Big bang

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Vivien entrebâille l'épais rideau de velours pour tenter d'apercevoir une fois de plus celle qui emménage à côté. La lumière du soleil couchant est encore vive et il plisse les yeux, ça ne va pas arranger ses glaucomes, ça !
La femme décharge une camionnette de nombreux cartons volumineux et les dépose à l'ombre de l'immense chêne qui trône dans son jardin. Distraitement, Vivien se masse les reins – réminiscence de lumbago – en continuant d'espionner.
La voisine dépose son fardeau sans difficulté. Elle est athlétique et charpentée. Quand elle se retourne vers la façade de Vivien, celui-ci s'empresse de se dissimuler derrière le tissu opaque.
« Miséricorde, cette femme est magnifique », s'éblouit-il. Et aussitôt, cela le terrifie. Bonhomme insignifiant et souffreteux, Vivien ne regarde ce qui brille que de loin. À l'abri de la pénombre de son salon, il rougit. Il sent son visage s'empourprer et il ne peut s'empêcher de se demander si ce brusque afflux sanguin n'est pas dangereux pour son cerveau. Pour détourner ses pensées de ce petit cataclysme dans son quotidien bien rodé, Vivien attrape, sur la table basse, le seul ouvrage qui puisse accomplir ce miracle : son grand ouvrage d'astronomie. Dans sa confusion, il se cogne la jambe.
Voilà, il n'a pas encore rencontré cette femme qu'elle lui porte déjà tort ! Sûr qu'il aura des hématomes ! Vivien se précipite dans la cuisine pour y attraper le ruban adhésif. Aux grands maux les grands moyens ! Il se scotche des coussins sur les tibias pour parer à l'éventualité d'une nouvelle agression du meuble que le vendeur lui a vanté comme étant soi-disant en bois tendre.
Quand la sonnerie de la porte d'entrée retentit, Vivien sursaute. Perdu dans sa lecture, il n'a pas vu l'heure passer. Il est bien trop tard pour une livraison et personne ne lui rend jamais visite. Une angoisse sourde déclenche des geysers dans son ventre ; et si c'étaient les gamins de l'autre jour, ceux qui quémandaient des bonbons ? Ceux qui lui avaient déclenché de l'urticaire ? Vivien se découvre de nouvelles allergies régulièrement et, après le passage des garnements, il n'est pas idiot de conclure qu'il est allergique aux gens, maintenant.
Deuxième sonnerie. Quelques coups frappés.
— Je sais que vous êtes là, je vous ai vu ! s'écrie une voix féminine.
Après moult tergiversations, Vivien entrouvre le battant, méfiant. C'est la voisine. De près, elle est encore plus belle ; de lourds cheveux blonds, des yeux noisette en amande (cela lui fait penser à son petit-déjeuner préféré, des fruits à coques et des céréales baignées dans du lait végétal).
— Bonsoir !
Quelle voix claire et pure ! Rien qui n'agresse les délicats tympans de Vivien. Il est aux anges.
— Je suis en train de m'installer à côté, reprend-elle, et comme je vous ai aperçu à la fenêtre, un peu plus tôt, j'ai décidé de venir me présenter. Nos maisons sont presque mitoyennes, après tout. On est amené à se voir souvent !
« Elle parle beaucoup », se dit Vivien. Est-ce que, malgré la douceur de son timbre, cela ne risque pas de lui déclencher une céphalée, et par extension une tumeur au cerveau ?
— Normalement, ce sont les anciens du quartier qui accueillent les nouveaux avec un gâteau, poursuit la jolie voisine, mais je vous ai un peu coupé l'herbe sous le pied, désolée. Et je n'ai rien cuisiné, je n'ai même pas déballé mes ustensiles !
— Pas de souci. Je ne serai pas venu, de toute façon, explique Vivien en toute franchise. J'évite le four, je me suis gravement brûlé récemment.
Il montre une petite cloque sur le dos de sa main. Elle prend un air désolé.
— Ce doit être douloureux, en effet. Moi aussi, je me suis blessée assez sérieusement le mois dernier.
La jeune femme soulève son T-shirt et découvre une abrasion de la taille d'une assiette à dessert recouvrant son flanc gauche. Vivien se demande s'il ne va pas défaillir.
— Une voiture m'a traînée sur plusieurs mètres !
Le ton enjoué qu'elle utilise provoque une vive inquiétude chez le jeune homme : cette femme a des problèmes mentaux.
— Je suis cascadeuse, précise-t-elle. Je m'appelle Carène, au fait.
— Avec un K ?
— Non, avec un C. Pourquoi ?
Pour rien, c'est juste que Vivien a du mal à aligner deux pensées cohérentes face à sa voisine et à son métier à risques. Il s'entend dire :
— Vous avez un nom de constellation.
— Vous connaissez ? C'est tellement rare ! On est fait pour s'entendre, vous et moi.
Un gargouillis remue les entrailles de Vivien et un poids lui oppresse la poitrine. Il va s'étouffer ! Son asthme reprend !
Carène jette un œil derrière lui, inconsciente du stress qu'elle engendre chez son interlocuteur :
— C'est charmant chez vous, très...
Vivien suit le regard de sa voisine, presque à l'agonie face à ces points de suspension. Il craint son avis. Elle ne va pas aimer.
— ... confortable, termine-t-elle. Ma parole, c'est un SkyWatcher ?
Vivien est partagé entre deux émotions : l'horreur de voir une étrangère pénétrer dans son foyer aseptisé et la satisfaction de rencontrer une amatrice d'astronomie. Elle se dirige à grandes enjambées vers le télescope.
— Quelle merveille ! Vous devez voir à l'infini avec cet engin. Je rêve de m'en acheter un.
Vivien demeure les bras ballants, ses ridicules coussins fixés aux tibias. Statufié par la présence de cette femme exubérante dans son modeste salon, il ne sait déjà plus quoi dire.
— En attendant, j'utilise la bonne vieille méthode, déclare-t-elle. Oh, j'ai une idée... Nos maisons sont identiques, non ?
Hochement de tête de Vivien qui tente de décrocher ses jambières de fortune, même si Carène ne semble pas s'en soucier. Elle continue :
— Ça vous dérange si je monte ?
Il n'a pas le temps d'objecter qu'elle a déjà la main sur la rampe d'escalier. Le jeune homme manque de s'affaler en voulant enjamber la vicieuse table basse. Pourquoi a-t-il fallu que cette tornade de femme emménage dans la maison voisine ? Pourquoi ?
Essoufflé, il la rejoint sur le palier où elle fixe le plafond bas.
— Vous avez là le spot idéal ! s'enthousiasme-t-elle en pointant du doigt la fenêtre de toit. On y va ?
— Où ça ? se crispe Vivien, les yeux écarquillés.
— Là-haut ! Chez moi, je ne peux pas, les branches du chêne me cachent la vue.
Carène tire un tabouret sous le Velux et grimpe dessus, provoquant des palpitations chez le jeune homme. Son cœur s'emballe de plus belle. Est-ce de la savoir en pleine escalade ou le sourire qu'elle lui adresse ?
— C'est quoi votre nom, au fait ? lance Carène.
— Vivien, parvient-il à répondre, malgré son état d'hébétude.
Elle lui tend la main.
— Venez, Vivien.
La situation est surréaliste. Il y a quelques minutes, il était confortablement installé sur son fauteuil rembourré, en sécurité, et voilà qu'un ouragan blond l'invite à grimper sur son toit. Son propre toit ! Il pourrait se dégonfler ou s'offusquer de l'attitude de cette sans-gêne... mais sa poitrine se gonfle d'un sentiment qu'il n'a jamais éprouvé. Carène attend.
— Je vais mourir, bafouille-t-il, tremblant de la tête aux pieds.
Il rassemble tout son courage pour sortir le buste par l'ouverture, sa paume serrée dans celle de la jeune femme, mais c'est son maximum.
— Non, vous allez vivre, vous ne risquez rien avec moi, lui assure Carène en s'allongeant sur les tuiles encore gorgées de soleil.
Vivien la trouve bien optimiste, mais il ne répond pas, soudain saisi par la beauté du spectacle. En silence, les deux nouveaux voisins contemplent la voûte céleste. Le jeune homme réalise qu'il ne l'a pas vue sous cet angle depuis des années. Ce devait être avant la mort de ses parents, avant les foyers d'accueil, avant la solitude et les maux imaginaires.
— Alors ? souffle Carène.
Contre toute attente, face à l'immensité, Vivien oublie un instant qu'il peut se casser le col du fémur ou s'évanouir d'une oxygénation brutale. Il inspire à pleins poumons tout en considérant la jeune femme dans l'obscurité. Entouré d'étoiles – celles dans le ciel, comme celle à côté de lui –, il prend un peu l'air et il se sent bien.

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