Au cours du périple !

« Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux »

Se demanda Adrien quand il se réveilla seul dans une case morbide située à la périphérie d’un village où il ne connaissait personne et dont il ne parlait pas la langue. Que lui était-il arrivé et comment s’était-il retrouvé dans cette situation ?

23h00’, Kinshasa 1991. Appel à tous les passagers du vol Kinshasa – Johannesburg, veuillez vous diriger sur le lieu d’embarquement. Adrien dit un dernier au revoir à sa femme, ses deux filles et son petit garçon ; la situation du pays étant difficile, le père de famille décida d’immigrer vers le pays de Mandela pour un avenir meilleur. Là-bas au moins, il pourrait exercer sereinement sa médecine et faire vivre dignement sa famille. Arrivé en Afrique du Sud, celui-ci fut logé par Fidèle, son ami d’enfance vivant là depuis bien d’années et devenu domestique. Ce dernier avait pour maison qu’une pièce humide de onze mètres carrés qu’il partageait à dix. Dès le lendemain de son atterrissage, le monsieur fit tous les hôpitaux à la recherche du travail salutaire tant désiré mais rien, ils ont tous l’effectif nécessaire et même plus, à en croire leurs dires : monsieur Adrien aurait entrepris le voyage avec une once de retard. Tous les services sanitaires qui étaient en manque de personnels se sont remplis de médecins débarqués plutôt. Le jeune homme ne se découragea point pour autant, il décida de se rendre à Pretoria en traversant tous les villages, un par un, dans l’espoir qu’on ait besoin d’un soignant dans l’une de ses localités. Adrien n’était pas de bonne fortune, sa présence n’était requise nulle part : la capitale resta son unique espoir. Pretoria ne lui sourit point, il essuya revers et échec, aucune porte ne s’ouvrit à lui ; il faillit même perdre la vie lors d’un échange de tirs entre forces de l’ordre et criminels à mains armés. Comble de ses malheurs, ses économies s’épuisèrent, il ne s’était pas préparé à faire plus de deux semaines sans emplois. Il écrit une correspondance à sa femme, demandant à celle-ci, qui était restée s’occuper des enfants et à qui il ne pouvait rien envoyer, de redoubler d’efforts afin de pouvoir lui envoyer des vêtements en pagne déjà confectionnés dans le but qu’il les vende. Les femmes du Sud aiment particulièrement ces pièces. Mais il ne gagnait pas assez pour pouvoir envoyer quoi que ce soit à sa femme : la dame devait dorénavant prendre soin des enfants scolarisés à Kinshasa ainsi que du mari seul à l’étranger. Adrien se mit à réaliser de petits travaux, indignes du fils de chef coutumier qu’il était ; mais aux grands maux, les grands remèdes. Il était dans la capitale depuis trois mois quand il décida – bravant ainsi la peur de la honte, qu’ont les gens qui immigrent, de rentrer dans leur pays quand les évènements ne se déroulent pas comme prévus – qu’il préférait être pauvre ou vivre durement chez lui que mener une telle vie loin des siens. C’est là que son périple pour rentrer à Kinshasa débuta. Sans ressource suffisante, il ne pouvait se payer un billet d’avion, il devait ainsi donc rentrer au Zaïre – République Démocratique du Congo aujourd’hui – en bus, par train et à pied, lui qui est pourtant drépanocytaire. Il devait sortir de ce pays, traverser le Botswana, passer par la Namibie pour entrer en Angola, de là seulement, il pourrait se rendre dans sa ville natale. Très exactement quatre mois après son arrivée, c’était le moment du retour ; il entreprit ce voyage avec sa valise presque vide car il avait tout vendu, son chapelet, son courage et soixante dollars américains en poche. Ce dernier arriva le soir de son départ au Botswana, il n’y avait jamais mis pied et ne connaissait aucun dialecte ni personne. Il essayait tant bien que mal de parler anglais pour se faire comprendre mais, la faim au ventre, il se demandait où passerait-il la nuit ! Tout ceci n’est qu’un cauchemar, se disait-il, je vais me réveiller et je serai dans ma maison près de ma femme et mes enfants. Adrien demanda asile dans un petit dispensaire délabré du coin où il ne trouva qu’une vieille infirmière seule et fatiguée, tentant de s’occuper de la dizaine de patients qui s’y trouvait. Après avoir su qu’il était médecin et entendu son histoire, elle accepta de le loger, quel soulagement ressentit-il ! La dame ne concevait pas qu’un médecin puisse souffrir de la sorte alors que dans son pays, le médecin est un riche monsieur. Adrien resta dans cet hôpital dix jours, il soigna tous les malades présents, opéra même certains d’entre eux, gagna un peu d’argent puis repris la route. Il dût d’abord acheter un matelas – en ce moment, le matelas était une denrée rare en Namibie. Il entra ensuite en Namibie, pays calme comme le précédent, où il séjourna chez une vieille dame qu’un étudiant namibien rencontré à Johannesburg lui avait recommandé. Peu après, il reprit la route pour l’Angola qu’il gagna enfin. Là, le contexte était tout à fait différent, le pays était rongé par la guerre civile – Jonas Savimbi soutenu par Mobutu, président du Zaïre, opposé à Eduardo Dos Santos. Il s’arrêta dans un petit village, près de la frontière avec la Namibie suite à une panne du camion sur lequel il était. Heureusement pour lui, il croisa la route d’une femme qui le reconnut, c’était une vieille amie de sa famille paternelle. Il dormit chez elle et remercia son Dieu d’avoir mis de merveilleuses personnes sur sa route. Le lendemain, le jeune médecin se réveilla en sursaut, il y avait des coups de feu dans son quartier, à moins de vingt mètres du domicile de la dame. On vint annoncer à la vieille que celui qu’elle avait envoyé acheter du pain ce matin-là avait été assassiné d’une balle à la poitrine pour avoir tenu tête au chef de la milice du coin et que son corps serait calciné dans la soirée avec ceux des autres morts.  Le médecin ne resta plus une seconde, il pouvait rester attendre l’amélioration de la situation ou avancer quitte à y perdre sa vie, il opta de partir. Il se dirigea vers un autre village situé au cœur du pays. Là, il serait logé par une amie de la vieille propriétaire de la maison qu’il venait de laisser. Dès qu’on apprit la présence d’un étranger dans le village, les rebelles du coin voulurent le tuer croyant qu’ils avaient affaire à un espion – les troubles de la guerre qui s’était éternisée sautaient aux yeux ; de nombreux territoires sans police, ni armée : c’étaient les rebelles qui faisaient la loi – mais la dame s’interposa farouchement et le jeune voyageur eut la vie sauve. Il resta deux semaines dans ce village puis fit cap vers la capitale, le centre de tous les dangers selon lui. Descendu à Luanda, il se dépêcha de se diriger, autant qu’il le pouvait, à l’ambassade son pays sans vraiment dire qu’il était zaïrois (congolais) – les partisans de Dos Santos frappaient les zaïrois parce que leur président soutenait Savimbi. Ladite ambassade attendait l’avion du gouvernement venu rapatrier les diplomates. Il y avait là une centaine de personnes voulant rentrer au Zaïre, bien plus que la capacité que pouvait accueillir l’appareil. Adrien fut chanceux que la femme de l’ambassadeur décida qu’elle ne quitterait pas le sol angolais en laissant un compatriote. Le pilote arriva tant bien que mal à Kinshasa. Le service de l’immigration de l’aéroport voulait bien laisser passer les diplomates mais pas les autres citoyens, ils devaient être contrôlés vu qu’ils n’ont pas voyagés dans les règles, la femme de l’ambassadeur refusa de partir seule et de ne point défendre ses compatriotes, ils passèrent tous la nuit sur place, non loin du tarmac. Le lendemain, une foule de Kinois venue chercher leurs membres de famille entra en force dans l’enceinte de l’aéroport. Parmi eux, le frère cadet d’Adrien travaillant à la tour de contrôle dudit lieu et ayant entendu dire que son frère se trouvait dans l’avion. C’est à ce moment que prit fin le périple de notre valeureux médecin.