Une histoire, deux flammes – une moribonde, l'autre flamboyante

Avant d'écrire un mot, j'essaie d'en lire mille préalablement. La lecture est mon refuge, l'écriture mon exutoire.

Toute histoire commence un jour, quelque part. Une convergence, une passion double, une coïncidence, laquelle des ces trois peut-elle qualifier au mieux cette histoire dont je fus le protagoniste, à défaut d'en être l'objet, tant la fulgurance, le caractère éphémère d'une face de ladite histoire rejaillit spectaculairement sur l'autre face? Deux amours nés à la même période, à un âge où les premiers épanchements sont les plus prompts à s'opérer. On était à Odjen et je ne m'attendais pas du tout à un tel coup de foudre, moi qui suis du genre plutôt réservé quand il s'agit d'exterioriser ses sentiments. C'était peut-être dû à mon éducation ou à mon caractère. Mimi a fait changer la donne, elle a mis fin à une atonie. Rentrée comme par infraction dans ma morne vie, elle s'y était logée. Ce n'était pas du tout prévu que je me sente ainsi dépassé par les événements et embrigadé dans ce filet, si tenace. Quelques années après toute cette histoire, je n'arrive pas encore à comprendre cette mutation, telle une révolution interne qui a eu des répercussions sur tout l'être de la personne en qui elle s'est réalisée.
Mimi semblait candide. Cela augmentait son charme. Taille moyenne, forme svelte, nez allongé, à la différence de celui de la plupart de nous autres africains noirs qui avons des nez aplatis, avec des narines dilatantes, faites pour humer plus d'air; logique d'ailleurs avec toutes ces sueurs qui coulent sous le poids de laborieux travaux à longueur de journée sous la caniculaire température des régions tropicales. La région d'Odjen fait figure de prou de ce climat chouïa tendre. Mais ce n'est pas seulement la forme de son nez et la candeur de sa physionomie de Mimi qui charmaient. Elle avait des manières si douces, une mine indifférence aux humeurs acariâtres et à laquelle l'entourage ne restait pas insensible. Moi aussi, enfin, un peu trop. Nous venions de nous rencontrer pour la première fois, après l'obtention du brevet du premier cycle. Comme moi, elle était friande de littérature, aimait lire, avait une prédilection pour les langues.
Avec quelques facilités dont le ciel m'a gratifié dans certaines matières comme en français et en anglais, j'ai vite réalisé à quel point cela pouvait me rapprocher de Mimi, à faire en sorte qu'elle ait de l'intérêt pour moi. J'ai pu, avec envie, constater que contrairement à certains garçons habiles dans cet art qu'on appelle séduction, je ne m'y connaissais pas du tout: les mots, les gestuels du corps, les coups d'œil furtifs mais ô combien significatifs, tout geste qui fait savoir à une fille notre dessein de la séduire. Ce n'est pas que je manque de charme. Ma timidité naturelle fait que je n'arrive pas à aborder la gent féminine, en vue de lui lancer des fleurs. Même quand il arrive qu'il y a une proximité hasardeuse, lorsqu'elle ne devient pas promiscuité, elle résulte le plus souvent de ce que le milieu scolaire et académique permet les rencontres inopinées.
Ma flamme pour Mimi n'a pas tarit en dépit de maintes tentatives de ma part, pour l'éteindre. Pourquoi ai-je voulu contrarier ce sentiment, à l'origine, avant qu'elle n'en soit informée? Je ne saurais dire pourquoi. Mon caractère? Probablement. Toujours est-il que cette flamme a continué son chemin, dans mon coeur palpitant, candide et s'ouvrant à une nouvelle sensation. Tout début est difficile, dit-on ,ce n'est pas à tort. Jusqu'à la fin de cette année où nous nous sommes rencontrés, je n'ai pu lui souffler mot de ce que j'éprouvais pour elle. Mes amis,eux, n'ont pas tardé à s'apercevoir de la mutation qui s'operait dans mes attitudes. Les sentiments influent aussi sur la physionomie, la gestuelle et surtout le choix des mots, à l'abord des thèmes liés au champ lexical de l'amour. Yacou, mon ami le plus proche, m'en fit la remarque un jour. Dans le jargon propre à lui, il me lança:
-Djo , depuis quelque temps tu sembles bizarre hein, on dirait quelqu'un qui est fan d'une meuf.
Dans l'embarras où m'avait jeté cette interpellation, je ne puis me dérober assez longtemps.
- Tu n'as pas tort, Yacou, lui répondis-je, balbutiant. Elle s'appelle Mimi.
-Ah Isaac, la fille claire là avec qui t'y parles beaucoup de littérature.
Il ne s'était pas trompé lorsqu'il a parlé de littérature. Le seul moyen que je trouvais pour approcher Mimi était notre passion commune, celle pour laquelle nous n'avions d'yeux que pour notre prof de français. Un monsieur si passionné et passionnant quand il se lançait dans des envolées lyriques dont lui seul a le secret. Il fut le facteur déclencheur de ce qui deviendra pour moi <un ami, un conseil, un consolateur éloquent et calme>, pour emprunter les termes de Georges Sand, évoquant son rapport énamouré avec le livre et la lecture.
Et même si je réussis à finalement  avouer à Mimi toute la flamme que j'entretenais à son égard, elle n'y prêta pas d'intérêt. Ma rencontre avec elle ne me resta pas comme le meilleur souvenir que j'eus d'un être aimé. Les événements qui entourent cette rencontre méritent amplement consideration et restent graver en moi, inéluctablement . La littérature ,ma flamme flamboyante, la naissance de cet amour dont j'ai la certitude qu'elle ne saurait me trahir demeure la plus belle chose qui me soit arrivée. Depuis cette date où je réalisai cette merveilleuse rencontre, j'ai voulu faire de mon univers, celui du livre. Un quotidien où je suis en permanence en contact avec les idées, le génie des hommes.  Au delà de tout ce qui fait du livre et de la littérature une merveille, moi je l'envisage comme une découverte de moi-même.  Il paraît parfois complexe de trouver des réponses aux interrogations qui taraudent l'esprit de tout être humain. S'il y'en a qui ont su exprimer leurs angoisses en écrivant, en s'ecrivant; ils l'ont fait pour eux, ils l'ont fait aussi pour l'humanité.  La rencontre entre les anciens et les nouveaux en a ainsi été possible. Cette année où je rencontrai à la fois Mimi et la littérature fut indélébile. Mimi a rencontré un ailleurs. La littérature m'est restée fidèle. Et cette histoire qui commença un jour,quelque part est celle d'un amour qui perdure.