A fond la passion !

J’ai fait la connaissance de deux personnes d’exceptions. C’était encore à la belle saison, il y a quelques années, un mois de Septembre ensoleillé.
Alors que je recherchais une activité sportive pour bout de chou, je tombais sur le site d’une association qui en proposait une un peu spéciale : le karting.
Intriguée, je contactais la personne indiquée. Ce monsieur, retraité, m’expliqua le fonctionnement de son école de jeune sportif et me proposa un essai gratuit. Il me suffisait de me rendre à la piste où se déroulait les cours.
Et c’est ainsi que je me retrouvais un après-midi face à une équipe de papys volontaires et une bande de bambins.
Il me semblait évident que l’affaire était entendue : l’essai ne pouvait pas avoir lieu puisque le candidat du jour n’avait pas encore l’âge requis et n’atteignait pas les pédales de l’engin.
Mais je ne connaissais pas encore Jean-Paul.
Celui-ci consacrait toute son énergie à former des enfants. Le karting, pour lui, était toute une philosophie : rigueur, sécurité, concentration, maîtrise, hargne, plaisir surtout.
Il commença par installer la petite machine sur une cale en bois afin qu’elle ne bouge pas. Il équipa l’enfant d’un casque et d’une paire de gants et le fit monter dans l’engin bien trop grand pour lui.
La première étape était de démarrer le moteur afin de s’assurer qu’il n’était pas effrayé. Il m’expliqua que pour certains l’expérience s’arrêtait là. Il tira alors sur une ficelle et le moteur se mit à vrombir mais le petit blondinet ne montrait nul signe d’angoisse...contrairement à moi qui m’inquiétais pour ses jeunes tympans. Jean-Paul eut tôt fait de me rassurer « le casque isole du bruit » me dit-il d’un ton rassurant et convaincant.
La deuxième étape était d’expliquer l’utilisation des pédales. A gauche, on freine. A droite, on accélère. J’assistais à une scène incroyable où ce monsieur passionné expliquait à un enfant de six ans et demi qu’il fallait suivre ses consignes en regardant ses mains. Car « quand les moteurs tournent, aucun ordre ne peut être entendu».
Troisième étape. Il alla chercher des épaisseurs de mousse rembourrée afin que le petit puisse appuyer sur les pédales. Une mousse dessous, une mousse derrière son dos, deux mousses. Bref, j’insistais, cela ne servait à rien, il était trop petit. Mais Jean – Paul était têtu « un petit grandit vite, ce n’est pas le premier qui a besoin de mousse ». Bon c’était parti.
Démarrage du moteur, les mains s’agitent, la main droite fait signe, l’enfant appuie sur la pédale, un peu, beaucoup, à fond. La main gauche se lève, il freine autant qu’il le peut, c’est-à-dire peu ! Mais après plusieurs essais Jean Paul est satisfait. Le petit écoute bien et retient encore mieux.
« En route pour un essai sur la piste » me dit-il la moustache joyeuse. Je le regarde ébahie. Mon regard englobe la piste où une dizaine d’enfants tourne déjà allégrement avec parfois des sorties dans l’herbe, des têtes à queue ou quelques anicroches. Les papys se déplacent, remettent les pilotes en ordre de marche, agitent des drapeaux... Impossible de lancer un enfant, presque encore un bébé, dans cette jungle bitumée ! Mon inquiétude fit sourire Jean- Paul, il avait l’habitude de rassurer les adultes angoissés.
Il me montra une machine plus imposante, un kart de location, et une sangle. Un adolescent de 14 ans était préposé à la manœuvre. « C’est facile, on accroche le petit kart au gros, à l’aide de la sangle, cela permet de le garder sur une même trajectoire et de ne pas gêner les autres. C’est une sécurité ».
Et voilà mon petit bonhomme qui fit ses premiers tours de piste. Il était très concentré, le gros kart adaptait sa vitesse, la sangle se tendait ou se détendait mais les tours se passèrent bien. Alors, soyons fou, Jean Paul lui demanda s’il se sentait prêt à essayer seul. Sourire ravi du bambin.
C’est ainsi que tout a débuté. A la fin de l’essai, le bout de chou avait signé pour tous les mercredis après-midi. Et moi aussi.
Ce ne fut pas une mince affaire, les premières séances, deux pilotes de 9 et 10 ans furent désignés pour gérer les arrêts calamiteux du petit. Ils servaient un peu de karts tampons. Mais séance après séance les choses s’améliorèrent.
Jean – Paul ne comptait pas sa peine. Il veillait à tout, installait les karts, surveillait le ravitaillement d’essence, prenait soin aussi de l’estomac des jeunes pour lesquels il préparait de solides en-cas. Il était solidement secondé par Marie, son épouse, qui gérait paiements, inscriptions, goûters. Il n’était pas rare que nous quittions la piste à 18H00. S’il faisait sec et que leur moniteur voulait les faire glisser, il arrosait un virage. Il veillait à la tenue du volant, au chrono, au comportement du pilote vis-à-vis de ses concurrents.
Les petits roulèrent sous des trombes d’eaux d’automne, et sous la neige du début de l’hiver. En Auvergne, les saisons sont rudes et Jean – Paul répétait qu’en compétition, on roulait sous tous les temps, il fallait être aguerris !
Un mercredi, nous nous retrouvâmes avec un papa à éponger des enfants trempés. Marie, inquiète et vigilante me missionna pour aller acheter du lait et du cacao. Je reviens avec des pantalons de rechange et les ingrédients du précieux breuvage. Aucun ne fut malade, tous étaient prêts à recommencer le mercredi suivant.
Nous n’avions aucune ambition de compétition. Mais là aussi, c’était sans compter les bonnes idées de Jean – Paul. Un mercredi, il nous annonça une grande nouvelle. Il bénéficiait d’une invitation pour emmener ses pilotes à la Coupe de France en Ile de France. Un évènement exceptionnel. Oui, mais voilà, le karting est un sport qui n’est pas à la portée de toutes les bourses. Mais Jean – Paul avait la solution. Pas question que l’argent vienne parasiter la joie de ses pilotes en herbe. Il se démena auprès de l’équipe de papys pour qu’ils remettent en état ses pauvres petites machines fatiguées et malmenées, chercha une solution pour transporter tout le matériel et trouva des mécaniciens.
Et nous voilà en route, un vendredi de juillet, quittant nos plaines et montagnes pour découvrir une immense piste d’Ile de France. Une infrastructure parfaite, un paddock immense... on se croyait presque en formule 1 !
Ce fut trois jours de folies. Jean Paul avait prévu une grande tente où tout le monde passait la journée, machines, enfants, parents et mécanos. Lui s’assurait que les petits s’alimentent et boivent suffisamment. Dans une odeur permanente d’essence et d’huile, il s’était installé un outillage qui lui permettait de faire des crêpes, il avait prévu riz, bananes et beaucoup d’eau. Il en fallait pour résister au 42°C affichés sur le goudron de la piste. Les petits passèrent un dur moment, le dimanche à 14H, sur la piste, en combinaison fermée et casque sous le bras pour la présentation des pilotes aux journalistes. Une aberration pour nous tous qui comprenions ce que voulait dire aguerris !
La passion était transmise, la compétition était une évidence pour tous.
Depuis, des années ont passées. Les enfants formés sont devenus grands. Certains poursuivent le karting en compétition, d’autres ont choisis l’automobile sur circuit, le rallye, le kart cross, la moto, le bmx. Ils ont découvert des pistes européennes ou ont choisis pilote comme métier. Mais ils gardent toujours une tendresse particulière pour leur petite piste auvergnate que d’autres trouvent si difficile, et ils ont une petite place dans leur cœur pour Jean - Paul et Marie.
Lui doit ménager son cœur mais il est toujours là pour former les petits, leur expliquer les rudiments du pilotage, insister sur le respect de l’adversaire et sur la sécurité, les accompagner sur des courses à la journée qu’il a réussi à mettre en place sur les pistes auvergnates. Il se bat encore pour essayer de permettre aux petits budgets de pratiquer la compétition. Et Marie continue à veiller aux goûters
Pour toute cette abnégation au service des autres et du sport, je dis « MERCI JEAN-PAUL, MERCI MARIE »