Big worm

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Baptême dans la BD, confirmation dans l'écriture, en attente d'une canonisation pour l'ensemble de mon œuvre. http://clementpaquis.com/ @clementpaquis

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La Margeride, Massif central – 1764

Martin, onze ans, court à perdre haleine au beau milieu de la forêt de Mercoire. Ce qu'il vient de voir, alors qu'il était caché derrière un épais buisson de genévrier, lui a flanqué la trouille de sa vie. Il a déjà entendu, au village, des histoires de fantômes, de loups-garous et autres bêtes effrayantes qui rôderaient la nuit, dans la forêt, en quête de viande humaine, mais il n'y a jamais vraiment cru. Lui qui habite à l'orée du bois depuis qu'il est né, lui dont le père est à la fois bûcheron et chasseur et qui connaît si bien les animaux de la forêt, ne prend pas au sérieux ces histoires que les gamins se racontent pour se faire peur.

Sauf que ce qu'il vient de voir, il ne sait pas l'expliquer. Ils avaient l'air d'hommes, mais ils parlaient étrangement. Le français, nul doute là-dessous, mais une sorte de français dont Martin a eu du mal à saisir le sens. Des mots qu'il ne connaissait pas, un accent qui lui était étranger... Martin se dit qu'il s'agissait peut-être de Français du sud, il a entendu dire que ceux-là ont un accent particulier. Mais comment expliquer le reste ? Comment expliquer la sorcellerie dont il a été témoin ? Ces deux hommes ne parlaient pas entre eux. Ils s'adressaient ensemble à un esprit démoniaque qui leur donnait des ordres depuis la boîte où il était enfermé. « Ne sortez pas de la forêt ! » avait-il entendu. « Ne vous faites voir de personne ! » ordonnait la voix du démon.

Martin n'aurait pas dû se trouver là. Il n'a pas encore la permission de pénétrer seul si profondément dans la forêt. Si des loups l'avaient surpris, s'il était tombé sur des brigands – tout le monde sait que la canaille a pour habitude de se cacher au cœur de cette épaisse végétation –, il n'aurait jamais su s'en sortir. Il a bien son bâton, et ne se débrouille pas trop mal lorsqu'il s'agit de se battre à l'aide de ce dernier, mais face à un véritable danger il ne lui serait d'aucun secours.

Martin court si vite qu'il a l'impression que son cœur va exploser. Son sang lui brûle les artères et il sent son pouls battre fort et vite dans son cou. Il n'ose pas se retourner. De peur de voir la bête sur ses talons. Alors qu'il était en train d'observer l'étrange manège de ces deux hommes, son pied avait écrasé une branche de bois mort. Un « crac » fort peu discret qui avait attiré l'attention sur lui. À partir de là, tout s'était déroulé très vite. L'un des deux hommes s'était saisi d'une sorte de petit boîtier, il avait posé ses doigts dessus et, la seconde d'après, un énorme loup surgissait de nulle part. Un animal massif, de deux, presque trois fois la taille d'un loup ordinaire et qui s'était lancé à la poursuite de Martin.

Arrivé à la limite de la forêt, Martin risque un coup d'œil par-dessus son épaule. Rien. Pas de monstre à l'horizon. Les yeux exorbités par la peur et la fatigue, il s'écroule sur le dos et il lui faut plusieurs longues minutes avant de retrouver son souffle. Au loin, les lueurs des cheminées du hameau de La Bastide-Puylaurent, où il vit avec ses parents, commencent à darder au travers des fenêtres. La nuit ne va pas tarder à tomber. Martin se relève rapidement, constate que ses habits sont trempés de sueur et reprend la route vers son foyer d'un pas décidé. Il aura beaucoup de choses à raconter autour du feu, ce soir.


Centre Européen pour la Recherche Nucléaire (CERN), Genève, Suisse – 2018

Dans la salle n°125, l'excitation est à son comble. Le compte à rebours vient d'être lancé, et dans vingt secondes, Klaus et Jacques seront de retour de leur mission. À partir de dix, toute l'équipe se met à compter en chœur, et à zéro, une éclatante lumière illumine la salle. Les deux hommes surgissent alors aux commandes de ce genre de bathyscaphe que tout le monde a fini par surnommer « Big Worm », le grand ver. La fonction de ce dernier est de traverser des trous noirs créés artificiellement par l'accélérateur de particules du CERN. Les chercheurs sont parvenus à créer un passage de trou noir vers trou blanc, et ainsi à plier l'espace-temps afin de superposer, l'instant d'un voyage, le présent et le passé.
— Notre mission s'est bien déroulée, annonce Klaus, nous avons voyagé dans le temps jusqu'au XVIIIe siècle et nous avons émergé au cœur d'une forêt française.
— Il y a tout de même eu un souci, intervient Jacques, un gamin qui se trouvait là nous a surpris alors que nous visualisions nos directives sur l'écran de contrôle du PC.
— Mais nous avons immédiatement balancé un leurre visuel, termine Klaus. Ce môme racontera avoir vu un horrible monstre, mi-lion mi-loup, et personne ne le croira. Notre hologramme lui a vraiment flanqué une peur bleue !

À ces mots, la responsable du projet Big Worm tique. Elle n'arrive pas à identifier ce qui cloche exactement, mais quelque chose la met mal à l'aise. Un sentiment de déjà-vu.


Cour de Versailles – 1764

Le bon roi Louis XV lit avec intérêt La Gazette de France. Depuis quelques semaines, la presse fait ses choux-gras de cette histoire de bête sauvage qui est apparue à un enfant au beau milieu de la forêt de Mercoire. À vrai dire, il n'y a rien de plus efficace qu'un événement de ce genre pour distraire les esprits fatigués par la guerre de Sept Ans, et les journaux l'ont bien compris. Demain, le roi ordonnera à son porte-arquebuse, François Antoine, de partir chasser la bête. Il faut rassurer le peuple, réaffirmer la force du pouvoir royal, et cette affaire tombe à pic pour tout cela. Les journaux aiment tant mythifier ce genre de faits divers que le roi songe que d'ici plusieurs siècles, l'on parlera sûrement encore de cette histoire de bête féroce apparue dans le Gévaudan.

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