Comme une grande partie des habitants de la cuvette, j'ai encore passé une mauvaise nuit. Nous ne sommes que début juin, mais déjà les premières canicules ont transformé la plupart des ... [+]
Une grosse bêtise
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Je voulais seulement récupérer mon fils. Je l'avais promis à sa pauvre mère. Toute ma science, tout mon temps, toute mon énergie des huit dernières années ont convergé vers ce dessein unique.
Et je l'ai fait, bon sang ! Je l'ai ramené chez nous, ici et maintenant, en 1923. Il dort dans sa chambre, dans ce qui était sa chambre avant la guerre.
Il n'est pas mort un 9 décembre dans la Somme, déchiqueté par un obus, comme nous l'avait annoncé froidement un courrier de l'Armée au matin de Noël 1916. La croix blanche portant son nom au cimetière du Bois des Loges à Beuvraigne n'existe plus, n'a jamais existé, n'existera jamais. Son nom ne sera pas gravé parmi ceux de ses malheureux camarades sur le monument aux morts en construction devant la mairie de notre village.
Il est vivant ! Je l'entends remuer dans son lit, sans doute en proie à des cauchemars, car hier encore il était en enfer. Mais en Orphée des temps modernes, je l'ai sorti de là.
L'appareil n'aura servi qu'une fois. Avant même de l'inventer, je me l'étais juré. Une machine à remonter le temps n'est pas un jouet. J'y ai consacré tout mon savoir et tout mon argent, dans un seul but : sauver mon enfant. Et immédiatement après, je l'ai détruite, et j'ai brûlé les plans. Personne d'autre que moi n'aura le privilège de réécrire le présent. C'est égoïste, je le sais bien, mais l'amour est égoïste.
Mon fils est réveillé à présent, il entre dans la cuisine où j'écris ces lignes. Hier soir, je lui ai fait prendre un bain et l'ai revêtu d'habits propres, mais les stigmates de la guerre déforment encore son corps et son visage meurtris. Hier encore, il était dans le froid et la boue des tranchées. Il ne comprend pas tout à fait ce qui lui arrive, même si j'ai essayé de lui expliquer.
Il s'assoit en face de moi, pas très à l'aise dans la chaleur et le confort de la maison familiale. Pour lui comme pour moi, tout cela ressemble à un rêve. Il a besoin de toucher le bois lisse de la table, la croûte du pain frais, de sentir l'odeur du café froid, d'écouter le chant des oiseaux qui s'éveillent dans le jardin, tous ses sens doivent reprendre contact avec la réalité.
Machinalement (peut-être pour éviter mon regard qui ne peut se détacher de lui), il parcourt le journal de la veille posé sur la table. Son attention se fixe sur un article en trois colonnes à la une. Ses sourcils se froncent.
— Qu'y a-t-il, Louis ? lui demandé-je.
— Cet homme...
Il me désigne le portrait qui illustre le papier.
Et moi aussi, je le reconnais.
Lorsque j'ai exfiltré Louis, dix minutes avant le bombardement qui aurait dû le tuer, il tenait en joue cet homme-là, un caporal de l'armée allemande. Un visage tombant, un regard pâle et pénétrant, une petite moustache circonscrite dans l'ombre du nez, une mèche de cheveux descendant vers le sourcil gauche... Quatre années sont passées pour lui, mais la singularité de ses traits ne laisse aucun doute.
Mais ce qui me rend soudain mal à l'aise, c'est que la photo n'existait pas dans ce même journal hier matin, j'en suis presque sûr.
En changeant le cours de l'Histoire, J'ai donc sauvé deux hommes : mon fils adoré, et ce caporal inconnu qu'il aurait dû tuer le 9 décembre 1916.
J'espère que je n'ai pas fait une grosse bêtise.
Et je l'ai fait, bon sang ! Je l'ai ramené chez nous, ici et maintenant, en 1923. Il dort dans sa chambre, dans ce qui était sa chambre avant la guerre.
Il n'est pas mort un 9 décembre dans la Somme, déchiqueté par un obus, comme nous l'avait annoncé froidement un courrier de l'Armée au matin de Noël 1916. La croix blanche portant son nom au cimetière du Bois des Loges à Beuvraigne n'existe plus, n'a jamais existé, n'existera jamais. Son nom ne sera pas gravé parmi ceux de ses malheureux camarades sur le monument aux morts en construction devant la mairie de notre village.
Il est vivant ! Je l'entends remuer dans son lit, sans doute en proie à des cauchemars, car hier encore il était en enfer. Mais en Orphée des temps modernes, je l'ai sorti de là.
L'appareil n'aura servi qu'une fois. Avant même de l'inventer, je me l'étais juré. Une machine à remonter le temps n'est pas un jouet. J'y ai consacré tout mon savoir et tout mon argent, dans un seul but : sauver mon enfant. Et immédiatement après, je l'ai détruite, et j'ai brûlé les plans. Personne d'autre que moi n'aura le privilège de réécrire le présent. C'est égoïste, je le sais bien, mais l'amour est égoïste.
Mon fils est réveillé à présent, il entre dans la cuisine où j'écris ces lignes. Hier soir, je lui ai fait prendre un bain et l'ai revêtu d'habits propres, mais les stigmates de la guerre déforment encore son corps et son visage meurtris. Hier encore, il était dans le froid et la boue des tranchées. Il ne comprend pas tout à fait ce qui lui arrive, même si j'ai essayé de lui expliquer.
Il s'assoit en face de moi, pas très à l'aise dans la chaleur et le confort de la maison familiale. Pour lui comme pour moi, tout cela ressemble à un rêve. Il a besoin de toucher le bois lisse de la table, la croûte du pain frais, de sentir l'odeur du café froid, d'écouter le chant des oiseaux qui s'éveillent dans le jardin, tous ses sens doivent reprendre contact avec la réalité.
Machinalement (peut-être pour éviter mon regard qui ne peut se détacher de lui), il parcourt le journal de la veille posé sur la table. Son attention se fixe sur un article en trois colonnes à la une. Ses sourcils se froncent.
— Qu'y a-t-il, Louis ? lui demandé-je.
— Cet homme...
Il me désigne le portrait qui illustre le papier.
Et moi aussi, je le reconnais.
Lorsque j'ai exfiltré Louis, dix minutes avant le bombardement qui aurait dû le tuer, il tenait en joue cet homme-là, un caporal de l'armée allemande. Un visage tombant, un regard pâle et pénétrant, une petite moustache circonscrite dans l'ombre du nez, une mèche de cheveux descendant vers le sourcil gauche... Quatre années sont passées pour lui, mais la singularité de ses traits ne laisse aucun doute.
Mais ce qui me rend soudain mal à l'aise, c'est que la photo n'existait pas dans ce même journal hier matin, j'en suis presque sûr.
En changeant le cours de l'Histoire, J'ai donc sauvé deux hommes : mon fils adoré, et ce caporal inconnu qu'il aurait dû tuer le 9 décembre 1916.
J'espère que je n'ai pas fait une grosse bêtise.
il faut quand même être trés calé en Histoire ,aussi pour mieux apprécier cette uchronie!!
je vous apporte quelques points en plus !!
bravo à vous !!