Bordel de maire !

Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés? Peut-être les deux.
Dans ce trou noir puant les rats morts au fond duquel je me trouvais, suant à grosses gouttes et frissonnant, je sentais la mort à deux doigts de m’assaillir. La chaleur était horrible. Je sentais des picotements partout. Je venais sûrement de perdre connaissance. Comme si j’avais reçu un coup violent à la tête car je gémissais sous une douleur au crâne et j’étais étourdi. Mon coeur battait la chamade, je pouvais ressentir ses battements répétés sous ma tempe. Mon ravisseur dont la voix m’était assez familière, me cracha au visage et je sentais ses mains rugueuses qui liaient mes bras dans le dos et les pieds dans un piquet. Je ne savais plus si c’était le noir ou bien mes yeux qui étaient fermés, mais ce qui était évident, c’est que ne pouvais rien voir! Je me laissais seulement guider par mon imagination. Le corps dégoulinant de sueurs, haletant, dans un état de sommeil-réveil, je suffoquais tant la chaleur était accablante. Je criais, je pleurais, je bavais. À un certain moment, il y eut un long silence. J’essayais de deviner ce qui pouvait bien se passer dans cet espace éloigné de la ville, au beau milieu de nulle part et seul avec un inconnu peut-être bien connu! Perdu dans mes réflexions, je tendis l’oreille un instant. Je reniflai. Je sentais comme une fumée émanant d’un fer chaud qui tournait et retournait sur du charbon ardent! Lorsque mon ravisseur s’approcha de moi, je sentis la chaleur du fer, ma gorge se noua. Je n’avais plus de salive! Il ne me laissa même pas le temps de crier! Le fer dont seulement l’odeur me fit vomir du sang me perça les côtes. Et puis..je m’évanouis de nouveau.
Quelques heures plus tôt, des collègues du bureau, l’hôtel de ville où je seconde le Maire principal, Roger, m’avaient invité à une petite fête. Au début, je ne voulais pas m’y rendre car je ne voulais pas que mon chemin croise celui de Roger, avec lequel je n’entretenais pas du tout de bons rapports. Vous savez, ce sont des choses qui arrivent assez souvent, surtout dans un cadre administratif. Ce n’est pas facile de s’adapter avec des gens dont nos caractères et attitudes diffèrent sur toute la ligne! Pourtant, il nous fallait travailler ensemble,et il n’y avait que quelques rares personnes qui se doutaient de nos différends. Il y a de ces jours où nous nous retrouvions à nous disputer autour des projets, des décaissements à faire, des équipes à monter. C’était toujours ses acolytes d’abord, bien avant les démunis auxquels les projets étaient destinés. Roger avait beaucoup d’influences, mais peu d’intégrité. Moi, j’étais un homme franc, passionné de son travail, qui ne recherchait pas ses propres intérêts.Le pire est qu’il nous fallait à tout prix collaborer, étant donné que nous appartenions à un même cartel. Pour masquer nos rapports haineux, nous échangions des sourires forcés du coin des lèvres.De grands éclats de rire aussi étaient de nos habitudes. De la pure hypocrisie. Vous pouvez imaginer ma mauvaise humeur à chaque fois que j’ouvre cette porte juxtaposée à la sienne, à chaque fois que je dois lui soumettre un rapport. Un véritable enfer. Il ne me supportait pas, m’accusant de tailler l’herbe sous ses pieds et de ne pas lui laisser assez de liberté dans ses décisions, notamment en ce qui concerne les décaissements en rapport avec les gros projets. Un jour il me sermenta de me faire payer! Je n’y avais pas prêté attention, mais n’empêche que je gardais en moi une grande méfiance à son endroit.
Ce soir-là, j’étais clair avec mes collègues que si Roger serait là je ne viendrais pas. Et ils m’avaient donné leur parole. Le jour J, effectivement, Roger n’était pas là, mais il a utilisé mon collègue le plus proche,Kim, pour me tendre un piège! Je m’en rendis compte quelques heures plus tard.
Après la fête, sur le chemin du retour, j’étais ivre. Mais pas dans un état d’ ivresse habituelle.Je le sentais. Et cette sensation je ne l’avais encore jamais eue auparavant. Comme si..j’avais avalé un truc en plus de l’alcool, sûrement quelqu’un l’avait fait diluer dans mon verre lorsque j’étais allé pisser. Je savais prendre des précautions. Je sais que c’est naïf de se déplacer en laissant son verre à moitié plein et de le finir une fois revenu! Mais c’était mes amis! Roger n’était pas là, lui.
Et c’est le seul dont je me méfiais.
Sur le chemin du retour, une fois arrivé près de chez moi, mon bon ami Kim qui conduisait tourna le volant et laissa la route. Malgré ma tête qui tournait, je lui criai : “Mais qu’est-ce que tu fous? Arrête la bagnole, merde!” Il fit semblant de ne pas m’écouter.
Je commençai à paniquer. Un des collègues à l’arrière de la voiture m’asomma avec une bouteille de whisky en me tordant le cou pour mieux me murmurer à l’oreille : C’est pour Roger. Et là, la voiture que conduisait mon bon ami s’arrêta et mon collègue sur lequel je parvins difficilement à mettre un visage s’échappa par la porte arrière. Je pouvais entendre, avant de perdre connaissance, le claquement de ses grosses bottes sur les cailloux se trouvant au bord du chemin, le vrombissement du moteur, et les roues qui crissaient sur le gravier. Après, plus rien. Lorsque je me réveillai en sursaut, j’étais dans ce trou à rats! Et tout le monde avait disparu. Il ne restait que mon bon ami dont je reconnus finalement la voix et moi. Quelques heures plus tard, il s’en alla, me laissant seul, apeuré, dépouillé de tous mes vêtements et autres trucs personnels.
Lorsque je revins à moi-même, j’appelai Kim au secours! Je pleurais, gisant dans mon sang, je suppliais de ne pas me tuer. Quelqu’un m’avait détaché. L’objectif était clair : me faire souffrir atrocement et non pas me tuer. C’est à ce moment que tout commençait à se dérouler dans mon esprit! La fête, mes collègues, mon bon ami Kim, et puis... Roger! Bordel de...Maire!!!!! La voix rauque du collègue qui m’avait assommé retentissait dans ma tête comme un écho : C’est pour Roger!
Dans l’intervalle, je m’assoupis, je trainai les pieds, je pleurais comme un enfant de six ans.
Je ne savais plus pour combien de temps j’étais encore là, si quelqu'un passerait dans cet endroit désert, si je reverrais ma femme et mes enfants. Je souffrais, mes côtes ne pouvaient plus retenir le poids de mon corps, quoique frêle. Des odeurs nauséabondes montaient à mes narines. Tout d’un coup, un bruit sec, une voiture au loin qui s’approchait du trou, quelqu’un me tendit une corde. Je m’y aggripai, tant bien que mal. J’avais peur de monter mais rester au fond du trou était bien pire, me dis-je. Je me résignai, prenant mon courage à deux mains... Et la corde aussi. Au fur et à mesure que je montais, je pouvais apercevoir une petite lueur au loin. Lorsque je me retrouvai enfin à la surface, la lumière éblouissante des phares de la voiture -une ambulance- dont j’entendais le bruit plus tôt me frappa les yeux, je couvris ma face pour échapper à la douleur. Je suppliais de ne pas me faire du mal. Une voix apaisante me murmura : C’est fini. C’est fini. Ne pouvant pas me prendre dans ses bras car je puais, l’homme, accompagné d’une équipe de secours, ordonna à ses hommes de me recrouvrir d’une grande serviette et de me porter sur un brancard en attendant que je leur explique ma version des faits.
Une fois dans l’ambulance devant me conduire à l’hôpital, je leur demandai, affaibli, comment ils avaient su que j’étais là, ils m’indiquèrent un homme assis mystérieusement à la droite du chauffeur, en m’expliquant que c’est grâce à un appel d’urgence venant de lui qu’ils ont fini par me retrouver. Il était très silencieux et ne bougeait pas d’un pouce. L’homme les avait alerté d’un cas d’enlèvement dont il avait été témoin. J’entrouvris difficilement les paupières pour hocher la tête à mon sauveur en guise de remerciement lorsque celui-ci se retourna, et..je reconnus...Roger! Je perdis à nouveau connaissance. Quelques minutes plus tard, j’étais sur un lit d’hôpital.