« Ce matin, Camille a téléchargé l’appli... ». Face de Rat n’a pas le temps de compléter sa phrase. Sans domicile fixe, il lui arrive de noircir des feuillets pour satisfaire son... [+]
Baron Rouge
il y a
3 min
309
lectures
lectures
13
En compétition
Ce matin, je suis monté à bord de mon avion un peu avant l’arrivée des autres. Je me suis installé, lentement, soigneusement. Je voulais être seul un moment avant ce vol. Dire que c’est la dernière fois... À un moment, et durant de longues minutes, mes yeux se sont arrêtés sur mon porte-bonheur, une petite photographie que j’affiche dans mon cockpit depuis de nombreux mois. En fait, depuis que j’ai été appelé dans l’armée de l’air pour le service actif. Tous, ici, mais sûrement est-ce partout pareil, nous avons à notre bord une photo, une peluche ou une lettre d’amour, par superstition. Sa présence nous réconforte, nous guide à travers les choix que nous faisons à chaque instant. C’est bizarre, mais nous n’en parlons jamais entre nous, comme par peur de briser la magie, en laquelle nous tous croyons fermement.
À l’aide d’un morceau de ruban adhésif, j’ai scotché cet instantané jauni par le temps juste au-dessus de l’altimètre. Ce n’est pas une photo de famille ou de notre Guide, ni d’une femme en petite tenue ou carrément nue comme l’ont fait certains. J’ai choisi quelque chose de plus sobre : il s’agit d’un vieux cliché, en noir et blanc, légèrement corné, représentant des pilotes de la Première Guerre Mondiale. Maigres et durs sous leurs harnais cuir et bronze, debout à côté de leurs invraisemblables carcasses de fil de fer, de bois et de toile dans lesquels ils volaient sans parachute : de vrais héros. Les SEULS vrais héros, je pense parfois. Quels regards, quelle virilité ces hommes dégagent ! Ils n’ont pas simplement été immortalisés par le photographe, c’est bien plus que cela : ils sont immortels, tout simplement. Un d’eux m’a depuis toujours obsédé, sans que je ne trouve ce matin encore pourquoi : c’est un solide gaillard musclé, qui pose dans une posture digne d’un conquérant, mais il n’a objectivement rien de particulier par rapport aux autres personnages de la photo. Non, vraiment, il n’a rien de remarquable, et pourtant, il me fascine. Je me suis à plusieurs occasions surpris à dialoguer avec lui et je lui ai d’ailleurs donné un nom de guerre, Baron Rouge. Il me regarde ce matin avec ses yeux volontaires, et parle de moi à ses équipiers : « un bon p’tit gars », « un dur à cuire », dit-il avec son accent germanique, en me comparant ensuite aux plus fameux des pilotes de son époque : Merkling, Hesse (des compatriotes du Baron), Mc Coy (un américain), Arslan (le célèbre français)... Aujourd’hui, c’est mon tour de rejoindre cette prestigieuse liste : je vais à mon tour devenir un héros. Mon nom aussi restera dans les mémoires.
J’arrive, Baron Rouge, j’arrive.
Les autres pilotes arrivent enfin, ils montent dans leurs appareils qui comme le mien, ont été peints de mille couleurs éclatantes. Sur chacun a été fixée une très importante quantité de bombes, ce qui va rendre le vol jusqu’à la cible assez difficile, d’ailleurs. Mais l’ennemi ne se doute pas de ce qui l’attend, et l’effet de surprise va nous permettre de mener à bien notre mission. Nous mettons les moteurs en marche, les hélices commencent leurs rotations de plus en plus rapides. Sur le bord de la piste, les mécaniciens nous regardent manœuvrer avec respect ; mon appareil s’élance sur le bitume, de plus en plus vite, et parvient finalement à s’arracher du sol. Nous effectuons des rotations pour attendre que toute notre escadrille soit réunie, et nous nous mettons en formation, prenant la direction de la côte. Baron Rouge me regarde : je me dis qu’il devait sûrement avoir les yeux bleus, comme l’océan que nous survolons maintenant. Ce sont sûrement les circonstances qui me rendent poétique. Mais la poésie n’a pas sa place dans cette mission, et elle passe avant tout. C’est la vie de nos familles qui est en jeu, et rien ne nous fera les décevoir.
J’arrive, Baron, fais-moi place.
Nous sommes à présent à dix minutes de l’objectif. Le vol s’est très bien passé, nos escorteurs n’ont pas eu à intervenir car notre ennemi est tellement sûr de sa puissance, tellement orgueilleux qu’il n’entretient aucune surveillance aérienne. Le Guide nous l’a répété : si nous ne prenons pas les devants, un jour, cet ennemi de nos alliés deviendra le nôtre, de toute façon. Le frapper avant qu’il ne nous nuise évitera de nombreux morts civils parmi notre population : nous avons donc accepté cette mission avec honneur et enthousiasme.
Nous commençons à perdre de l’altitude, afin d’éviter d’être repérés par leurs radars, et nous volons maintenant à moins de trente mètres des flots. Nous continuons à descendre, à peine plus d’une dizaine de mètres sépare Leader 1 des petits jets d’écume blanche du Pacifique. Passage à plein régime. Quoi qu’il arrive maintenant, nous ne pouvons plus reculer.
Baron...
Leader 1 interrompt mes pensées et le silence radio que nous nous étions imposés jusque là : « Cibles en vue, distance huit cents mètres ».
Six cent cinquante mètres, cinq cents puis trois cent cinquante. Sur le porte-avions américain, des marins commencent à courir dans tous les sens. Vers leurs postes de combat ou vers le bastingage, par-dessus lequel ils sautent. Cent cinquante mètres. La D.C.A. n’aura le temps de réagir contre aucun de nos appareils, la mission va être un incroyable succès... Tu vas être fier de moi, Baron Rouge! Cent mètres! A présent, la distance me permet de saisir davantage de détails : le porte-avions, les canons "Martins" pointés vers le ciel, les marins qui se bousculent, les mitrailleuses qui déchirent nos carlingues. Sur ma droite, une formidable explosion qui projette des morceaux de ferraille brûlants dans toutes les directions. Quatre vingt mètres ! Nous entrons dans la légende ! Quarante mètres !, vive l’Empereur !, vingt mètres, Baron Rouge.
À l’aide d’un morceau de ruban adhésif, j’ai scotché cet instantané jauni par le temps juste au-dessus de l’altimètre. Ce n’est pas une photo de famille ou de notre Guide, ni d’une femme en petite tenue ou carrément nue comme l’ont fait certains. J’ai choisi quelque chose de plus sobre : il s’agit d’un vieux cliché, en noir et blanc, légèrement corné, représentant des pilotes de la Première Guerre Mondiale. Maigres et durs sous leurs harnais cuir et bronze, debout à côté de leurs invraisemblables carcasses de fil de fer, de bois et de toile dans lesquels ils volaient sans parachute : de vrais héros. Les SEULS vrais héros, je pense parfois. Quels regards, quelle virilité ces hommes dégagent ! Ils n’ont pas simplement été immortalisés par le photographe, c’est bien plus que cela : ils sont immortels, tout simplement. Un d’eux m’a depuis toujours obsédé, sans que je ne trouve ce matin encore pourquoi : c’est un solide gaillard musclé, qui pose dans une posture digne d’un conquérant, mais il n’a objectivement rien de particulier par rapport aux autres personnages de la photo. Non, vraiment, il n’a rien de remarquable, et pourtant, il me fascine. Je me suis à plusieurs occasions surpris à dialoguer avec lui et je lui ai d’ailleurs donné un nom de guerre, Baron Rouge. Il me regarde ce matin avec ses yeux volontaires, et parle de moi à ses équipiers : « un bon p’tit gars », « un dur à cuire », dit-il avec son accent germanique, en me comparant ensuite aux plus fameux des pilotes de son époque : Merkling, Hesse (des compatriotes du Baron), Mc Coy (un américain), Arslan (le célèbre français)... Aujourd’hui, c’est mon tour de rejoindre cette prestigieuse liste : je vais à mon tour devenir un héros. Mon nom aussi restera dans les mémoires.
J’arrive, Baron Rouge, j’arrive.
Les autres pilotes arrivent enfin, ils montent dans leurs appareils qui comme le mien, ont été peints de mille couleurs éclatantes. Sur chacun a été fixée une très importante quantité de bombes, ce qui va rendre le vol jusqu’à la cible assez difficile, d’ailleurs. Mais l’ennemi ne se doute pas de ce qui l’attend, et l’effet de surprise va nous permettre de mener à bien notre mission. Nous mettons les moteurs en marche, les hélices commencent leurs rotations de plus en plus rapides. Sur le bord de la piste, les mécaniciens nous regardent manœuvrer avec respect ; mon appareil s’élance sur le bitume, de plus en plus vite, et parvient finalement à s’arracher du sol. Nous effectuons des rotations pour attendre que toute notre escadrille soit réunie, et nous nous mettons en formation, prenant la direction de la côte. Baron Rouge me regarde : je me dis qu’il devait sûrement avoir les yeux bleus, comme l’océan que nous survolons maintenant. Ce sont sûrement les circonstances qui me rendent poétique. Mais la poésie n’a pas sa place dans cette mission, et elle passe avant tout. C’est la vie de nos familles qui est en jeu, et rien ne nous fera les décevoir.
J’arrive, Baron, fais-moi place.
Nous sommes à présent à dix minutes de l’objectif. Le vol s’est très bien passé, nos escorteurs n’ont pas eu à intervenir car notre ennemi est tellement sûr de sa puissance, tellement orgueilleux qu’il n’entretient aucune surveillance aérienne. Le Guide nous l’a répété : si nous ne prenons pas les devants, un jour, cet ennemi de nos alliés deviendra le nôtre, de toute façon. Le frapper avant qu’il ne nous nuise évitera de nombreux morts civils parmi notre population : nous avons donc accepté cette mission avec honneur et enthousiasme.
Nous commençons à perdre de l’altitude, afin d’éviter d’être repérés par leurs radars, et nous volons maintenant à moins de trente mètres des flots. Nous continuons à descendre, à peine plus d’une dizaine de mètres sépare Leader 1 des petits jets d’écume blanche du Pacifique. Passage à plein régime. Quoi qu’il arrive maintenant, nous ne pouvons plus reculer.
Baron...
Leader 1 interrompt mes pensées et le silence radio que nous nous étions imposés jusque là : « Cibles en vue, distance huit cents mètres ».
Six cent cinquante mètres, cinq cents puis trois cent cinquante. Sur le porte-avions américain, des marins commencent à courir dans tous les sens. Vers leurs postes de combat ou vers le bastingage, par-dessus lequel ils sautent. Cent cinquante mètres. La D.C.A. n’aura le temps de réagir contre aucun de nos appareils, la mission va être un incroyable succès... Tu vas être fier de moi, Baron Rouge! Cent mètres! A présent, la distance me permet de saisir davantage de détails : le porte-avions, les canons "Martins" pointés vers le ciel, les marins qui se bousculent, les mitrailleuses qui déchirent nos carlingues. Sur ma droite, une formidable explosion qui projette des morceaux de ferraille brûlants dans toutes les directions. Quatre vingt mètres ! Nous entrons dans la légende ! Quarante mètres !, vive l’Empereur !, vingt mètres, Baron Rouge.
Ce qui en soit n'enlève rien à cette histoire que j'ai beaucoup aimé aussi :)
Un fait d'histoire relaté sous la forme de votre fiction. J'ai apprécié et m'abonne.
Les chauffeurs routiers ont aussi leurs photos : " Pamela... Jessica... Emmanuelle... Joy... et autant de noms qu'il y a de mois dans l'année !
( Si ce n'est plus ! ) ;-))
À bientôt.