Le père, haletant, est au bout de la table
Chargée de mets, de casseroles trouées, de plats qui s’épandent
En odeurs
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La rue borde la mer, sans la voir.
Aveugle, elle émerge de la sombre étendue comme d’un intestin.
Elle serpente au pied du morne et vient se jeter dans l’estomac de la ville.
Au bout, une lourde et grande femme, noire et riante.
Robe à fleurs déployée.
Chapeau à plume enfoncé tient un sac sur la tête.
De bric et de broc.
Elle marche
Balançant des hanches larges au milieu de la Rue.
Les ombres la regardent.
Les maisons jaunes et pâles de bois,
Closes, aux balcons de fer rouillé, s’immobilisent dans l’air brûlant et bleu.
De petits enfants jouent avec un chaton et un poussin mort dans l’ombre d’une tôle.
Etirés, allongés, des garçons sans être des hommes, bordent les trottoirs de muscles marrons fatigués et de tricots salis de sueur et de sperme.
Leurs yeux rouges parlent de crack, muet et funèbre.
Leurs sacs noirs sur la tête indiquent leur mort future.
Deuil des pauvres dans la nuit brûlante.
La rue comme un tuyau qui glougloute, un intestin qui relie...
Qui relit une vie comme un livre.
Cet homme allongé, déchiré entre deux poubelles.
Les yeux ouverts et frémissants.
Un intestin qui relie la grandeur de la mer à l’estomac des riches.
La noirceur à la lumière...
Les bars ouverts et criards de néons glaçants
Aux filles tristes de couleur amadou.
Leurs grands yeux fixant des espoirs lointains.
Une case, des enfants, une odeur de terre, une poule noire, un mari qui revient des champs en riant.
Elles y rêvent en regardant la rue qui leur amène les clients
Gros, gras, riches, suant, soufflant, ahanant sur leur ventre dans la chambre du dessus...argent.
La rue repart, d’un trottoir à l’autre,
De bordures en pierres brillantes,
Humide du rhum qu’un ivrogne renverse
En pissant aux étoiles.
La rue créole rigole.
Rigole de sang :
Deux hommes, pour une fille, s’éventrent
Lumières bleues et sirènes. Les gardes accourent.
La rue frémit et bruisse, dans la noirceur du petit jour.
La rue créole s’envole.