Au-delà des souvenirs…

Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux. Je ne me souviens pas exactement du jour où tout cela avait commencé. Tout ce que je savais, c’est qu’il fallait que je trouve le moyen de m’en sortir. En fait, depuis que Ryan a décidé de briser notre relation, mon univers s’est enfoncé dans un immense gouffre. Cela me maintenait éveillée toute la nuit voire même jusqu’au petit matin. C’était la seule chose que je n’avais pas vraiment prévue. Surtout la façon dont cela s’est passée. L’incertitude. L’enquête. L’aveu.

Demain, je devais rentrer à la maison, dans mon beau pays, ma charmante petite ville. Le billet a été réservé un peu plus tôt. Mais en ce moment, mes yeux ne veulent pas se fermer. J’aurais bien voulu être à la place de Tom le chat du dessin animé, qui a la chance de dormir, mais qui cherche des allumettes au lieu de cela pour garder ses deux globes ouverts. Je me rappelle encore du début de l’histoire. On se connaissait presque un an et demi déjà, mais notre relation amoureuse n’a même pas tenu une année. Juste cinq mois si l’on comptait. Je pense qu’elle a vu le soleil au moment précis où je lui ai posé une question.
- Qui suis-je pour toi, honnêtement ?
- Quelqu’un avec qui je veux avoir plein de bonheur.
Nous étions loin l’un de l’autre ce jour-là, alors on se textait, on se partageait des photos, des vidéos, des messages vocaux. Mon cœur allait s’exploser. J’avais à l’esprit la réplique de Clitandre dans Les femmes savantes : « Tout destin avec vous me peut être agréable, tout destin, me serait, sans vous, insupportable ». C’était l’amour insensé. On se révélait presque tout. Hélas, la flamme s’éteignit si vite. Les promesses se sont envolées comme un petit cardinal qui s’enfuit au moindre mouvement. Alors, c’est cela la déception amoureuse ? Se sentir ridicule d’avoir cru à des paroles en l’air. Regretter d’avoir tout raconté et d’avoir trop espéré. Ne plus avoir envie d’aimer trop à la folie. Et puis, soupirer, se lamenter... Maintenant, plus de soirées de pleine lune, plus de rendez-vous à deux, plus rien...

Je jetais un coup d’œil à mon téléphone, il n’était que deux heures du matin. Le plus drôle dans cette aventure, c’est qu’il souhaitait rester ami, du genre meilleurs amis, comme si de rien n’était. Je pense qu’à force de regarder des drama coréens, à force de dévorer des histoires d’amour, je me suis fait cultivée des plants d’illusions, je croyais au conte de fées au point d’accepter les « pourquoi pas ? ». On a quand même eu de bons souvenirs ensemble, alors pourquoi gâcher une amitié pour une mésentente passagère ? Cette fois, cela ne devait juste plus dépasser la limite, quoiqu’en vérité, il me soit pénible de couper les chaines tellement elles étaient durement attachées. On a toujours le choix dans la vie. J’ai choisi de ne pas m’apitoyer sur mon sort car je trouverai bien, tôt ou tard, un moyen ou mille de me rendre heureuse.

Je voulais un peu changer les idées alors je suis allée au nouveau resto du coin. On m’y offrit du café alors j’ai commandé un mille-feuille pour l’accompagner. Puis je trimbalais au bord de la mer qui était tout près pour respirer les vagues. J’avais tellement oublié cette merveilleuse sensation. Satisfaite, je retournais à l’appartement, mais au fond, je sentais que ma vraie maison n’était pas ici. Je me suis tout de suite glissée dans mon lit, mais une fois de plus, je n’arrivais pas à dormir. Quelque chose me manquait. La voix de papa résonnait dans ma tête : « Bonne nuit ma belle, je t’aime ». C’est tout ce que j’avais envie d’entendre. On ne se rend réellement pas compte de l’amour de quelqu’un que quand il n’est pas près de nous. Ensuite, le doux visage de Serena m’apparut. Elle m’a formellement interdit de reprendre contact avec Ryan. Elle ne supportait pas le fait que quelqu’un d’autre me fasse souffrir. Elle disait être la seule personne qui avait ce droit. C’est une fille coriace, attentionnée et très intuitive. Elle m’a téléphoné juste après que Ryan m’avais annoncé la fin. J’ai beau être l’ainée, Serena me surpassait comme si elle avait déjà traversé des milliers de vie. Ce genre de don n’est pas accordé à tout le monde. Elle me parlait comme si Dieu avait envoyé un ange pour me tenir compagnie et me réconforter. J’ai laissé les gouttes d’eau couler sur mes joues. Je ne pouvais les empêcher. Malgré tout, je devais être contente que Ryan n’ait pas rendu son verdict pendant une période cruciale pour moi, quand je préparais mes examens et ma thèse. J’aurai dû tout saisir aussi le jour de ma soutenance. Il ne pouvait pas y assister pour je ne sais quelle raison. Je ne lui en voulais pas. De plus, cela s’est bien passé. J’étais fou de joie de lui annoncer la bonne nouvelle. Il était super heureux, mais comme par hasard, il ne me promit rien ce jour-là, lui qui avait la manie de fêter le moindre petit succès.

Comme j’échouais toujours à m’endormir, je me suis connectée. Curieusement, j’aperçois que tout le monde se met à s’amuser avec une distraction sur internet, une sorte de jeu qui devinait votre personnalité ou votre avenir à partir de votre profil avec des résultats étonnants. Je ne croyais pas à ce genre de sottise et pourtant ma curiosité prenait le dessus. Je n’imaginais pas ce que cette indiscrétion allais me coûter. Dans tous les cas, je suis libre d’y croire ou pas. Tout un tas de questionnaire, mais j’hésitais sur une question particulière, ou plutôt, j’avais peur de la réponse. Je risquais vraiment de m’étonner, et pourtant n’est-ce pas le but du jeu : surprendre ? Après quelques secondes de réflexion, j’ai décidé de me lancer. « Qui est l’amour de ta vie ? ». Auriez-vous vu venir la réponse ? Je l’ignore mais cela m’a absolument dépassé. J’ai joué trois fois, j’ai eu trois réponses claires : « Tu l’as déjà rencontré mais vous avez décidé de rester amis », « Tu es encore amoureuse de ton ex », « Laisse-le partir ». Ce jeu avait-il raison de me conseiller ainsi ? Sur ce, j’ai arrêté pour essayer de me plonger dans le sommeil. J’avoue que parfois, être dans le noir a ses avantages tant qu’on ne laisse pas la peur nous dominer. C’est difficile à croire mais dans cette sombre nuit, j’étais calme malgré toutes les pensées qui se faufilaient.

Soudain, l’aboiement du cerbère de M. Marco me fit sursauter. Je me levai et me tenais devant ma fenêtre pour voir. Je ne savais pas que M. Marco quittait sa petite maison de beau matin. D’ailleurs, je me demandais quel genre de travail il faisait. Et dire que j’ai passé cinq bonnes années dans cet endroit sans vraiment être attentive à toutes les vies qui m’entouraient. J’étais tellement aux prises par mes routines que j’oubliais ce que c’est de vivre normalement.

Le moment tant attendu est arrivé, j’allais enfin rentrer et revoir toute la famille. Je pourrais me ressourcer un peu avant de reprendre la suite, ou bien avant de repartir à nouveau, il n’est jamais trop tard pour cela. C’est alors qu’une sensation mystérieuse me truffa. Une inquiétude mêlée de paix, une tristesse mêlée de joie, une haine mêlée d’amour. On ne s’attend inévitablement pas à tout dans la vie. Après avoir rangé ma chambre, j’ai pris un petit bain frais rapide. Puis je descendis dans la cuisine pour grignoter les quelques cookies qui me restaient. J’éclusais le lait du frigo avant de prendre ma valise.

- Taxi, hélai-je. A l’aéroport s’il vous plait.

J’étais un peu déçue de voir que seul Frannie m’attendait à l’arrivée. Je ne me rendais pas compte que c’est la fête nationale, que mon grand Mike allait défiler pour la première fois au stade, et que toute la famille serait réunie là-bas. Finalement, ce serait une explosion de joie. En une nuit, j’avais gardé trois choses. L’urgent ne dure qu’un temps, l’important aussi. Une fois passée, ces deux-là ne pouvaient juste pas revenir. Seul reste l’essentiel et je pense enfin l’avoir compris.