Aissatou Sowa

Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux. Ce dont j’étais certaine est cette obscurité pesante et la lumière si elle devrait être au rendez-vous ne serait que le miracle d’Allah le père de toutes choses. Il m’a fallu beaucoup de temps pour rassembler le calepin et le stylo afin d’écrire ces mots. Et s’ils savaient, j’étais bon pour finir avec une balle dans la tête, ce qui serait sans doute mieux que d’être lynché pour servir d’exemple aux autres.
Je m’appelle Aissatou Sowa, première fille de l’honorable Imam Sowa de la ville du Sud. Tout a commencé quand j’avais encore seize ans, à l’époque, je faisais ma dernière année de collège au lycée du Sud dans l’internat pour fille. Comme toutes à mon âge, on aspirait à de grandes choses. Pour ma part, je voudrais être médecin plus tard. Et j’y ai mis du cœur et toutes mes forces pour réussir afin de rendre fier mon père. Vous vous demandez certainement ce qu'une fille d’un imam fait dans un internat. Mon père pour ce que je me rappelle de lui, était un grand homme. Il vivait selon les recommandations du Coran et était tout autant ouvert aux autres religions. Il croyait au principe de laïcité et disait : « ALLAH, DIEU, JÉHOVAH ne représentent qu’un seul et unique Dieu. Seuls les hommes se sont lancés dans une distanciation de culte pour le vénérer... ». C’était un homme tolérant que j’aime de tout cœur. La preuve même était son accord pour le mariage de sa jeune sœur avec un chrétien. Me mettre dans cet internat était pour lui un moyen de veiller à ma réussite loin de toutes distractions.
Un soir glacial, après une longue journée d’étude, nous nous apprêtons à dormir quand soudain, des hommes armés faisaient irruption dans notre internat. Ils étaient en uniforme des militaires et scandaient des cris bizarre en nous invitant à rentrer dans des camionnettes garées à l’extérieur. Au début, l’on ne se doutait de rien. À l’époque, nos enseignants nous entretenaient sur l’existence de groupe armé qui vivait dans la grande forêt au bord de la ville du Sud. On nous recommandait souvent de jamais sortir seul et surtout de faire attention à nous, car ces hommes étaient dangereux et ne connaissaient que la violence comme moyen de se faire entendre. On pensait donc qu’ils s’agissaient des militaires venu pour nous envoyer loin de là sur une information inquiétante. Mais la surprise fut-elle que ces hommes en uniforme se mettaient à mettre le feu en notre école. C’était là, et seulement était-ce trop tard que nous avions compris que ce n’était pas des militaires, mais des insurgés déguisés.
La scène ressemblait à une émeute suite à l’intervention de la police dans une manifestation. J’ai aperçu le corps gisant dans un lac de sang de notre concierge. J’étais submergée par la peur, pouvant ni agir ni fuir ni faire quoi que ce soit. J’ai été ramené à la réalité par un coup de crosse d’un insurgé, qui me jeta ensuite dans l’une des camionnettes. Ils se mirent à tirer en l’air afin de nous faire peur ou de nous dissuader de fuir. Enfin, je savais plus. Imaginer, un groupe de jeunes filles mineures face à une bande de barbares armées jusqu’aux dents. On était tous apeurés. Recroquevillée sur moi-même, je luttais contre la douleur suite au coup de l’insurgé. Notre camionnette se mit en route et en regardant le noir de la nuit, je me mis à crier, mais aucune voix ne sortait. J’avais que mes yeux de petites filles pour demander de l’aide à un bâtiment en feu qui semblait lointain à mesure que l’on s’éloignait dans la nuit profonde.
J’avais un vague souvenir du moment qui a précédé notre départ de l’internat et du lendemain. Tout ce dont je me souvenais, était le vrombissement des moteurs qui nous menaient en pleine brousse. Le lendemain, on nous força à nous changer comme de « femmes musulmanes dignes » selon leur propos. On s’habillait en hijab qui couvrait toutes les parties de notre corps. Ils nous ont alignées et nous forçaient à réciter les prières du matin. Étant d’origine musulmane, j’avais aucun mal à cela, mais j’imaginais la difficulté de mes camarades chrétiennes. C’est à ce moment qu’un homme barbu élancé, moins bâti à la limite maigre venait vers nous. Il est vertu d’un pantalon de militaire, et d’un simple débardeur laissant entrevoir sa petite poitrine, avec à sa tête un ruban noué qui cachait la forme de ce dernier.
Les combattants se mirent tous, à le saluer avec respect. D’autres l’appelait « Wali » en baissant leur regard. Wali qui voudrait dire guide spirituel, je le savais parce que jadis, des fidèles de la mosquée de mon père l’appelaient ainsi. L’homme qui était sans doute leur chef faisait le tour en nous observant. Il prit la parole et s’exprima ainsi : « Savez pourquoi vous êtes là ? ». Aucune de nous, pouvait répondre. Après un moment de silence, il continua enfin : « Vous êtes la honte de l’islam, vous vivez dans le péché sans le savoir. Vos parents vous ont menti toute votre vie que l’enseignement des blancs est la meilleure. Mais ce que vous ignorez, c’est que cela vous entraîne dans le péché. Le seul enseignement qu’une femme devrait avoir est celui d’Allah à travers son mari. Qu'Allah me soit témoins aujourd’hui, vous serez tous mariés, les plus jeunes vendus. Et sachez en même temps que celles d’entre vous qui tenteraient de s’échapper d’ici seraient lynché à mort, d’autres donneront leur vie pour notre cause et pour Allah soyez en sûre et c’est seulement que vous respectez nos règles que vous pouvez aspirer à la grandeur d’Allah... », le ton de sa voix montait et devenait menaçant. Mille et une question me traversaient l’esprit à ce moment, comment serait ma vie maintenant, mes rêves, mes parents que feront ils en ce moment, viendront, ils nous sauver. J’avais aucune réponse à ces questions. Les jours qui suivent, notre quotidien se résumait à la prière quotidienne, aux travaux domestiques les matins puis l’enseignement islamique, ce qui d’ailleurs était bien différent de ce que j’apprenais auprès de mon père. Leur interprétation de l’islam reste à discuter. On faisait la cuisine les soirs pour tout le monde.
Je priais Allah dont ce jour ne vienne pas maintenant. Quelques semaines après notre enlèvement, je fus mariée sans mon consentement au bras droit du Wali et de surcroît, j’étais sa sixième femme. Un homme imposant par sa corpulence, on le surnommait le boucher dans le camp pour avoir tué plus de gens que possible « les ennemis d’Allah » comme ils s’en vantaient tous. La nuit de noce fut pour moi une plongée dans l’abîme céleste. Ayant eu le malheur de lui avoir opposé un soupçon de résistance, il se déchaîna contre moi. Je préfère ne pas aborder le déroulement de cette soirée. Après ces noces, je devins son esclave sexuelle, il me battait et faisait de moi ce qu’il voulait. Comment des hommes qui ne cessaient d’appeler Allah dans tout ce qu’ils font, peuvent ils être aussi barbare. J’arrivais pas à comprendre.
Ces événements m’ont fait découvrir une chose importante. C’est la réalité dans laquelle je vis. J’avais un choix à faire, qui n’est pas du tout facile. D’une part, je pouvais accepter ma condition, devenir une des leurs, accepter que je ne pourrais plus rien faire pour changer quoi que ce soit. Et la réalité était bien là, je ne pouvais pas aller nulle part. De l’autre côté, suivre l’enseignement de mon père, qui consiste que même au bord du précipice ou même dedans, il existe toujours une sortie, faut juste y croire et prier le père de toute chose pour s’en sortir. Le choix était évident, j’espère encore d’être sauvé aujourd’hui d’une quelconque manière. Je préférerais croire en mon père que de suivre tous ces mensonges qu’ils tentent de nous faire croire. C’est donc un risque d’écrire mon récit, mais à chaque fois que j’aurai l’occasion, je ne cesserai de raconter mon histoire sur ces pages, dans l’espoir qu’un jour, je puisse le lire devant une foule de personnes dans le but de mener un combat contre les insurgés.
Votre Aissatou Sowa