Besoin d'évasion

« Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux. », pense de manière répétée Mpouta en cette matinée où, affalée sur son lit elle écoute la radio. De lundi à dimanche, c’est l’horreur aux informations. Non seulement l’univers est frappé par une pandémie, mais aussi les cris de guerre, de famine, d’insécurité, d’accidents exacerbés de la circulation et autres malheurs retentissent dans son pays, la Métaurie, entité territoriale à cinq régions. Il ne se passe pas alors un jour sans qu’on n’oie à la Métaurie des histoires mornes, sans qu’on n’aperçoive des visages moroses, sans qu’on ne ressente les affres instaurées par l’atmosphère triste qui prévaut, et sans qu’on ne soit en contact avec la réalité lugubre.
Au Nord du territoire, se trouve le fief des ravisseurs qui depuis leur quartier général commanditent des enlèvements se soldant par l’assassinat des personnes enlevées pour des besoins ritualistes.
Pour ce qui est du Centre, personne ne se souvient plus du comment, du quand et du pourquoi les terroristes ont fait de la zone la leur. À cet endroit, principalement dans le département du Mvoum, la terre se nourrit des hématies, des leucocytes, ou tout simplement, du sang de tous ces Métauriens ayant succombé.
Concernant l’ouest du pays, on déplore un champ élevé de pauvreté. Le seuil en est atteint. La situation est telle que les plus riches de la région sont ceux qui parviennent à se nourrir sept jours sur sept. Cependant, il arrive parfois que la frénésie s’empare de ces Métauriens d’un autre genre au point où la méfiance devient le trésor tant convoité de tous. Tributaire à cela, tout le monde a peur de tout le monde. Et à ce sujet, Thomas Hobbes affirmait : « L’homme est un loup pour l’homme » et Jean Paul Sartre : « l’enfer c’est les autres ». Plus personne n’épouse la pensée de Gabriel Marcel selon laquelle : « Le paradis c’est les autres ». À propos de cette région on pouvait souvent entendre Mpouta dire : « Est sous-jacente à la pauvreté la mort ». À l’ouest, tout le monde est sous la paille.
Que dire de l’Est ? Pas grand-chose, mais ce qui est judicieux de savoir est qu’en ce lieu, les routes sont mauvaises et dangereuses au point où il ne se passe pas quatre jours sans qu’on n’enregistre un cas d’accident. Les familles sont en perpétuelles lamentations. L’euphorie, aussi infirme soit-elle cède la place à la dysphorie. La terre boit des gorgées de sang.
Il ne reste plus que le Sud, zone de brassage culturel. Toutes les ethnies y sont représentées. Néanmoins, nous n’affirmerons pas mordicus qu’il y fasse bon vivre. Certes, il s’agit de la région siège de la capitale politique, mais il n’en demeure pas moins que rien ne va pour le mieux. Ce qui est prépondérant c’est le fait que les gros poissons mangent les petits, tels des lymphocytes T4 phagocytant des agents pathogènes. Voulons-nous donc affirmer qu’il ne règne que le chaos à la Métaurie ?
Dans son pays le sang coule à flot. Dans son pays la pauvreté est de mise. Dans son pays pas de méritocratie. Dans son pays les maladies jouent leur partition. Dans son pays la joie s’étiole. Les Métauriens étouffent, surtout les indigents. Les morts se comptent par milliers, et tout ceci affecte Mpouta.
La jeune adolescente n’arrive pas à se contenir chaque fois que la radio passe en boucle ces informations. Elle sait avant chaque séance d’écoute que la fin sera comme à l’accoutumée triste. Soit, en cette matinée particulière, ses émotions débordent et soudainement, la jeune fille sombre dans les pleurs. Des larmes glacées ruissellent de ses joues, et lorsqu’elle se balance violemment de gauche à droite sur sa couche, ces larmes, tels des affluents se déversent sur le matelas. Mpouta a mal. À cet instant précis elle martèle en sanglotant : « J’ai besoin de sortir de tout ceci. J’ai be-besoin de m’évader, de partir. Mais où ? Je n’en sais trop rien. J’en peux plus de ces souffrances. ». Sans s’en rendre compte, elle sombre dans les bras de Morphée, et il s’agit pour elle d’une échappatoire, car dans son pays, elle ne sait comment se débarrasser de cette épée de Damoclès au-dessus de leurs têtes.
Aussitôt endormie, elle entre dans le monde onirique qui lui offre alors l’évasion dont elle a besoin, une dimension dans laquelle plus aucun danger n’existe. Un endroit où prime l’amour. Un lieu digne d’être comparé à l’Eldorado de Voltaire, un pays de cocagne où l’amour dicte ses lois.
Un matin de septembre 2028, comme tous les autres d’ailleurs, Mpouta se lève de son lit et s’apprête pour le campus où elle se forme en communication d’entreprises. Elle n’est plus à la Métaurie, mais dans un endroit qu’elle ne parvient pas à identifier. De toute les façons, il y fait beau, et la jeune fille est enfin rassérénée. Aux informations, que de bonnes nouvelles. L’euphorie déborde, et au diable la dysphorie.
Un jour, alors qu’elle rentre de l’école, elle croise un bel homme, et sans crier gare, il jette son dévolu sur elle, qui de son côté également ne parvient plus facilement à détacher son regard du sien. Seulement, contre toute attente, Mpouta parvient à quitter son bel inconnu du regard, lorsque son front heurte violement un grand mur blanc, et sans vous mentir, une grosse bosse ne tarde pas à germer au centre même de son front. Prise de honte et croyant que le garçon se moque probablement d’elle, elle prend la poudre d’escampette et en quelques secondes, elle n’est plus sur la scène de crime.
Une fois à la maison, malgré le pied de chou sur son front, elle ne cesse de penser au jeune homme dont elle ne sait rien, et lui aussi. Après des semaines de recherche, il finit par revoir Mpouta, et tels la petite sirène et le jeune prince, ils se plaisent. Après avoir passé des heures à la courtiser sans trop de difficultés, il parvient à obtenir un rendez-vous avec elle à la plage.
À la veille de leur rendez-vous, les amoureux se préparent avec passion. Selon Mpouta, tout doit être impeccable, idée partagée par Brino qui s’offre un nouveau Bermuda, car pas question de se retrouver à la plage avec un de percé. Deux heures plus tard, les amoureux se retrouvent. Dans un silence absolu, ils se contemplent. Mpouta est encore plus belle. Sa peau est douce, car n’ayant jamais été visitée par l’acné et par les vergetures. Pour Brino, elle est un rayon de soleil. Concernant Mpouta, Brino est charmant. Il a de beaux yeux. Ses muscles fermes sont attirants. Son teint chocolat lui plaît bien, etc. Ne supportant plus le silence, Brino se rapproche de Mpouta, de telle sorte que les deux visages forment une symétrie parfaite. Et, au moment où il s’apprête à balancer le mot magique, Mpouta entend une voix qui l’appelle et indubitablement, il s’agit de celle de sa mère. On peut alors entendre : « Mpouta réveille-toi. Réveille-toi ma fille. Il est l’heure de passer à table pour le dîner. »
Hélas, l’évasion n’est que de courte durée. Lorsque ses yeux s’ouvrent, elle se souvient de tout. Et une fois que ceux-ci rencontrent son poste radio posé sur la petite armoire à gauche de son lit, le chagrin reprend possession d’elle. Elle aurait aimé rester dans ce monde qu’elle venait de baptiser Brita, en honneur à l’amour, mot formé des syllabes des noms des amoureux. Cet endroit lui manquait.
En proie de la réalité jadis oubliée, Mpouta n’a pas faim. Elle veut juste s’évader de nouveau. Dans cette lancée, elle retourne au lit afin que le sommeil l’emporte encore à Brita, mais tout ce qu’elle récolte c’est de l’insomnie.
La mère, sachant à quel point sa fille est triste, s’approche d’elle et lui chuchote : « Oyona donoué » qui veut dire ‘’gardons espoir’’ en Wambouli, l’une des langues nationales. Mpouta se dit alors en elle-même qu’après tout, il s’agissait sûrement d’un rêve prémonitoire dans lequel Dieu lui annonce une suite heureuse des évènements. Elle est sûre que Brita représente la future Métaurie. C’est alors dans cette lueur d’espoir qu’en embrassant sa mère, elle martèle : « Oyona donoué ».