Anesthésiée

Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux.
Trois heures du matin, ma mère vient de me déposer à l'aéroport, je sens la nuit m'engloutir pendant que je m'avance sur la piste. Je m'en vais enfin...
Assise la tête sur le hublot je sens affluer tous ces souvenirs que j'ai ignoré ces derniers temps.
Un mois, ça fait très exactement un mois depuis ça. Un mois que je n'ai ouvert la bouche que pour dire le strict minimum. Que je vais en cours et que je fonctionne mécaniquement. Personne ne me touche. Mon père détourne le regard quand il me voit. De toute façon il ne m'a jamais vraiment regardée. Je m'en souviens vous savez? Je m'en souviens chaque jour, et la nuit ça me hante. Je suis là couchée, incapable de bouger et je le revis, je revois cet homme inconnu, j'entends cette vois et je recompte comme cet après-midi là.
Je me suis mise devant le miroir hier pour la première fois, je l'avais couvert avec mon foulard gris et il est tombé. J'ai eu honte face à moi, j'ai entendu le commissaire me demander ce que je portais. Si je ne l'avais pas aguiché. J'ai entendu ma belle-mère dire à mon père que je n'étais qu'une petite putain en manque d'attention. Et j'ai revu les rapports médicaux. Celui qui prouvait mon viol, et celui que ma belle mère a falsifié. J'ai revu Zinehb et Aziz, leur regard dégoûtés m'ont fixée et mon retiré respect et amitié. Je me rappelle que personne ne m'a posé de questions sur ça. J'ai dû continuer à travailler, à aller en cours et à faire face aux repas mondains. Pour la famille, il fallait être là. Et pour moi où était donc cette foutue famille. J'ai eu honte devant mon reflet. Honte de moi et pour moi. Je suis peut-être responsable. J'aurais peut-être dû me suicider. Je l'ai peut-être mérité. Ça fait déjà 9 ans que je subis, peut-être est-ce un signe que tout ceci ne fait que commencer ? J'ai regardé la lame j'ai regardé le miroir. J'ai eu mal. À l'âme, l'impression que ma raison explosait et sa voix dans ma tête "si longtemps que j'attendais ça Mlle d'Almeida, je ne te ferais que du bien" "ça ne durera pas longtemps". J'ai pris la l'âme et j'ai tracé.
Une ligne
Deux lignes
Deux poignets, deux fois.
J'ai regardé le sang couler mon âme hurlait, je suais la honte et la douleur morale était trop forte. Alors j'ai fait plus de traits. Sur mes cuisses 4 sur chaque. Puis une douche brûlante et j'ai renversé de l'alcool, pansé les plaies. Mis l'horrible tenue de l'école et je suis allée faire le petit déjeuner de ma parfaite petite famille.
Il est tard je voudrais dormir mais aussitôt mes yeux fermés je revivrai tout ça, les 7986 secondes qui ont suivies, alors j'ai peur.
Je ne sais pas pourquoi mais je me rappelle des détails les plus futiles de cette journée. Mon père s'est réveillé d'humeur familiale et a décrété une sortie, il s'est souvenu que je finissais à 13h mais que je rentrerai après avoir fait les exercices et dissertations pour les vacances. 19 h a-t-il dit. Ça te laisse une heure pour te préparer.
J'ai fini les cours à l'heure prévue, puis je me suis acheté un sandwich sans ketchup. J'ai mangé puis j'ai planché sur mes trois dissertations, histoire, philo et français. Puis j'ai fini avec les langues avant de plancher une dizaines de minutes sur les maths, j'ai abandonné et j'ai fait les exos restants, j'ai fini mes courbes et mes diagrammes puis je suis sortie. Je marchais depuis une dizaine de minutes et j'ai rejoint le petit champ qui mène chez nous. J'avais fait ce chemin un nombre incalculable de fois. Mais aujourd'hui je n'étais pas seule, quelqu'un marchait derrière, trop loin pour que je ne voie autre chose que sa chemise bleu ciel et son pantalon blanc. J'ai accéléré il me restait encore 40 minutes de chemin. J'avais regardé derrière moi avec effroi. J'ai prié tous les cieux, mais ce soir là je suis devenue comme anesthésiée. Je suis rentrée et j'ai été reniée.
La parfaite petite fille qui alliait sa terminale à un stage d'informatique dans une entreprise prestigieuse avait été souillée. À présent il fallait sauver les apparences.
Je me souviens vaguement de la suite des galas, des dîners, sourire et opiner du chef...oui je savais faire ça. Jusqu'au jour où belle-maman est venue me parler.

_Tu vas devoir te marier, ou bien disparaître, qu'importe la méthode... Tu nous as assez souillés. Pauvre petite catin.
_....
_De toute façon ton père est d'accord tu épousera El HADJ Aziz Ndiaye le fils du marabout. Il ne t'a jamais vu mais il ne jure que par toi.
_Ai-je le choix? Tu feras pire si je m'y refuse.
J'ai changé de religion comme dans un brouillard, mon Jésus est devenu Prophète Muhammad. Et ma bible un Coran. J'ai appris à prier et un mois plus tard j'étais voilée, et vêtue en route pour mon mariage. Peut-être tout ceci me ferait guérir.
Ça aurait pu s'arrêter là...si au moment de prononcer les vœux je n'avais pas entendu cette voix..."si longtemps que j'attendais ça Mlle d'Almeida, je ne te ferais que du bien" "ça ne durera pas longtemps". Il n'y avait aucun doute c'était lui. Et il serait bien trop tard pour moi, lorsque la nuit tomberait.
J'ai donc fait ce que je n'avais jamais imaginé faire un jour j'ai appelé Mme Delacruz ma mère biologique à la rescousse. Cette même femme qui m'avait abandonné.
Quelques mots ont scellé mon destin "il sera mort demain matin même, mais ceci est la seule et la dernière chose que je ferai pour toi. Accepte d'aller à Harvard et disparais de ma vie"
Mon mari est bien mort. Ce que personne n'a su c'est qu'il m'avait possédé une deuxième fois. Et que cette fois j'attendais un enfant.
Non cet enfant ne serait pas comme lui. Ne serait pas le sien. Jamais ces deux familles ne l'auraient.

J'ai débarqué aux states et je me suis lancée à corps perdu dans les études, l'éducation de mon fils et mon travail.

Mais rien ne m'avait préparée à rencontrer la réplique parfaite de mon bourreau dix années plutard au barreau de Londres. Il avait donc un jumeau. Maître Abdoul Aziz Ndiaye. Était-ce le pire? Certainement pas puisque je m'entendis très bien dire :
_"Chère ex belle sœur, mes condoléances, mais... vous auriez dû m'épouser moi, surtout après vous être débarrassée de mon frère"

Mais cette fois ci je ne plierai pas.

_Maitre Ndiaye, ravie de vous avoir vu. À l'avenir si vous voulez me parler, adresser vous à ma secrétaire pour un rendez-vous. Mon feu mari est mort et enterré. Laissez le reposer en paix. Depuis le temps il ya eu prescription à mon veuvage."

J'avais besoin de voir mon fils, et d'établir un plan. Mais mon fils n'était pas à l'école, et mère ne nous sauverait point...