A moi le défi de cette ville

« Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux.» Je ne suis pas un petit Jhon, je n'ai rien d'un petit George ni un prince, encore moins un Van ou un Damis qui sont tous des enfants de la ville, bien nés avec une cuillère d'argent dans la bouche et roulant sur l'or.
Moi c'est N'Golo, je viens du village de Pélengana de la région de Ségou, septième d'une fratrie de 27 enfants, marchant parfois à pied nu, né "sans-dents" à l'année de la poisse.
L'exode rural m'a conduit ici dans la capitale pour venir chercher ma pitance et avoir de quoi subvenir aux nombreux besoins des parents restés au village essayant de survivre. Déjà au programme beaucoup de dépenses futures proches à prévoir : Bakôrô (vieille mère) est malade, Benkè (oncle) a besoin d'insecticides pour ses travaux champêtres , Batoma (petite sœur) n'a plus d'habits à se mettre et doit aussi monter son petit commerce, Madou (frère) n'a plus de fusil pour la chasse et j'en oublie volontiers. Comprenez vite donc que la vie citadine ne me destine pas à faire du bling bling avec le peu que je gagnerai, loin de là.

À L'ARRIVÉE
A la gare, en tout et pour tout, je ne sors du bus de transport qu'avec ma seule sacoche que je porte en bandoulière jalousement, elle est juste vieille de 17 ans pas plus et c'est Boua (père) qui me l'a donnée quand je quittais. Elle est remplie de... ( je laisse votre imagination vous torturer pour deviner son contenu).
Le trajet fut horrible car long, étouffant à cause du nombre élevé des passagers comparables à du vrai bétail humain parce qu'on était entassé les uns sur les autres et enfin fatidique du fait de l'état caillouteux de la route, infestée de nids de poule (mine de rien mais on dirait qu'aucune haute autorité n'a encore empreinté cet axe impraticable).
Après 8 heures de voyage rythmé de secousses, de zigzags, nous voilà enfin à Bmakô (Bamako), Nous y sommes "wallaye"! Cette ville tant vantée par nos grands frères qui nous ont précédés ici, cette ville qui a tout en trois:
- la ville aux trois caïmans mais dont les habitants ne voient jamais de caïmans dans le fleuve qui la traverse,
- la ville aux trois collines, celle du pouvoir, du savoir et des ordures,
- la ville aux trois ponts reliant les deux rives toujours pris d'assaut par les usagers de la route témoignant de son dynamisme,
- la ville aux trois moyens de transport (sotrama fuck (transport commun) , auto-stop et moto rapid choc couramment appelé des jakartas. Elles vont vite mais renversent vite, d'où son nom ironique de rapid choc,
- la ville aux trois religions (Islam, christianisme et animisme): le matin on est ce musulman pieux qui supplie la misecorde du ciel pour une belle journée, à midi, n'ayant pas encore trouvé la ration journalière, on s'arme de courage du Christ pour avoir le gagne pain, la nuit tombée chacun se glisse en douce chez le feticheur du coin pour hypothéquer l'avenir du voisin jaloux saboteur aux yeux de crocodile car ce dernier n'arrête de nous faire la grise mine. Ah Gmakô ! (Bamako).
Ici c'est la capitale, l'endroit qui brille la nuit de mille lumières mais peinent à guider ses habitants dans les ténèbres de la violence, de l'ignorance et bien encore. C'est ici où j'ai choisi de déposer ma valise, l'aventure dans laquelle je me trouve désormais embarquer s'avère déjà périlleuse, longue et pleine de mystères me suis-je dis. Elle peut maintenant commencer, je suis prêt.

Quelques années plus tard..

Après être apprentis maçon, tailleur, manœuvre et vendeur ambulant de cola au grand marché dibida, j'ai pu suffisamment économiser pour m'offrir mon rêve le plus secrètement carressé, celui de m'acheter une moto Jakarta pour être à la page et être compté dorénavant parmi les jeunes "pleins de Bmakô". La marginalisation a trop duré pour l'homme au 10 métiers que je suis dorénavant. Il est temps de me fondre dans la masse et vivre comme eux. Se faisant, mon intelligence m'a vite fait comprendre depuis que seule la moto Jakarta très prisée des gens aux " yeux ouverts" permettra évidemment à tout jeune villageois de ma trempe de s'assimiler à la vie bourgeoise à laquelle j'aspire de plus en plus. Quant aux sollicitations du village, elles peuvent encore et toujours attendre. Il me faut rouler d'abord ce luxe et rehausser mon standing vis-à-vis de ces citadins qui m'ont trop ridiculisé avant de songer à quoique ce soit.
Déjà je jubile rien qu'à l'idée de penser aux énormes prestiges que la moto "rapid choc" va m'apporter surtout si toute neuve. Bamako, ça se vit après ça se raconte.

UN JOUR PAS COMME LES AUTRES
Lui, c'est Yorodian kibarou, il est mon cousin et ami, il a fait une partie de ses études ici et connais bien la ville. C'est lui naturellement qui m'accompagne au marché ce dimanche pour l'achat de la nouvelle moto. Je me suis rendu chez lui tôt le matin depuis 05 heures du matin pour ne rien rater de CETTE belle journée qui s'annonce gaie, habillé blanc de la tête au pied avec ma chaîne au cou. A chacun son jour de fête. Une fois au marché, la moto m'a coûté 350 000 balles. Somme colossale diront certains, toute son économie de trois ans de travaux durs et sans relâche y est restée penseront d'autres mais j'assume car rien ne pourra me faire renoncer à ce projet. J'achète donc la moto. Heskey !

La moto est là, flambant neuve, brille de sa beauté comme "Bmakô" le soir soir du 32 décembre. Moi tout sourire, je conduis le cousin Yorodian kibarou chez lui pour le deposer et ensuite continuer mon chemin en vue d'aller montrer ma nouvelle bagnole, pardon moto ? à toutes mes connaissances.
La journée d'aujourd'hui va être longue, très longue...
Arrivé devant le portail de la famille du cousin, j'ai garé le rapid choc sur sa  béquille inconsciemment avec sa clé car je n'étais plus moi même, on s'empressa tous les deux d'une vitesse incroyable à entrer dans la maison et invita les autres membres de la famille à venir admirer l'exploit que l'enfant béni du village de Pélengana vient de réaliser. La famille se rua donc dehors pour apprécier. Une fois sorti, on remarqua que la moto n'était plus à sa place. Un instant, j'ai tout de suite pensé qu'un enfant impoli à la bamakoise s'était permis de déplacer un peu ma moto parce qu'elle dérangeait peut-être le passage. Mais non, il n'en était rien. Elle n'était point déplacée, elle avait tout simplement disparu ! Les voleurs venaient de me piquer ma nouvelle moto sous mon nez et ma barbe. Eh Alla, wouyi wayi!! Et Dieu !!! Eh Allah !!! Ma moto ne peut pas être volée omme ça aussi facilement, que vais-je faire ? Que vais-je devenir ? Et mon l'arzant (l'argent), mon économie ??? .. Non non non.
Avec les membres de la famille, nous avons ratissé large, cherché partout, fouillé dans les coins et recoins de la rue dans l'espoir de la trouver. Mais hélas rien. L'action de vol fut d'une telle rapidité de fusée que je n'ai jamais pu y croire. Eh ALLAH !!! Comment est-ce possible ? Pourquoi moi ? Figurez-vous que j'ai tellement cherché la moto que je suis parti jusqu'à fouiller dans mes poches, même le vieux paquet de cigarette jetté sous mes pieds à été soulevé de vrai pour voir si la moto ne s'y trouvait pas, j'avais perdu complètement le contrôle. Eh ALLAH !!!!
Le temps d'un clignement des yeux, j'ai maigri de 20 kilos, le vent arrêta de circuler, le soleil se noirci subitement et je tombai raide évanoui !!

Quelques minutes plus tard, je me réveille mais tout déçu et très désespéré?. Dans ces humeurs massacrantes, moi N'Golo, je préfère m'arrêter là, l'aventure ne pourra plus continuer, j'abandonne et laisse Bmakô aux Bamakois!
Je retourne à mon village.