Je rentre.
Je lui ai dit que je rentrais à sept heures et demie comme chaque jour.
Elle sait qu’il faut une demi-heure, depuis le quai aux fleurs.
Elle sait que ce n’est pas toujours que... [+]
J'ai quitté la ville, il y faisait un peu chaud. C'est une ville comme ça, de celles où l'air manque en été et où les nuits n’incitent qu’à la torpeur amoureuse ou à la suffocation. Cette année, nous avons affaire à un été curieux, fait de frontières hostiles, de soupçons d’éternuement et de perte d’odorat. Le lointain étant proscrit pour un bail, compromis par la prudence et le manque d’audace, je vais renoncer, pour la première fois depuis quinze ans au moins, à mes nuits de soleil, là bas, tout au nord d’un cercle imaginaire tracé par les hommes. J’envisage de ce fait un ailleurs immédiat, un exotisme de proximité.
Un ami dont la mère a eu le goût de mourir l’année dernière s’est retrouvé l’étonné propriétaire d’une maison sur ce plateau que les urbains invétérés dénigrent parfois pour sa noirceur passée.En ce qui me concerne, la Mure a toujours évoqué un fruit de fin d'été, je n'ai aucune idée de cette bourgade pourtant juchée à quelques kilomètres de mon sixième étage.
A la ville, tout juste m'a t-on parlé d’un train qui avait fait rêver les enfances avec ses lutins de tunnels et ses vues sur un bleu vert liquide vertigineux. Le train est à l’arrêt depuis des années et la promesse de son redémarrage cet été s’est abîmée dans les confins du printemps.
L’ami en question m’a proposé l’asile climatique et je me retrouve à l’abri d’un jardin devenu jungle à la après une année sans soins.Tout juste, à la faveur d’une brèche préservée dans la luxuriance de la haie, peut-on apercevoir une pierre percée, qui paraît-il, fait partie d’une série de merveilles de la région. Pour ma part, les vestiges d’un puits rouge, quelques wagonnets et les maisonnettes alignées en corons me fascinent d’avantage, de même que les petits cafés de la ville où parfois les visages disent encore une histoire commune, un paradoxe de vie âpre et de richesse collective. Je découvre une histoire encore vivante dans l'esprit des habitants de ces villages dont j'ignorais tout.
Pendant que mon ami trie les photos de son enfance, je pars à la recherche des espaces immenses qui pourraient concurrencer mon paradis viking suspendu.Je ne suis pas déçue. Sur un piquet providentiel, je trouve un point de vue sur l’existence et une vue sur des Écrins secrets, un Dévoluy prometteur et un Oisans abrupt. Plus loin des lacs promettent un réconfort tempéré aux excès brûlants de l’après midi. Tout ceux " d’ en bas" semblent avoir décidé de venir y tremper et je regrette vaguement la solitude de mes habituels étés arctiques.
A quelques regards, un colline de mille cinq cent mètres me raconte les erreurs où les canailleries de promoteurs trop avides. Une ruine de quelque chose qui n’est jamais advenu, une vanité humaine au milieu des forces naturelles. Je contemple la vue depuis un restaurant panoramique qui ne servit jamais de repas et sur les murs duquel, des messages gigantesques disent une histoire en mouvement. Ma déambulation dans les couloirs battus par le vent me laisse presque entendre l’écho des romances qui n’ont pas eu lieu dans des chambres inachevées.
De toute part les sommets se rient pourtant de l’avenir à vendre aux pancartes des immeubles, et des maisons de la ville, les brumes sur le Vercors laissent la part belle aux elfes et sans doutes que quelques trolls facétieux pourraient loger à l’Obiou avec espièglerie.
Pour l’heure, le soleil décline tranquillement et la fraîcheur de la nuit laisse s’approcher une comète. Le sommeil de mon ami sera peut être paisible dans la chambre de ses démons adolescents.
J’écoute les échos des voix de la mine dans le bruissement des feuilles du jardin. Regagner la ville reste une perspective et il y aura sans doute d’autres étés. Je savoure pour l'heure la richesse de cette découverte, ce monde si proche, si palpable et dont j'ignorais tout.
Oserais-je vous inviter à lire en lice également ,La chartreuse sur mon profil
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Bravo et au plaisir de vous lire à nouveau.
Votte avis sur https://short-edition.com/fr/oeuvre/tres-tres-court/rencontre-a-uriage
À bientôt
Youri