais l'air pataud d'un ange déchu qui tombait du ciel comme un fruit mûr et Mathilde ne me regardait pas.
Une petite voix de Jiminy Cricket me murmurait : « Si tu l'aimes comme tu le crois, espèce de couard, tu dois réaliser un exploit, un saut plus grand, plus haut que les autres, surprendre cette bande de roquets prétentieux ».
J'avais acheté une combinaison bleu marine pour avoir l'air d'un dauphin, une cagoule avec mon prénom inscrit dessus pour qu'elle me reconnaisse, des gants et deux petites palmes, des lunettes de libellule. Je lisais et relisais le manuel du canyoning, j'apprenais les positions de saut, de réception, les normes de sécurité. Dans ma chambre, tout seul dans mon déguisement de séduction, je m'entraînais à tordre mon corps comme il était dit, à me recroqueviller pour protéger ma chute et je l'aimais de plus en plus. Jusqu'à ce qu'enfin je fusse prêt à ignorer ma terreur, à risquer ma vie pour qu'elle me regarde, m'admire, m'aime. J'étais prêt à en faire plus que les autres, à prendre tous les risques. Tout en haut d'un toboggan presque vertical qu'avaient creusé les siècles de cascades d'eau dans le granit de la montagne, le dauphin amoureux que j'étais regardait à ses pieds un bassin d'eau claire qui semblait minuscule. Mes rivaux, dont je percevais la peur, hésitaient, plaisantaient, se poussaient, mais restaient alignés comme des hirondelles sur la lèvre de pierre où nous étions perchés.
Alors, j'ai sauté, plongé. Dieu, le destin ou l'amour pour Mathilde feraient de moi ce qu'ils voudraient. Je n'étais plus rien, une plume, un caillou, l'air froid sifflait à mes oreilles, mes yeux de libellules voyaient tournoyer le ciel. Un choc, le souffle coupé, l'eau glacée, je remonte à la surface, quelques battements de palmes, je suis échoué sur des gravillons au bord du bassin. Tout en haut, les champions d'hier me regardent, muets, surpris de mon exploit.
Le moniteur m'aide à sortir de l'eau, il a l'air surpris, lui aussi. Il me félicite. Mais tout ça m'est égal. Dans un souffle, je lui demande :
— Où est Mathilde ?
— Ah ! Mathilde...
Il me répond, comme une chose anodine.
— Elle n'est pas venue, aujourd'hui...

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