Ça pleure aussi, un homme

Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux. Était-ce vraiment lui assis devant moi, si désespéré? Je l’ai connu pourtant toujours gai, rayonnant de vie. Mais la vie a ses détours. Oui! Dans la vie, il y a des hauts et des bas. Certains jours nous font comprendre que le bonheur peut-être personnifié à travers un sourire, un regard lancé sans mot dire, une rencontre fructueuse. Tandis que d’autres nous laissent l'impression de nous perdre en bon chemin, entre la réalité et l’illusion, la joie et la douleur. On se refuse à croire qu’on est vraiment englué dans un tel pétrin. Au point de ne plus croire ce qu’on a sous les yeux. La fuite d’un regard, l’effacement d’un  sourire.


Ces tentatives avortées ; cette séparation non souhaitée. Ah le goût insipide que tout ça laisse! Tout commence le jour où le doute s’impose. Ce moment d'angoisse et de détresse si palpable alors qu'on n'arrive pas à mettre le doigt dessus. Il y a cette voix qui nous dit que le temps guérit tout. Sans rien préciser. On ne sait alors s'il faut attendre pour un jour, une semaine, une année, une vie peut-être, qui sait? Parfois, on fond littéralement en larmes en toute discretion. La déception supporte mal la compagnie. Du coup ça passe qu’entre vous deux. Juste vous et l’oreiller. Personne d’autre! Au risque de  se couvrir de ridicule.


Les gens se foutent de notre douleur, encore moins de sa longévite. L'important, pour eux, c'est qu'on sache quand la fermer pour ne pas avoir l'air d'un pleurnichard. « Pleurer si vous voulez, mais pour l’amour du ciel, faites-le en silence ! »  Ah oui! Ce monde nous impose des normes sur la gestion du chagrin et même de la mort. Allant même jusqu’à genrer les émotions, un garçon, ça ne pleure pas, m’a-t-on dit depuis toute petite.


Et oui! Ces normes étaient bien ancrées dans ma tête jusqu'à ce jour. Je me réveille à la même heure, comme d’habitude , cinq heures du matin. Je m’étire, j'avale un peu cette salive matinale au goût rance d’hier, je reste au lit pendant quelques minutes et après, je descends pour me rendre directement à la salle de bain; vieille habitude acquise depuis l’enfance. À la radio, il y a l’une des chansons produites par quelques artistes français, titrée : « Et demain ? ». Le son qui transperce mon tympan, la concordance des voix, les images Tout me dégage une forte émotion, comme m’annoncer que j’allais recevoir une mauvaise nouvelle. En effet! C’était le calme avant la tempête. Alors que je m'apprêtais à me doucher, j'entendis mon téléphone sonner.  Qui diable m'appelle aussi tôt? Me suis-je dit. Sans chercher à savoir qui c'était, je continue ma routine. Je préfère toujours me laver, surtout le matin, avec de l’eau froide. Quelle tranquillité quand elle parcourt mon corps de la tête au pied, le sang tressaillit. Quelle sensation ! Le téléphone recommence à sonner, ça ménerve. Je déteste être interrompue quand il est question de savourer un bon moment. Rapidement, je suis sortie voir qui sait. Un numéro inconnu ; Une voix d'un ton glacial étouffée de tristesse; Une gorge serrée qui refuse de laisser passer le moindre mot ; Une langue trop lourde pour prononcer quoi que ce soit, essayant de dire un simple : Allô! « Je n'entends rien. Parle un peu plus fort stp ! » Mais en vain. Je raccroche pour continuer ma routine, mais la voix ne me laisse indifférent. Tant de questions et d‘imaginations me traversent l’esprit.  Je reste coller à la chaise à me demander s'il s'agit d'une personne trompée de numéro, une mauvaise blague ou quelque chose de sérieux. Une dizaine de minutes s'écoule, puis dix autres. Tout à coup, j'entends quelqu'un à la porte qui insiste à l'idée que je l'ouvre. Alors que j’enfile rapidement un peignoir pour aller ouvrir, le téléphone se remet à sonner du même numéro. Je ne prends plus la peine de décrocher et  me dirige vers la porte.


Un visage reflétant tant d'amertumes; les pupilles qui perdent leurs étincelles ; les yeux larmoyants C'était sûrement lui au téléphone, Dano. Sans piper mot, je lui prends dans mes bras. Il me sert si fort que je sens battre son cœur. Mais, cette fois, pas au rythme habituel. Son cœur d’avant battait au son dun compas formule originale Nemour Jean-Baptiste. Ça dégageait une énergie qui pouvait allumer une journée. Ah non! Les câlins d'avant étaient si jouissifs!


Je lève la tête pour lui demander ce qui cloche. Ma vue s'embrouille, je fuis rapidement son regard pour éviter le malaise et lui fais signe de rentrer. Aucun son n'est sorti de sa bouche. Cette fois-ci, il ne fait pas semblant d'aller bien. Lui qui ne marchait sans sa gaieté. Sa démarche seulement traduisait le contentement. Bras écartés, pas hâtés, colonne vertébrale bien droite. Il partageait la joie tout autour de lui. Des blagues, parfois, vides de sens, par rapport à sa façon de gesticuler, rien que sa façon de vous rapporter les faits peut vous faire marrer. Ah que ça manque, son petit côté de comédien ! Lui qui arrivait par sa façon propre à lui de refouler ses ressentis, sous prétexte qu'un homme doit être fort. Celui qui pleure est une femmelette.  Même en étant brisé en mille morceaux, il doit savoir puiser en lui de la force et du courage nécessaires pour retenir ses pleurs. Ah ! les normes de ce monde veulent faire des hommes des pierres, dépourvus de sentiment. Des êtres incapables de ressentir de la peine, du chagrin et de la tristesse. La faiblesse c’est pour les femmes, pas pour vous messieurs. Restez concentrer ou pleurez sous vos draps !


Mes doigts glissant dans ses cheveux, je lui dis : « Parle-moi. Je ne t’ai jamais vu dans cet état depuis notre amitié. Dis-moi ce qui cloche. S'il te plaît». Je veux l'aider à se soulager. Être cette épaule qui sert de mouchoir pour absorber des pleurs; Savoir que quelquun compte sur moi est tout ce qui me tient encore en vie. Ça m'aide à me sentir utile, à me sentir humaine.


Un hochement de tête, c'est tout ce que je reçois comme élément de réponse. Alors, je me mets à jouer à la devinette


-Ta femme t’a quitté ?


Il secoue la tête en signe de négation. Je continue à lui poser des tonnes de questions. Il hoche encore et encore la tête. Ma méthode à la devinette n’a pas marché. Ce genre de situation qui me fait comprendre l'utilité d'une baguette magique. Mais, hélas ! Je n’ai que la tête à cogner pour trouver avec exactitude la raison pour laquelle il est si déprimé. Perdue dans mes pensées à chercher le pourquoi, c’est alors qu'il lève la tête, les joues trempées de larmes.


-Tatoue, il est mort. Alix, mon grand frère, est mort. Le coronavirus l'a emporté avec lui.


Je reste bouche-bée.