Du courage. Je crois qu'il faut du courage pour être heureux. Et pour être triste. Pour souffrir.
Pour vivre. Il faut du courage pour vivre.
Comment j'en suis arrivée là ? En fait je crois que j'ai grandi trop vite. J'ai grandi d'un coup. Un lundi matin.
Je suis montée dans le bus et je me suis endormie après deux stations. Il faut me comprendre, c'était le début de la semaine. Je me suis réveillée une demi heure plus tard. Trois arrêts après le mien. Évidemment. En retard un lundi. Et le jour de la rentrée en plus !
Je suis descendue à toute vitesse. C'est au moment où j'ai posé le pied sur le trottoir que le bus a explosé.
Un éclair de lumière rouge. Une détonation qui me perce les tympans. Le souffle de l'explosion qui me soulève. Je crois que c'est la vitrine d'une parfumerie que j'ai traversée.
Je me souviens du choc. Du choc qui résonne à l'intérieur de ma boite crânienne. Qui se répercute dans tous mes os.
Et après la douleur. En bas de mon dos. Qui incendie toute ma colonne vertébrale.
Ma vie s'est réduite à cette douleur pendant une seconde.
Et après plus rien. Et depuis, plus rien.
Maintenant j'en suis réduite à ça.
Paralysie plus ou moins complète des deux membres inférieurs et de la partie basse du tronc, provoquée par une lésion des cellules motrices du système nerveux contenues dans la moelle épinière.
Paraplégie
Je ne pensais pas qu'un mot pourrait devenir toute ma vie.
Il faut peu de chose pour changer une vie. C'est fragile une vie. Il en faut peu pour l'écraser. Pour la détruire. La réduire à néant.
Avant j'étais quelqu'un d'entier … et d'indépendant. Maintenant je ne suis plus rien. Plus rien qu'une petite chose fragile dont il faut s'occuper. Aux yeux des autres, je ne suis plus rien.
J'aurais pu ne pas me réveiller ce jour là.
J'aurais aussi pu ne pas m'endormir, descendre à mon arrêt et apprendre à la radio qu'il y avait eu un attentat sur la ligne 27.
Je pense qu'une vie peut se dérouler d'un tas de manière différentes, et que tant qu'on a pas inventer la machine à remonter le temps, ça ne sert à rien de se morfondre sur le passé.
Je pense que le pire sentiment qu'on puisse éprouver est le regret. Alors je veux me satisfaire de ce que j'ai. Des mains et une tête en parfait état. Tant qu'il y a ça, des jambes ce n'est rien. Je suis en vie.
Je crois que personne ne comprend mon point de vue.
Mes parents et tous les gens autour de moi, ils me chouchoutent tellement que j'ai l'impression d'être redevenue un bébé dépendant d'eux, et du reste du monde. Ils veulent me protéger. De tout. De la vie et de ses risques.
Ce qu'ils ne comprennent pas c'est que je veux en prendre des risques. Je veux faire quelque chose de ma vie ! Pas rester à longueur de journée dans une chambre. J'ai envie de vivre !
« Mais, voyons, il faut ménager ton cœur ! Tu as subi un choc important … » Il faut ménager ci, il ménager ça … Il y a toujours quelque chose à laquelle il faut faire attention.
Il paraît que mon cœur a un petit coup de mou depuis l'accident. Personnellement je trouve qu'il a plutôt bien fait son boulot jusqu'à maintenant. Il a peut-être eu un ou deux ratés au moment où le bus a explosé sous mes pieds mais il m'a maintenu en vie. Franchement s'il lâchait maintenant je ne lui en voudrais pas. Il a rempli sa part du contrat.
Rectification : il y avait une personne qui me comprenait. Qui hochait la tête en souriant quand je lui disait qu'il faut du courage pour vivre.
C'était mon arrière grand-mère. Mais depuis aujourd'hui je dois parler d'elle au passé. En fait c'est pour ça que j'écris. Pour combler le vide qu'elle a laissé en emportant avec elle ses oreilles attentives. J'imagine que le papier m'écoutera puisqu'il n'a rien a dire.
Mon père disait que c'était une vieille folle, qu'elle avait « autant de raison que de cheveux sur le caillou ». Et c'est vrai qu'elle n'en avait plus beaucoup, de cheveux je veux dire. Ma mère, sa petite fille, disait qu'il lui manquait peut-être une ou deux connexions entre les neurones.
Ils l'ont mise dans une maison de retraite juste après mon accident. Histoire de mettre toute la famille dans un centre hospitalier.
J'allais la voir souvent. Tous les dimanches. Elle était toujours assise sur une chaise. À côté de la fenêtre de sa petite chambre de maison de retraite. J'arrêtais mon fauteuil juste à côté de sa chaise et on regardait la ville derrière la fenêtre.
Je lui disait « Il faut du courage pour vivre » et elle répondait « Oui, être c'est créer et non recevoir la vie. ». Je crois que cette phrase n'était pas d'elle.
Quand on était toutes les deux, les phrases sortaient d'elles-mêmes. Elle hochait la tête, elle me souriait. Elle avait un petit sourire simple. Juste le coin des lèvres qui se remonte.
Sa capacité à sourire de tout m'a toujours fascinée. Elle était heureuse. De tout. Heureuse de ce que la vie lui donnait. Heureuse de voir le soleil se lever tous les matins. Juste heureuse.
Je ne dis pas qu'il faut du courage pour vivre parce que j'ai perdu mes jambes. Ou parce que j'ai perdu la seule personne qui me comprenait.
Je dis qu'il faut du courage pour vivre parce que c'est vrai.
Quand je dis vivre, je ne parle pas de survie. Il y a un tas de gens qui vivent parce que autrement ils meurent. Moi je parle de la vraie Vie. Avec un V majuscule.
Je ne veux pas faire de ma vie un fardeau. Je ne veux pas que ce soit une obligation de vivre. Je veux que ma vie soit un choix. Mon choix.
Je ne veux pas vivre pour éviter de mourir. Je veux vivre à en mourir.
Il faut du courage pour vivre vraiment. Pour souffrir vraiment et pour être heureux au point de passer pour un fou.
Mon arrière grand-mère n'était pas folle. Elle était vivante. Juste heureuse. Juste triste. Vivante.
Moi aussi je veux vivre. Je veux prendre le risque de souffrir. Je veux être heureuse à en pleurer.
Je suis en vie ! Et je veux le rester. Pour vivre à en mourir. Je vais le rester.
Parce que je ne suis pas cette chose fragile, cette moins que rien dont on doit prendre soin.
Parce que je ne laisserai rien tuer la personne que j'étais. Même pas la paraplégie.
Parce que je sais que la vie est injuste. Et que je m'en fous.
Parce que maintenant je sais ce dont j'ai besoin pour vivre. Du courage.
J'ai choisi de vivre.
Alors je vais prendre le risque de souffrir. Et je vais être heureuse à en pleurer.
Je ne sais pas si je suis assez courageuse aujourd'hui. Mais je sais que je vais le devenir.
Parce que j'ai l'intention de vivre.
Pour vivre. Il faut du courage pour vivre.
Comment j'en suis arrivée là ? En fait je crois que j'ai grandi trop vite. J'ai grandi d'un coup. Un lundi matin.
Je suis montée dans le bus et je me suis endormie après deux stations. Il faut me comprendre, c'était le début de la semaine. Je me suis réveillée une demi heure plus tard. Trois arrêts après le mien. Évidemment. En retard un lundi. Et le jour de la rentrée en plus !
Je suis descendue à toute vitesse. C'est au moment où j'ai posé le pied sur le trottoir que le bus a explosé.
Un éclair de lumière rouge. Une détonation qui me perce les tympans. Le souffle de l'explosion qui me soulève. Je crois que c'est la vitrine d'une parfumerie que j'ai traversée.
Je me souviens du choc. Du choc qui résonne à l'intérieur de ma boite crânienne. Qui se répercute dans tous mes os.
Et après la douleur. En bas de mon dos. Qui incendie toute ma colonne vertébrale.
Ma vie s'est réduite à cette douleur pendant une seconde.
Et après plus rien. Et depuis, plus rien.
Maintenant j'en suis réduite à ça.
Paralysie plus ou moins complète des deux membres inférieurs et de la partie basse du tronc, provoquée par une lésion des cellules motrices du système nerveux contenues dans la moelle épinière.
Paraplégie
Je ne pensais pas qu'un mot pourrait devenir toute ma vie.
Il faut peu de chose pour changer une vie. C'est fragile une vie. Il en faut peu pour l'écraser. Pour la détruire. La réduire à néant.
Avant j'étais quelqu'un d'entier … et d'indépendant. Maintenant je ne suis plus rien. Plus rien qu'une petite chose fragile dont il faut s'occuper. Aux yeux des autres, je ne suis plus rien.
J'aurais pu ne pas me réveiller ce jour là.
J'aurais aussi pu ne pas m'endormir, descendre à mon arrêt et apprendre à la radio qu'il y avait eu un attentat sur la ligne 27.
Je pense qu'une vie peut se dérouler d'un tas de manière différentes, et que tant qu'on a pas inventer la machine à remonter le temps, ça ne sert à rien de se morfondre sur le passé.
Je pense que le pire sentiment qu'on puisse éprouver est le regret. Alors je veux me satisfaire de ce que j'ai. Des mains et une tête en parfait état. Tant qu'il y a ça, des jambes ce n'est rien. Je suis en vie.
Je crois que personne ne comprend mon point de vue.
Mes parents et tous les gens autour de moi, ils me chouchoutent tellement que j'ai l'impression d'être redevenue un bébé dépendant d'eux, et du reste du monde. Ils veulent me protéger. De tout. De la vie et de ses risques.
Ce qu'ils ne comprennent pas c'est que je veux en prendre des risques. Je veux faire quelque chose de ma vie ! Pas rester à longueur de journée dans une chambre. J'ai envie de vivre !
« Mais, voyons, il faut ménager ton cœur ! Tu as subi un choc important … » Il faut ménager ci, il ménager ça … Il y a toujours quelque chose à laquelle il faut faire attention.
Il paraît que mon cœur a un petit coup de mou depuis l'accident. Personnellement je trouve qu'il a plutôt bien fait son boulot jusqu'à maintenant. Il a peut-être eu un ou deux ratés au moment où le bus a explosé sous mes pieds mais il m'a maintenu en vie. Franchement s'il lâchait maintenant je ne lui en voudrais pas. Il a rempli sa part du contrat.
Rectification : il y avait une personne qui me comprenait. Qui hochait la tête en souriant quand je lui disait qu'il faut du courage pour vivre.
C'était mon arrière grand-mère. Mais depuis aujourd'hui je dois parler d'elle au passé. En fait c'est pour ça que j'écris. Pour combler le vide qu'elle a laissé en emportant avec elle ses oreilles attentives. J'imagine que le papier m'écoutera puisqu'il n'a rien a dire.
Mon père disait que c'était une vieille folle, qu'elle avait « autant de raison que de cheveux sur le caillou ». Et c'est vrai qu'elle n'en avait plus beaucoup, de cheveux je veux dire. Ma mère, sa petite fille, disait qu'il lui manquait peut-être une ou deux connexions entre les neurones.
Ils l'ont mise dans une maison de retraite juste après mon accident. Histoire de mettre toute la famille dans un centre hospitalier.
J'allais la voir souvent. Tous les dimanches. Elle était toujours assise sur une chaise. À côté de la fenêtre de sa petite chambre de maison de retraite. J'arrêtais mon fauteuil juste à côté de sa chaise et on regardait la ville derrière la fenêtre.
Je lui disait « Il faut du courage pour vivre » et elle répondait « Oui, être c'est créer et non recevoir la vie. ». Je crois que cette phrase n'était pas d'elle.
Quand on était toutes les deux, les phrases sortaient d'elles-mêmes. Elle hochait la tête, elle me souriait. Elle avait un petit sourire simple. Juste le coin des lèvres qui se remonte.
Sa capacité à sourire de tout m'a toujours fascinée. Elle était heureuse. De tout. Heureuse de ce que la vie lui donnait. Heureuse de voir le soleil se lever tous les matins. Juste heureuse.
Je ne dis pas qu'il faut du courage pour vivre parce que j'ai perdu mes jambes. Ou parce que j'ai perdu la seule personne qui me comprenait.
Je dis qu'il faut du courage pour vivre parce que c'est vrai.
Quand je dis vivre, je ne parle pas de survie. Il y a un tas de gens qui vivent parce que autrement ils meurent. Moi je parle de la vraie Vie. Avec un V majuscule.
Je ne veux pas faire de ma vie un fardeau. Je ne veux pas que ce soit une obligation de vivre. Je veux que ma vie soit un choix. Mon choix.
Je ne veux pas vivre pour éviter de mourir. Je veux vivre à en mourir.
Il faut du courage pour vivre vraiment. Pour souffrir vraiment et pour être heureux au point de passer pour un fou.
Mon arrière grand-mère n'était pas folle. Elle était vivante. Juste heureuse. Juste triste. Vivante.
Moi aussi je veux vivre. Je veux prendre le risque de souffrir. Je veux être heureuse à en pleurer.
Je suis en vie ! Et je veux le rester. Pour vivre à en mourir. Je vais le rester.
Parce que je ne suis pas cette chose fragile, cette moins que rien dont on doit prendre soin.
Parce que je ne laisserai rien tuer la personne que j'étais. Même pas la paraplégie.
Parce que je sais que la vie est injuste. Et que je m'en fous.
Parce que maintenant je sais ce dont j'ai besoin pour vivre. Du courage.
J'ai choisi de vivre.
Alors je vais prendre le risque de souffrir. Et je vais être heureuse à en pleurer.
Je ne sais pas si je suis assez courageuse aujourd'hui. Mais je sais que je vais le devenir.
Parce que j'ai l'intention de vivre.
de tes seize ans, tu écris déjà comme une écrivaine
chevronnée au style d'écriture épatant! Tu as su, dans ton
style précis et clair, aborder un immense éventail
de sentiments avec une facilité étonnante! Quelle beauté ici! Bonne
continuation! Mon vote! Comme il ne nous reste que 2 jours pour voter,
je t' invite maintenant à venir voir et apprécier
mon “Bal populaire” si le cœur t' en dit, merci!
http://short-edition.com/oeuvre/poetik/bal-populaire
Et cette nouvelle n'aurait pas pu être primée car elle est en publication libre et n'a jamais été en lice pour un concours...
J’ai énormément apprécié votre texte.
La qualité littéraire est indéniable, j’ai adoré quelques passages.
Dans le cadre éventuel d’un M2 édition (année universitaire 2016-2017), j’ai pour projet de travailler sur l’élaboration d’un recueil de nouvelles. Pour cela, je recherche des nouvellistes avec qui collaborer. Si cela vous intéresse, faites m'en part, j'en serai ravi.
Vincent.
une première nouvelle de ma part : http://short-edition.com/oeuvre/nouvelles/un-pas-vers-l-inconnu
Je viens seulement de voir que la réponse que j'avais faite il y a... une semaine je crois, n'avait pas été envoyé --'
Donc la revoila :
Premièrement, merci beaucoup :)
Et deuxièmement, pourriez vous éclairez ma lanterne (et celle de mes parents en même temps^^) sur ce M2 édition et votre projet?
(pour ne pas "encombrer" les commentaires : nathoubergue@wanadoo.fr )
Vincent.
;-)