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C'est aujourd'hui !
« C'est aujourd'hui dimanche, tiens ma jolie Maman
Voici des roses blanches, toi qui les aimes tant... »
Le crincrin dans le hall crachouille sa rengaine. Ils sont là, entassés, hagards, dans leurs fauteuils roulants, la tête sur la poitrine. Ils ne savent plus. Ni l'heure, ni le jour, ni le mois, ni l'année. Ils attendent. Ils attendent. Ils attendent l'heure du déjeuner, l'heure du goûter, l'heure de la soupe. Ils attendent. Ils attendent une visite. Ils attendent. Ils attendent la faucheuse.
« Va, quand je serai grand, j'achèterai au marchand
Toutes ses roses blanches, pour toi jolie Maman... »
Aujourd'hui, elle est endimanchée. Elle porte sa robe parme et son collier de perles. Pour la première fois depuis deux mois, on ne l'a pas sanglée dans son fauteuil. D'ailleurs, elle dit n'importe quoi, Madame Levert, elle ment : personne dans ce noble établissement ne l'a jamais attachée dans son fauteuil. Elle peut encore se lever, marcher, si elle venait à tomber l'on se précipiterait pour la relever. On n'attache que les vieillards atteints de vertiges importants. Mais Madame Levert, jamais ! Elle ment. Elle croit qu'on l'attache mais c'est faux. Pas dans ce noble établissement.
Il va arriver ! Elle ne l'a pas revu depuis ce dimanche d'il y a deux mois, où il était passé en courant. Son travail lui laisse si peu de temps. Il lui avait consacré vingt belles minutes, vingt grandes minutes, vingt merveilleuses minutes. Son fils. Son héros. Son enfant dévoué qui a accepté d'occuper son grand appartement en attendant sa sortie du noble établissement, qui malgré ses journées accablantes assure la tutelle de sa maman adorée. Son petit. Son Dieu.
« C'était un gamin, un gosse de Paris,
Pour famille il n'avait qu'sa mère... »
Il y a deux semaines, ou peut-être trois, il lui a téléphoné. Lui a annoncé sa venue. Il lui a promis « un dimanche en amoureux avec toi, maman chérie ». La promenade dans le coupé-cabriolet qu'il vient d'acquérir, depuis peu il travaille dans la Finance, le déjeuner au « Fin Gourmet »trois étoiles au Michelin, depuis peu il travaille dans la Finance, le concert du Chœur grégorien dans la Basilique au premier rang, depuis peu il travaille dans la Finance. « Un dimanche en amoureux avec toi, maman chérie... ». Son fils. Son héros. Son Dieu.
« La câlinant bien tendrement,
Il disait en les lui donnant :
C'est aujourd'hui dimanche, tiens ma jolie maman... »
Une voiture se gare. Non, ce n'est pas lui. Les embrassades, les chocolats... ce que ces gens parlent fort ! Il va arriver. Elle compte jusqu'à dix en fermant les yeux. Lorsqu'elle ouvrira les paupières, il sera là. Son enfant. Son Dieu. Une autre voiture. Non, ce n'est pas lui. Ces visites le dimanche, ce que c'est lassant ! Elle referme les yeux. Elle recompte jusqu'à dix. Il va arriver. Son fils. Son héros. Son Dieu.
L'auxiliaire tapote sur l'épaule de Madame Levert. Air doucereux, ton étrangement prévenant. Il vient d'appeler. Elle entend mal, elle n'entend plus, elle ne veut pas entendre. Elle comprend mal, elle ne comprend plus, elle ne veut pas comprendre. Tout devient confus... « absolument désolé », « réunion impromptue »,« staff de direction », « il rappellera ». Il rappellera. Il rappellera... Son fils. Son enfant. Son petit. Son héros. Son Dieu.
« Et quand tu t'en iras, au grand jardin là-bas
Toutes ces roses blanches, tu les emporteras. »
Voici des roses blanches, toi qui les aimes tant... »
Le crincrin dans le hall crachouille sa rengaine. Ils sont là, entassés, hagards, dans leurs fauteuils roulants, la tête sur la poitrine. Ils ne savent plus. Ni l'heure, ni le jour, ni le mois, ni l'année. Ils attendent. Ils attendent. Ils attendent l'heure du déjeuner, l'heure du goûter, l'heure de la soupe. Ils attendent. Ils attendent une visite. Ils attendent. Ils attendent la faucheuse.
« Va, quand je serai grand, j'achèterai au marchand
Toutes ses roses blanches, pour toi jolie Maman... »
Aujourd'hui, elle est endimanchée. Elle porte sa robe parme et son collier de perles. Pour la première fois depuis deux mois, on ne l'a pas sanglée dans son fauteuil. D'ailleurs, elle dit n'importe quoi, Madame Levert, elle ment : personne dans ce noble établissement ne l'a jamais attachée dans son fauteuil. Elle peut encore se lever, marcher, si elle venait à tomber l'on se précipiterait pour la relever. On n'attache que les vieillards atteints de vertiges importants. Mais Madame Levert, jamais ! Elle ment. Elle croit qu'on l'attache mais c'est faux. Pas dans ce noble établissement.
Il va arriver ! Elle ne l'a pas revu depuis ce dimanche d'il y a deux mois, où il était passé en courant. Son travail lui laisse si peu de temps. Il lui avait consacré vingt belles minutes, vingt grandes minutes, vingt merveilleuses minutes. Son fils. Son héros. Son enfant dévoué qui a accepté d'occuper son grand appartement en attendant sa sortie du noble établissement, qui malgré ses journées accablantes assure la tutelle de sa maman adorée. Son petit. Son Dieu.
« C'était un gamin, un gosse de Paris,
Pour famille il n'avait qu'sa mère... »
Il y a deux semaines, ou peut-être trois, il lui a téléphoné. Lui a annoncé sa venue. Il lui a promis « un dimanche en amoureux avec toi, maman chérie ». La promenade dans le coupé-cabriolet qu'il vient d'acquérir, depuis peu il travaille dans la Finance, le déjeuner au « Fin Gourmet »trois étoiles au Michelin, depuis peu il travaille dans la Finance, le concert du Chœur grégorien dans la Basilique au premier rang, depuis peu il travaille dans la Finance. « Un dimanche en amoureux avec toi, maman chérie... ». Son fils. Son héros. Son Dieu.
« La câlinant bien tendrement,
Il disait en les lui donnant :
C'est aujourd'hui dimanche, tiens ma jolie maman... »
Une voiture se gare. Non, ce n'est pas lui. Les embrassades, les chocolats... ce que ces gens parlent fort ! Il va arriver. Elle compte jusqu'à dix en fermant les yeux. Lorsqu'elle ouvrira les paupières, il sera là. Son enfant. Son Dieu. Une autre voiture. Non, ce n'est pas lui. Ces visites le dimanche, ce que c'est lassant ! Elle referme les yeux. Elle recompte jusqu'à dix. Il va arriver. Son fils. Son héros. Son Dieu.
L'auxiliaire tapote sur l'épaule de Madame Levert. Air doucereux, ton étrangement prévenant. Il vient d'appeler. Elle entend mal, elle n'entend plus, elle ne veut pas entendre. Elle comprend mal, elle ne comprend plus, elle ne veut pas comprendre. Tout devient confus... « absolument désolé », « réunion impromptue »,« staff de direction », « il rappellera ». Il rappellera. Il rappellera... Son fils. Son enfant. Son petit. Son héros. Son Dieu.
« Et quand tu t'en iras, au grand jardin là-bas
Toutes ces roses blanches, tu les emporteras. »
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Mais il faut aller le voir chaque jour, jusqu’au dernier jour.
Parce qu’"après", le chagrin est massif. S’il faut y ajouter des remords, c’est tout simplement invivable…
Il y a deux ans encore, bénévole en bibli, je passais une fois par mois en EHPAD. Une dame n'avait jamais défait sa valise, gardait son manteau en permanence et son sac à la main car son fils allait venir la chercher bientôt. Déchirant, comme votre texte.
Merci Cajocle.
Zot.
Il semble que j'arrive trop tard pour le vote mais tant pis... je vote quand même.
As-tu des textes en compèt en ce moment ? je n'ai pas vu