Une petite fleur bleue

Toute histoire commence un jour, quelque part loin de mon quartier, à l’autre bout de la ville, parmi les voitures bruyantes et les gens déprimés.
Superstitions. Qui ne s'y est jamais heurté ? Les superstitions, c'est un privilège de illettrés, la prétexte de ne pas faire ce que nous voulons ou c'est une source de profit pour les freudeurs? Tout est beaucoup plus simple, en effet. La superstition, c'est une chose à laquelle nous croyons ou à laquelle nous ne croyons pas du tout. Sans aucun doute chacun a sa propre opinion à ce sujet. Mais en m'appuyant sur mon système de répartition des gens, j’appartiens à ceux qui essayent de désavouer les superstitions, mais qui toutefois croient en quelques-unes inconditionnellement.
N'allez pas croire que je suis une sorte de toquée, entourée de miroirs, de grigris, de « volaille » sèche et bien d'autres encore pour lutter contre le guignon guignonnant, la malchance et le mauvais œil. Chaque fois, en leur donnant une chance d’exister et avec l'espoir du dernier romantique je me dis:

– Et si ?

La vie est trop pénible et en même temps trop belle pour ne compter que sur nous-mêmes, pour ne pas profiter les bonus supplémentaires que la vie nous offert. Garder l’esprit ouvert et compter sur un heureux hasard, pourquoi pas ? C’est comme apercevoir un bon numéro d’immatriculation dans la rue bon gré, mal gré. Ces choses-là ne devraient pas être niées, bien souvent elles existent vraiment. Si des miracles ne m'étaient pas arrivés, je ne me serais pas mise à forger les histoires. En aucun cas je ne vous aurais trompé. Probablement les astres s’alignèrent ou je fus assez bénie des dieux, je ne sais pas au juste. Mais en effet, ce jour vint et il devint l'un de mes souvenirs les plus précieux.
Ce matin-là restera gravé à jamais dans ma mémoire. De tels instants sont magnifiques, ils ne seront jamais oubliés. Et cela va sonner bizarre, mais un jour avant j'avais avalé une petite fleur de lilas à cinq pétales. C’est en raison d’un vieux proverbe slave, on dit que le vœu d'une personne qui trouve une telle fleur et la mange tout de suite doit devenir réalité. Tout cela commença à partir des fleurs du lilas qui sont considérées depuis longtemps comme le symbole de la renaissance de la nature, du printemps, des sentiments amoureux, du premier amour, des jours de jeunesse et de l’innocence. Selon la légende grecque, qui a lieu dans « Les Métamorphoses » un poème épique d’Ovide, jeune Pan, le Dieu des bois et des champs, fut ébloui par la beauté d’une nymphe magnifique nommée Syringa («lilas» en grec), une messagère tendre de l’aurore. Pan amoureux décida de lui parler, mais une jolie fille se mit lui échapper, apeurée des sentiments forts du Dieu. Pan commença à la poursuivre, pourtant charmante Syringa fut métamorphosée dans un roseau. Pan déçu fit une flûte des branches des roseaux qui eut le nom « Syringa ».

« Pan croyait déjà Syrinx à sa merci, mais dans ses mains
il ne saisit que des roseaux du marais et non le corps de la nymphe.
Et tandis qu’il pousse des soupirs, l’air qu’il a déplacé
à travers les roseaux produit un son léger, une sorte de plainte.
Séduit par cette nouveauté et la douceur de cette mélodie,
Pan dit : « Pour moi, cela restera un moyen de converser avec toi »
[Les Métamorphoses, Livre I (1.689 à 1.713)]
Peut-etre, c’est pourquoi la fleur exprime encore le chagrin, la fin de l’amour et même la disparation... Les Perses appelèrent cette fleur élégante « lilâk », emprunté de la langue des Hindous qui eut la définition « bleu ». Avec le temps, les églises chrétiennes firent le lilas un atribut de la communion au printemps et ensuite, un symbole de toute la religion chrétienne.
Alors, le bouquet luxuriant était sur la table de la grande salle. Je passais à côté de lui et je trouvai une fleur mauve minuscule à cinq pétales juste au milieu du bouquet qui était tellement séduisante que je ne pus pas m'abstenir de faire un vœu !
– Quelle bêtise ! crut (je ne sais pas pourquoi) mon cerveau rationnel. Pourtant, mon âme d'enfant y croyait absolument, sans l'ombre d'un doute. Il aurait été raisonnable que j'aie fait un vœu de réussir mes travaux pratiques imminents, mais mon esprit aventurier m’invita à choisir quelque chose de plus intéressant, par exemple, une rencontre avec une personne qui était un objet de mon attention particulière. Qui n'aime pas les casse-têtes? Tout le monde les aime. Néanmoins, presque personne ne peut l’avouer. Je croyais en cette pure bêtise comme un enfant ou comme une dernière rêveuse de l'époque. Mon cœur sensible l'attendait jusqu'au bout, même si c’était dans les profondeurs de mon esprit.
Alors, ce matin-là je me levai avant le jour avec la pensée qu’il était très rare que je me rendisse à la fac de cette façon et qu'il fallait le supporter comme une catastrophe naturelle. C'était tout pour que j'enjambasse le perron de mon sacré Alma mater à temps ou pour que je trouvasse un minuscule endroit dans le transport détraqué, tout simplement. Mes trajets en voiture habituels du matin me causaient moins de désagréments que ce « rendez-vous » avec ce bus maudit et ses voyageurs moroses.
Quand même, ce ne fut pas le voyage qui les causa, au contraire ce fut le trajet à pied à travers le parc imprégné d'un mois de mai imprévisible. À mon grand étonnement, je gardais mon sang-froid et je plongeais entièrement quelque part au plus profond de mes pensées enivrantes. Il se trouva que mon flux de conscience prit trop peu de temps. Normalement, matin c’est le temps pendant lequel l’organisme se réveille, commence à fonctionner normalement pas à pas. Alors, je décidai de sortir un peu avant de mon arrêt pour me promener un peu et en même temps reprendre des forces.
Il faisait du brouillard, en bref c'était un jour gris. Bien que tout ait été vert, je ressentis le froid des mois d’hiver. Le ciel était extrêmement couvert de nuages. On aurait dit qu'il allait neiger. Il n'y avait pas de vent, tout était pénétré de l'apaisement du matin. En allant tout droit je remarquai la chute des branches. Quelques corbeaux les jetaient par terre, je faillis avoir ces branches dans ma tête. J'imagine bien la scène avec ma tête ornée de minuscules morceaux de branches. Quel chic ! J'évitai cet embellissement. Par bonheur, je contournai cet arbre; fuyons la tentation !
Jusqu’au tournant mes baskets me lançaient en l'air, mon corps minuscule me semblait impondérable et mon âme avec lui comme si j’attendais quelque chose d'incroyable. Je continuais à aller tout droit, soudain je tournai brusquement ma tête et qu'est-ce que je vis à ce moment-là ? La silhouette d'homme connu. Malheureusement, je le vis à peine. Il était très possible que le passant fût un mirage ou un inconnu selon toute vraisemblance.

– Quelle bêtise ! m'avouai-je.

Mes yeux reflétèrent le feu vert et virent comme les gens traversaient le passage clouté dans le lointain. Quand même, mon subconscient sage me murmura instamment:

– Où vas-tu si vite, ma chérie ? Pas vite, désormais quelque chose de curieux t’attend.

Mes pas ralentissaient et la silhouette derrière moi ne me laissait pas en paix. Voilà j'étais déjà près du trottoir en attendant ce feu vert fatal. Le feu tricolore s'alluma. Un coup de vent derrière mon dos me poussa doucement. En me retournant, je remarquai en un clin d'œil la figure extrêmement connue qui était juste près de moi.
À côté de moi...Lui. Mon système de reconnaissance fonctionna à merveille. Bien sûr, c'était lui que je reconnaissais toujours et partout. C’est quand je ressentis la force de la croyance, de la Terre, de la galaxie, de toutes les instances qui m'aidèrent à ce moment-là. Pourtant, ma gratitude était faible car ma personne était absorbée par la capture de ce grand mec insaisissable envoyé par mon destin. Et tout cela parce que la vitesse de ses pas accélérait sans fin. Cependant il fallut l’appeler tout d’abord. Quelques instants encore et ma voix intérieure osa appeler son nom, mais la voix extérieure hésitait beaucoup. Son nom sortit craintivement de mes lèvres tremblantes. À la seconde tentative il répondit à mon appel.

– Oh, hé...et je pense...qui pourrait m'appeler...

Autant que je m'en souvienne, il n'était jamais prodigue d’émotions explicites et ces mots sonnèrent sans aucun étonnamment. Cette fois il se comportait avec assurance et avec la même froideur qu’une statue, bien que quelques signes de vie aient été visibles. Il arrêta de se dépêcher, nous marchâmes ensemble.

– Tu vas parcourir les ruelles ?
– Eh oui, dit-il.

– Alors, je vais y aller avec toi, déclara mon courage inconscient à ma place. Il y eut une pause qui traîna en longueur. Je décidai de remédier à cela en le questionnant sur comment il allait et comme résultat, je reçus la réponse la plus chagrine dans le monde.

– Pas grand-chose...c'est triste quand tu te lèves à sept heures du matin.

Et voici comment notre silence mutuel commença. Pendant tout notre trajet, il arrangeait ses cheveux, il tapait des pieds, il poussait des soupirs tandis que je tiraillais infiniment mon écharpe déchaînée à cause de ma nervosité et je ne jetais que des coups d'œil à ses chevilles étincelantes de blancheur. Le silence était tellement silencieux que cet amateur d'impassibilité fut obligé de rompre cette sérénité-là.

– Eh, donc...nous avons une discussion pittoresque, déclara-t-il en souriant.
– Parfois, le silence est la meilleure des réponses, on peut en dire bien plus de cette façon.
– C'est vrai, c'est mieux que dire n'importe quoi.
– Car les oiseaux chantent, l'air est déjà plein de musique.
(Oh, mes aïeux, mon style me démasque toujours. C'est tellement moi).
Après quelques minutes de notre trajet mon écharpe fut comme une forcenée, sans doute elle vit la nécessité de nous divertir un tout petit peu. Elle le fit comme un ange. Elle s’éleva dans les airs, s'agita rythmiquement devant les yeux de mon compagnon tellement que je ne pus pas la saisir. Il se réjouissait quand mes petites mains s'élevaient et tentaient de dompter cette écharpe polissonne. Finalement, je m’épuisai et ma fatigue aboutit à cette réplique géniale : « Notre lutte contre l'écharpe n'est pas finie en notre faveur».
Un sourire éclaira son visage, j'étais si ravie de regarder cette scène phénoménale, presque historique. J'y parvins. Il n'y eut rien de tel que de voir ce jeune homme imposant avec cette émotion intime et confidentielle comme un rire. Sur-le-champ, je compris combien partiale est mon attitude à cet homme gentil à tous égards. Je ne pus pas suivre quand mes mots et accents commençaient à s'embrouiller. J’étais très fleur bleue. Et nous continuions à marcher. Nous nous approchions vers les murs de l’université. Brusquement, je remarquai sa camarade qui souriait en nous voyant ensemble et qui tâchait de l'appeller quelques fois. Mais cet Apollon de six pieds de haut ne réagissait pas du tout comme si elle était absolument transparente ou silencieuse. Je ris autant que lui, il me laissa passer devant l’entrée. Et voilà. L’heure vint de dire au revoir.
Il resta deux secondes jusqu'à ce que je retrouvasse mon souffle. Et peu après mon visage radieux aurait pu illuminer un couloir sombre qui menait vers la salle de cours. Peu importe que le cours allait commencer dans peu de temps. Une seule phrase s'imposa dans ma tête : «Je n’entends que les battements de cœur et tout cela parce que je t’ai rencontré ». Nous nous arrêtâmes un peu à côté de l’escalier.

– Voilà, au revoir, prononçai-je en dehors des passions, quoique ce jeune homme m’eût manqué déjà.
– Eh, adieu... dit-il d'un ton pondéré.

Battements de mon cœur, battements et rien d'autre.

À mon doux souvenir prénommé A.

___

« Une impossibilité était possible,
Mais cette possibilité était seulement un rêve »
Blok A.