Un regard triste sur mon monde

Toute histoire commence un jour, quelque part, dans un regard triste ou sur un visage souriant.
Je revenais d’un voyage, un soir de Mars 2016. Tandis que je descendais de mon taxi au rond-point « la pirogue », je vis s’approcher de moi cette belle petite fille au visage fatigué et au sourire radieux. Prédisant qu’elle ne venait vers moi que pour me demander de l’argent, je m’empressais davantage. Malgré mes efforts elle parvint à me rattraper et tenant ma main elle me suivit tout en silence. La petite voix dans ma tête, me répétais sans cesse de garder le silence en continuant de marcher et lorsqu’elle en aura assez, elle rebroussera chemin. C’était sans compter sur la détermination de cette petite fille, qui continuait par me suivre tout en silence. Au bout de dix minutes de marche, je rendis les armes et lui demanda si elle voulait manger quelque chose. Elle se retourna vers moi et s’exprimant dans mon patois, elle me dit « si vous y tenez ». Cela m’intrigua et m’émerveilla car à vue d’œil, elle était de la tribu des nomades touareg. Pendant qu’elle mangeait son plat de koliko (igname frite), je m’assis près d’elle et là, une pléthore de questions me traversait l’esprit. Je voulais la connaitre, savoir ce qu’elle voulait de moi ? D’où est-ce qu’elle venait ?où étaient ses parents ? Pourquoi était-elle obligée, à son âge, de mendier aux feux tricolores ? etc.
Mais lorsque j’ouvris la bouche, je me surpris en train de lui poser une seule et simple question : « quel est ton nom ?». Elle me répond « Samsia » ce qui signifie lumière en français. Je lui demandai ensuite de me compter son histoire. Elle baissa la tête pendant une dizaine de secondes et commença à me parler avec une voix sanglotée.
D’un air sérieux, je m’assoupis sur la chaise en l’écoutant.
Je viens du Nord Mali ; disait-elle.
Je suis la fille unique d’un instituteur. Je n’ai jamais connu ma génitrice car cette dernière est morte en couche. Mon père m’a appris tellement de choses. J’ai reçu un don magnifique de Dieu, celui d’avoir une mémoire eidétique. Mon père m’a appris que Dieu est le créateur de toutes choses et que la crainte de Dieu est le début de la sagesse. Il m’a aussi appris que chaque humain, sans distinction d’origine ni de sexe, nait libre et égal aux autres. Il me disait tout le temps que le monde était un endroit merveilleux où l’Homme se doit de s’épanouir et créer son futur.
Mais, un soir de janvier 2012, mon regard sur le monde changea drastiquement. Quand je vis certains hommes abattre leurs semblables au nom d’un Dieu qu’ils traitent de miséricordieux, quand je vis un poignard transpercer la poitrine de mon père qui refusait de se séparer de sa bible ; je me rendis compte que le monde n’était pas un havre de paix comme mon père me le disait. Avant de subir la loi de ce tribunal qui n’a d’autre juge qu’un Dieu mal compris, mon père me confia à une famille de nomades berbères.
Je manquai de tout, d’un repas ponctuel à une douche en passant par mes livres. J’ai tellement marché... la fatigue reprit elle et la faim affaiblissaient mon corps au point où j’oubliai de compter les jours qui se sont écoulés depuis le début de mon périple. Un jour, mes désormais tuteurs m’annoncèrent que nous étions arrivés à notre destination. Une ville qui se différenciait de mes origines de par l’habillement des habitants, leur liberté, leur allure. A chaque regard porté sur moi je pouvais lire soit du dédain, soit de la pitié soit de la colère. J’affronte chaque jour une honte profonde en m’approchant des véhicules aux feux tricolores pour faire la manche. Mais en repensant à là d’ où je viens, je me dis au fond de moi que ceci n’est qu’un moindre prix à payer. Chaque jour, à chaque heure résonne à mes oreilles cette parole de mon père : « Ta réussite ne dépend pas de là d’ où tu viens, ni de là où tu es mais bien de là où tu te fixes comme objectif d’arriver et des moyens que tu mets en place pour y arriver. »
Elle clamait avec certitude « moi je deviendrai ingénieur et je reconstruirai mon pays. »
Et tournant son regard triste vers moi, elle me dit : « Tonton, vous vous êtes sûrement demander pourquoi je vous ai suivi... Je voulais vous demander de m’offrir le livre que vous tenez en main ».
Ce livre s’intitulait « Les sciences de l’ingénieur expliqué aux enfants ».
Je baissai la tête et ne pus m’empêcher d’éclater en sanglots.