À chaque fois que je suis de service au bar, le vieux Billy me parle de Sam. Il reste plusieurs heures à vider des canettes de bière et quand il est bien imbibé d'alcool et de tristesse, il ... [+]
La nuit était proche et bientôt le lourd paquebot s'enfoncerait dans l'obscurité. Un vent crépusculaire rafraîchissait la foule assemblée sur le quai.
Accoudé au bastingage du pont promenade, un couple regardait bien au-delà du port encombré. Lui était grand avec un visage plaisant. Ses mains semblaient belles. Un de ses bras enserrait une jeune femme aux cheveux courts et bouclés qui lui parlait en riant « Oublions les moments difficiles mon chéri. Je n'y pense déjà plus, tu sais ! Je vais tellement m'appliquer et toi aussi n'est-ce pas ? » Elle se redressa et d'un geste très doux, inattendu chez elle, lui caressa la joue. Il pensa qu'il devait inscrire ce geste dans sa mémoire et peut-être aussi dans son prochain roman. Mieux que quiconque, il savait l'éphémère de la vie, de ce qui a été et ne sera jamais plus.
Il la rapprocha de lui et l'entraîna vers leur cabine. Ils devaient défaire leurs valises et se changer pour la soirée qui les attendait. Il adorait la voir se préparer, attacher des colliers sur sa nuque émouvante, respirer son parfum de jeune femme fortunée. Quand ils descendraient dîner dans la grande salle pleine de lumières, tous les regarderaient en se disant que rien ne les obligeait vraiment à partir, à quitter un continent pour un autre. Ils étaient si jeunes, si élégants. Pourtant lui, avait besoin de revoir l'Europe, de retrouver Paris. Il aimait qu'on admire sa ravissante épouse aux toilettes luxueuses et le couple qu'ils formaient. A Paris, ils seront mieux, l'un et l'autre, l'un avec l'autre. Paris était fait pour cela.
Ils passèrent cette première soirée, tranquilles, sentant sur eux quelques regards curieux et interrogateurs. Elle fut joyeuse pendant tout le dîner et il lui en fut reconnaissant. Cela augurait d'une belle traversée. Ils se parlèrent doucement et il se rappela les premiers temps de leur union quand ils s'embrassaient des heures durant, sous la tiédeur de sa véranda, quand il attendait de pouvoir l'épouser, lui le pauvre jeune yankee, elle la riche et belle de l'Alabama. Elle représentait pour lui un rêve. Elle avait trop fait partie de ses jours et de ses nuits pour qu'il puisse penser à une autre...*
Elle posa vivement sa main sur son avant-bras, interrompant sa rêverie:
« C'est agréable d'être entourés de personnes raffinées, tu ne trouves pas ? Mais je suis fatiguée, allons nous coucher. Nous danserons demain, n'est-ce pas mon chéri ? »
Ils rejoignirent leur cabine et quand elle fut endormie, il sortit sur le pont pour fumer et prendre quelques derniers verres. Il faisait doux. Le vent était tombé avec la nuit. Il regarda l'immensité sombre devant lui et il eut plus que jamais l'envie de boire.
Le lendemain, le temps avait changé et la mer était mauvaise. Ils restèrent longtemps dans leur cabine, immobiles, les jambes emmêlées, les yeux ouverts, dans la chaleur des draps, protégés du monde. Elle fut la première à se lever. Elle voulait visiter le paquebot, parler à des gens en vue, mettre sa plus jolie robe et danser avec des jeunes hommes séduisants qui la courtiseraient le temps d'une valse. Elle était si délicieuse qu'on ne pouvait faire autrement que de l'aimer, pensa-t-il très fort, tout en lui disant qu'il ferait mieux de ne pas l'accompagner car il devait s'atteler à son roman, certaines idées, enfin, lui étaient venues pendant la nuit. Elle le regarda sans insistance, une ride toute fine apparut au-dessus de son sourcil gauche et sa bouche trembla imperceptiblement un court instant puis elle reprit cette expression charmante qui la rendait précieuse à tous ceux qui la côtoyaient et s'éloigna de lui sans se retourner. Il put travailler tranquillement tout l'après-midi.
Elle, rentra quelques heures plus tard, une chanson aux lèvres pour se faire la plus belle de la soirée qui s'annonçait. Ils mangèrent en silence cette fois, puis se dirigèrent vers la salle où un orchestre jouait en sourdine en attendant que la piste de danse se remplisse. A peine installés, il commanda une bouteille du champagne qu'elle préférait et elle lui sourit pour cela en se levant pour qu'il la fasse danser. Elle avait toujours aimé danser, à n'importe quel moment, sur n'importe quelle musique, elle dansait avec extase. Elle fut très vite invitée et ainsi il put boire en paix. Il s'apprêtait à quitter la salle quand elle revint vers lui. « Sortons ensemble mon chéri, tu veux bien ? J'ai tellement chaud » Elle prit son verre avec elle, s'avança vers la passerelle et se pencha dangereusement. Il la repoussa avec force. « Ne crains rien, je n'ai pas chaud à ce point, mais ce collier m' étouffe. Peux-tu me l'enlever mon chéri ? » Quand le collier fut dans ses mains, elle le lança aussi loin que possible dans l'obscurité de l'océan. « C'est joli, des perles dans l'eau n'est-ce pas ? Mais quel dommage, on ne voit rien avec cette nuit ! Rentrons maintenant, je veux encore danser !"
De retour à leur table, elle lui prit la main et la serra jusqu'à lui faire mal « Bientôt nous serons à Paris. Te rends-tu compte ? A Paris ! Ce que nous allons être heureux mon chéri, tellement heureux ! » Il ne la regarda pas mais lui dit simplement « Bien sûr mon amour! » et il commanda une autre bouteille.
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* Phrase extraite de "Gatsby le magnifique de Scott Fitzgerald " publié en 1925
Accoudé au bastingage du pont promenade, un couple regardait bien au-delà du port encombré. Lui était grand avec un visage plaisant. Ses mains semblaient belles. Un de ses bras enserrait une jeune femme aux cheveux courts et bouclés qui lui parlait en riant « Oublions les moments difficiles mon chéri. Je n'y pense déjà plus, tu sais ! Je vais tellement m'appliquer et toi aussi n'est-ce pas ? » Elle se redressa et d'un geste très doux, inattendu chez elle, lui caressa la joue. Il pensa qu'il devait inscrire ce geste dans sa mémoire et peut-être aussi dans son prochain roman. Mieux que quiconque, il savait l'éphémère de la vie, de ce qui a été et ne sera jamais plus.
Il la rapprocha de lui et l'entraîna vers leur cabine. Ils devaient défaire leurs valises et se changer pour la soirée qui les attendait. Il adorait la voir se préparer, attacher des colliers sur sa nuque émouvante, respirer son parfum de jeune femme fortunée. Quand ils descendraient dîner dans la grande salle pleine de lumières, tous les regarderaient en se disant que rien ne les obligeait vraiment à partir, à quitter un continent pour un autre. Ils étaient si jeunes, si élégants. Pourtant lui, avait besoin de revoir l'Europe, de retrouver Paris. Il aimait qu'on admire sa ravissante épouse aux toilettes luxueuses et le couple qu'ils formaient. A Paris, ils seront mieux, l'un et l'autre, l'un avec l'autre. Paris était fait pour cela.
Ils passèrent cette première soirée, tranquilles, sentant sur eux quelques regards curieux et interrogateurs. Elle fut joyeuse pendant tout le dîner et il lui en fut reconnaissant. Cela augurait d'une belle traversée. Ils se parlèrent doucement et il se rappela les premiers temps de leur union quand ils s'embrassaient des heures durant, sous la tiédeur de sa véranda, quand il attendait de pouvoir l'épouser, lui le pauvre jeune yankee, elle la riche et belle de l'Alabama. Elle représentait pour lui un rêve. Elle avait trop fait partie de ses jours et de ses nuits pour qu'il puisse penser à une autre...*
Elle posa vivement sa main sur son avant-bras, interrompant sa rêverie:
« C'est agréable d'être entourés de personnes raffinées, tu ne trouves pas ? Mais je suis fatiguée, allons nous coucher. Nous danserons demain, n'est-ce pas mon chéri ? »
Ils rejoignirent leur cabine et quand elle fut endormie, il sortit sur le pont pour fumer et prendre quelques derniers verres. Il faisait doux. Le vent était tombé avec la nuit. Il regarda l'immensité sombre devant lui et il eut plus que jamais l'envie de boire.
Le lendemain, le temps avait changé et la mer était mauvaise. Ils restèrent longtemps dans leur cabine, immobiles, les jambes emmêlées, les yeux ouverts, dans la chaleur des draps, protégés du monde. Elle fut la première à se lever. Elle voulait visiter le paquebot, parler à des gens en vue, mettre sa plus jolie robe et danser avec des jeunes hommes séduisants qui la courtiseraient le temps d'une valse. Elle était si délicieuse qu'on ne pouvait faire autrement que de l'aimer, pensa-t-il très fort, tout en lui disant qu'il ferait mieux de ne pas l'accompagner car il devait s'atteler à son roman, certaines idées, enfin, lui étaient venues pendant la nuit. Elle le regarda sans insistance, une ride toute fine apparut au-dessus de son sourcil gauche et sa bouche trembla imperceptiblement un court instant puis elle reprit cette expression charmante qui la rendait précieuse à tous ceux qui la côtoyaient et s'éloigna de lui sans se retourner. Il put travailler tranquillement tout l'après-midi.
Elle, rentra quelques heures plus tard, une chanson aux lèvres pour se faire la plus belle de la soirée qui s'annonçait. Ils mangèrent en silence cette fois, puis se dirigèrent vers la salle où un orchestre jouait en sourdine en attendant que la piste de danse se remplisse. A peine installés, il commanda une bouteille du champagne qu'elle préférait et elle lui sourit pour cela en se levant pour qu'il la fasse danser. Elle avait toujours aimé danser, à n'importe quel moment, sur n'importe quelle musique, elle dansait avec extase. Elle fut très vite invitée et ainsi il put boire en paix. Il s'apprêtait à quitter la salle quand elle revint vers lui. « Sortons ensemble mon chéri, tu veux bien ? J'ai tellement chaud » Elle prit son verre avec elle, s'avança vers la passerelle et se pencha dangereusement. Il la repoussa avec force. « Ne crains rien, je n'ai pas chaud à ce point, mais ce collier m' étouffe. Peux-tu me l'enlever mon chéri ? » Quand le collier fut dans ses mains, elle le lança aussi loin que possible dans l'obscurité de l'océan. « C'est joli, des perles dans l'eau n'est-ce pas ? Mais quel dommage, on ne voit rien avec cette nuit ! Rentrons maintenant, je veux encore danser !"
De retour à leur table, elle lui prit la main et la serra jusqu'à lui faire mal « Bientôt nous serons à Paris. Te rends-tu compte ? A Paris ! Ce que nous allons être heureux mon chéri, tellement heureux ! » Il ne la regarda pas mais lui dit simplement « Bien sûr mon amour! » et il commanda une autre bouteille.
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* Phrase extraite de "Gatsby le magnifique de Scott Fitzgerald " publié en 1925
je n'avais aucun abonné et aucune oeuvre, mais Short a résolu
le problème...
Très subtil .