Vivre, c'est subir la souffrance

Mamadou lamine Baldé est né en 1996 en Guinée. Après des études pré-universitaire passées au lycée de Tougué en moyenne Guinée, il rejoint l'institut superieur de l'information et de la ... [+]

Toute histoire commence un jour, quelque part. La mienne a commencé dans une petite et lointaine préfecture du Foutah Djallon. Cette préfecture fut créée en 1901, seulement quelques années après Conakry. Elle manque de presque tout pour ne pas dire tout : d’infrastructures de base, d’eau potable, de courant, d’activités génératrices de revenu qui fixent les jeunes sur leur terroir, etc.
Avez-vous déjà une petite idée de l’endroit ? J’en doute fort puisque cette localité est l’une des plus reculées de la Guinée. Pourtant, elle renferme les 2/3 des réserves de bauxites du pays.
Eh bien ! Il s’agit de Tougué, endroit qui m’a vu naitre un soir de septembre sous un buisson d’hévéa. Ceci est arrivé pas parce que mon pauvre père n’avait pas de maison, mais parce que ma mère accompagnée de ma grand-mère s’était rendue au décès de sa sœur dans un village environnant et elle a perdu les eaux sur le chemin du retour. Si j’ai su tout ça, c’est par ce qu’ont me l’a dit. Mes frères et sœurs évoquent souvent cette histoire pour me frustrer.
Imaginez que vous venez d’une famille modeste, d’une ville pauvre d’un pays sous-développé et, qu’à 17 ans déjà, vous êtes en classe de terminale. J’étais loin d’être le plus intelligent de ma promotion, mais je m’arrangeais toujours pour être parmi les premiers. Beau, sociable, rêveur, comme tout jeune de mon âge, je rêvais être célèbre, être vu partout et pointé du doigt bref, être sur la select. Mais la principale question qui me taraude l’esprit pendant un très long moment s’était comment y parvenir ?
Je cogitai à tout venant, soudain un soir, deux idées me viennent en tête. La première, trouver une petite amie qui, dans notre jargon, était désignée par le terme ‘’meuf’’. La deuxième : donner tout ce que j’ai dans le ventre pour exceller en classe. J’étais dans un vrai dilemme.
Après une semaine d’intenses réflexions, je penchais pour les deux car tous nécessaires. Seul à travers les études je pouvais réussir au baccalauréat unique et avec la fille, j’allais renforcer mon image auprès de mes amis.
A partir de là, le combat était lancé, celui de trouver une fille qui allait désormais gérer le contour et le pourtour de ma vie. Cette lutte s’annonçait rude puisque la ville était très petite, si petite qu’on pouvait faire le tour en 10 minutes sur moto. Alors il va s’en dire que toutes les filles étaient déjà prises. Extrêmement jaloux de nature, je ne pouvais pas supporter de partager ma future dulcinée. Pour ce coup, je visais le sommet. J’avais tellement de critères de sélection que je n’étais pas sûr de trouver mon modèle. Dieu faisant bien les choses, une ravissante jeune demoiselle qui venait de Conakry s’inscrivit au sein de notre lycée. Elle s’appelait Diouldho, habitait le même quartier que moi.
Diouldho était une fille aux allures d’anges. Belle, jeune, elle avait un visage doux, de grands yeux bleus, des lèvres rouges comme des cerises fraîches, une chevelure de reine. Elle me séduisait à chaque fois que nos regards se croisaient. Mince et géante de taille avec des jambes fines, Diouldho avait une si jolie poitrine qu’elle aguichait élèves et professeurs confondus. Cette douce fille allie sagesse et gentillesse, mais j’avoue que son calme me faisait peur.
Plusieurs jours passèrent, durant les quels je peaufinais une stratégie pour l’aborder. Hasard ou coup de chance, je ne saurai comment l’expliquer. Un soir en revenant de la place publique, je vis de loin Diouldho qui marchait toute seule, d’un coup mon cœur se resserra. Je fis vite pour la rattraper puisque j’étais sur la moto pour lui faire des avances. Arrivé à son niveau, je freinai, d’un coup de tête et à voix basse je lui dis bonsoir. Poliment, elle me répondit à voix basse également. Automatiquement une conversation se déclencha.
Comment vas-tu ? Demandais-je à Diouldho
Je vais très bien ! répondit-elle avant de retourner l’ascenseur à son bel inconnu.
Ça va un peu, je te dépose quelque part ? l’interrogeais-je les yeux dans les yeux.
Non, merci ! ! Je ne vais pas loin. Rétorqua t- elle la tête baissée sur un ton déviant.
Je sais où tu vas. Monte que je te dépose s’il te plait. Réfutais-je avec fermeté.
Après un petit temps de réflexion, elle monta sur la moto mais la méfiance se lisait sur son visage et dans sa voix. Au cours du trajet, je l’ai assaillie de questions sur sa vie, sa spécialité au lycée, sa famille. Pour prolonger le trajet, je roulai à moins de 10 kilomètres par heure pourtant on était sur la meilleure route de la ville. Arrivé devant sa demeure, elle descendit et s’arrêta devant la porte de sa cour qui d’ailleurs était faite de bois. Pour rendre la conversation intéressante, je lui lançai un compliment sur sa manière de manier la langue de Molière. Avant de bouger, je lui demandai son numéro de téléphone, histoire de mieux échanger et faire beaucoup plus connaissances. Elle ne vit aucun risque à me le filer. Intérieurement, mon cœur palpitait de joie néanmoins, je réussis à me contenir pour apparaitre comme un vrai gentleman. L’une des étapes les plus importantes aura été franchie ce soir là. La nuit tomba très vite, aux environs de 20h, je lui ai envoyé un SMS très sympathique pour qu’elle ait mon numéro de téléphone en retour. Les jours s’enchainèrent et le temps filait vite. Comme on aime à le dire à cœur voyant rien est impossible.
Une semaine plus tard, je lui fis cas des sentiments que je ressentais pour elle dans un message texte très simple. Problème de réseau ou long temps de réflexion de sa part, mon cœur battait la chamade, j’avais la chair de poule, j’arrivais à peine à respirer, mes cheveux se hérissaient, aucun son ne sortait de ma bouche, j’étais paniqué.
Je partis m’isoler dans un endroit calme en attendant la réponse de Diouldho. Mon téléphone sonna et s’était un message. C’est avec beaucoup de courage que je réussis à l’ouvrir. Heureusement dans ce message, elle avait accepté ma requête.
Constamment surveillée par ses sœurs ainées, Diouldho ne sortait de chez elle après l’école. La voir était tout un parcours du combattant. Je me contentais simplement des appels téléphoniques et messages. Au fur et à mesure qu’on échangeait, l’amour grandissait et du jour au lendemain cela allait de mieux en mieux. Ayant marre de ne pas paraitre comme les autres filles du lycée, Diouldho prit le risque de m’inviter un samedi soir dans son village natal, où résidait sa maman. Là-bas, elle jouissait d’une liberté totale et faisait les choses à sa façon. Cette invitation me réjouissait à plus d’un titre mais j’avais un principe que, jusque là, j’appliquai à la lettre. Celui de ne pas sortir à moto du centre ville la nuit pour rallier un village de la commune urbaine. Quand l’amour nous tient par la main, on agit sans réfléchir. Cette nuit là, je me vêtis d’une chemise blanche sur un pantalon jean kaki avec des chaussures mocassins faites en cuire industrialisé, j’enfilai un pull-over pour me protéger du froid, direction Santanâ pour mon premier rendez vous avec mon âme sœur. Le chemin menant à ce village était très dangereux, peu fréquenté, froid au mois de décembre, obscure dans sa totalité, très étroit, rocailleux, sinueux et montueux. Bordé d’arbres et de champs abandonnés, tout le long du trajet on ne rencontre aucun homme, les vaches, moutons et chèvres empêchent le passage, le seul bruit audible était le ronronnement du moteur de mon engin.
Arrivé dans un village inconnu, je me garais à côté d’une école primaire, où Diouldho me rejoignit après quelques minutes. Ce soir là elle s’était faite hyper belle, son parfum sentait à plusieurs mètres. Nous passâmes une excellente nuit. Tantôt nous parlions d’avenir, nous nous racontions des blagues, nous nous câlinions. On s’embrassait presqu’à chaque heure. Cette nuit fut magique, on se sépara tous très contents et les ‘’Je t’aime‘’ fusaient de partout. Diouldé rentra chez elle aux environs de 2h du matin et moi aussi je pris le chemin du retour.
La nouvelle de mes voyages nocturnes se rependit dans le lycée et partout dans la ville. Ces voyages s’intensifiaient, mes amis et professeurs pour se moquer quelques fois me surnommait le ‘’Paris-Dakar’’. Tous me disaient, jeune tu es vraiment courageux. Toutes ces moqueries, critiques ne m’arrêtaient guère. J’étais déterminé plus que jamais.
La saint-valentin approchait, réuni autour du thé chez un de mes amis, chacun racontait son projet amoureux. J’étais pensif et calme, le débat m’intéressait mais n’ayant aucun projet, je ne pouvais m’y mêler pour ne pas paraitre faible et ridicule. Sachant que la surveillance autour de Diouldho s’était resserrée depuis que ses sœurs ont su que j’étais son petit ami, je semblais désespérer.
Contre toute attente, le jour de la Saint-valentin, aux environs de 00h, j’étais le seul à rester encore en classe. Tous mes amis étaient, soit partis en boite soit, étaient avec leur bien aimées en train d’immortaliser l’instant. Diouldho m’envoya un message, elle souhaitait me rencontrer chez elle. Je pliai clic et clac pour m’y rendre incessamment. Au bout de dix minutes, j’étais devant sa cour. Elle me demanda de me faufiler pour atteindre la porte de derrière de sa maison qui était déjà ouverte. A peine rentrer, elle me fit signe de ne faire aucun bruit. On communiquait à travers la gestuelle, mon corps se raidissait, j’étais glacé de peur. Nous allâmes dans sa chambre. Elle ne portait qu’une serviette blanche attachée au dessus de ses seins. Nous passâmes une superbe soirée durant laquelle elle m’envoya au septième-ciel. En sortant de chez elle, j’étais heureux comme un poisson dans l’eau, un large sourire s’était dessiné sur mon visage. Entrer et sortir de la maison de Diouldho furent le plus grand risque que je n’aie jamais pris.
La semaine qui suivit, j’accompagnai mon ami Bobo quelque part. Avant le départ, je n’avais aucune idée de notre destination. Je me contentais simplement de le conduire sans poser de questions. Nous sortîmes carrément de la ville, d’un signe de main, il me demanda de garer sous un grand arbre. Je crois d’ailleurs que s’était un baobab. A une centaine de mètres, se trouvait une case chaumée et tout à fait perdue. A l’intérieur de cette case peu éclairée, il y avait un lit en terre battue, plusieurs bouteilles mystérieuses, au centre était assis un homme sexagénaire avec un bonnet de plusieurs couleurs sur la tête. Je sentis que l’homme et Bobo semblaient bien se connaitre à travers leurs salutations. D’ailleurs il l’appelait Sénégalais. Après plusieurs minutes d’échange, Bobo me présenta et Sénégalais d’un tour de main prit derrière lui un petit sac attaché, à l’intérieur duquel il y avait des cauris. Il les jeta sur terre avant de demander à Bobo ce qui le préoccupait. Ils échangèrent longuement sur l’avenir de Bobo. A chaque revers de main, il prédisait des sacrifices et me prenait pour témoin au cas où ces prédictions ne se réaliseraient pas. Par curiosité, je demandai à mon tour à Sénégalais d’interroger les génies afin de connaitre mon avenir. Il me demanda de lui remettre un peu d’argent. Je sortis un billet de 10 000GNF de mes poches pour déposer à côté des cauris. D’un tour de main, il les remua à nouveau. Un silence de cimetière régnait dans la pièce pour le permettre d’interpréter les messages des génies. Il leva la tête et commença à me poser quelques questions pour cerner certaines choses. Il me parla de plusieurs choses et la seule qui retint vraiment mon attention, c’est quand il parla de Diouldho. En ce moment j’ouvrai grandement mes organes de sens pour ne rien perdre de ce qu’il disait. Il me dit en ces termes : ta petite amie est enceinte d’une petite fille, à toi de prendre tes responsabilités. Il reprit ses cauris et me dit d’un ton ferme, c’est tout !

Au début, j’avais tendance à banaliser les prédictions de Sénégalais, mais mon sixième sens m’interpela. La nuit tombée, aussitôt je commençais à retourner le problème dans tous les sens pour trouver une solution avant qu’il ne soit tard. De réflexion en réflexion, trois solutions me semblaient être adéquates : la première, tenter l’aventure dans les zones aurifères du Sénégal, la deuxième, assumer la grossesse comme le font tous les jeunes de mon âge, la troisième, avorter la grossesse. A un problème désespéré, une solution désespérée, dit-on. Personnellement la dernière option me paraissait meilleure. Diouldho étant très religieuse, elle méprisait les prévoyants. Alors comment lui dire qu’elle était enceinte sans qu’elle ne me déteste et ne me traite de pestiféré ? Un autre gros problème.