Un homme à terre

Toute histoire commence un jour, quelque part.
Cette nuit à WAHALA, le gravier qui était dispersé dans la cour me pénétrait la peau car mon pantalon tenait plus de son nom qu’autre chose. Je me revois, courant de toutes mes forces, et ce, sans m’arrêter. Je n’ai même pas dit adieu à mes frères.
Était-ce l’aspect ténébreux de la nuit qui accentuait plus ma peur ?car j’avais cru voir la mort profiter pour se faufiler dans le but de m’arracher à la vie. Non ! Appelez donc quelqu’un, n’importe qui pour qu’on puisse enfin m’expliquer ce qui s’est passé car Je n’avais pas réalisé ce soir-là que le coup porté par mon père avait une telle violence. J’ai encore en mémoire cette petite voix qui me disait ceci : « ne penche pas la tête, le sang coule beaucoup trop vite »
Toute histoire commence un jour quelques parts, mais ce jour-là j’ai prié pour que ce ne soit pas la fin.
La plus part des gens ignorent qui je suis...Parce que je ne suis personne vois-tu, c’est juste que toi, petite fille, tu sembles me comprendre, ou ton innocence ne te permet pas de faire comme ces adultes c'est-à-dire me mépriser sans même prendre la peine de me connaitre.
En 1997, j’avais quatorze ans, Abacar me nomme-t-on, en mémoire du défunt père de mon géniteur. Je suis le plus grand d’une fratrie : Modou 11 ans et Souley 7 ans.
Je suis originaire de KOKARI City, un pays qui a découvert aux environs des années 1960 le goût suave de la liberté et de l’indépendance. Et quelque part à l’intérieur se trouvait mon village : WAHALA, qui veut dire la souffrance dans notre langue.
Voilà vingt et deux ans que je n’y ai plus remis les pieds. En réalité, je n’y retournerai jamais.
Et même si par miracle l’envie me prenais, je n’y trouverai que ruine et silence, car à l’heure où je te parle, cet endroit n’y est plus : décimé et déchiré par les groupes terroristes de Boukka-Hamane qui sèment la terreur, le peu de survivant ont vu leurs vies brisées et ont dû s’exiler. En effet, son nom lui porta malheur. Quelle ironie !
A l’époque, Mon père était instituteur. Ce qui ajouta du charme à sa personne, lui qui comprenait français au point de l’enseigner et pour preuve, toutes les femmes environnantes rêvaient d’en faire un époux. Ainsi, comme tout bon kokarien la logique voudrait qu’il épouse une femme de bonne famille ou une cousine éloignée. Et mon père avait déjà remarqué, ma mère : peau ébène, cheveux crépus d’un noir profond, formes généreuses...en regardant cette femme, on découvrait subitement que l’avarice n’est pas le propre de dame nature. Ce qui justifia très vite une union entre eux.
Et Plus tard Mon père fut affecté à WAHALA. Et c’est là que j’ai vu le jour.
Figure-toi que les femmes en ce temps n’avaient pas besoin de faire des études. Elles devaient plutôt se préoccuper de : « l’art d’être une femme au foyer, l’art d’encaisser sans broncher ».
A cet effet, quelque chose m’intriguais chez mon père car ce dernier à l’image d’une femme capricieuse changeait souvent de visage : un héros le jour mais un bourreau pour ma mère dès que la lumière laissait place à l’ombre.
Mais ne dit-on pas que la nuit est le moment le plus propice pour cacher les secrets les plus sordides ?
Il levait la main sur elle pour le plus banal des motifs : un mot mal compris, ou pour un boubou selon lui mal plié. Tout était un parfait mais pitoyable prétexte pour faire souffrir cette femme qu’il a tant convoitée auparavant. Et pire, il entretenait en nous une peur perpétuelle et semblait y tirer un malin plaisir.
J’étais à l’époque ce qu’on appelait joyeusement un cancre, un âne dit-on chez nous. En ce temps, les instituteurs avaient le droit de nous infliger le châtiment corporel. Je n’y échappais jamais.
Au CI, j’avais quatorze ans.
Crois-tu cela? L’hésitation de mon père concernant mon avenir s‘était soldée par un retard incroyable à tel point que ce fut une première à WAHALA.
Pourtant, Il est coutume de penser que les parents connaissent tous les tréfonds de leurs progénitures et doivent aussi croire en eux. Alors Je suis persuadé que si mon père avait cru en moi, je n’aurai pas été un misérable aide-maçon doublé d’un éboueur à mes heures perdues longeant les rues de la capitale sur une vieille bicyclette dont le remplacement de la chaine avait créé un trou énorme dans mes économies qui a dû être comblé part des heures et des heures de servitude en raison de deux cent francs CFA la journée et encore !
Economie ? Mais que dis-je ! Je n’en avais point...A moins que deux cent francs CFA par jour puisse être considérés comme telles Alors je pouvais m’en réjouir. Ce n’est pas comme mon cousin Aliou, diplômé des grandes écoles, il est allé à ‘‘faranci’’, ses enfants respirent l’aisance et cela se voyait à leurs visages.
Pour ces derniers, j’étais leur bouffon, l’adulte dont on pouvait se moquer, à l’exception de la petite dernière Absat qui semblait comprendre mon chagrin. Je sais, ce n’est qu’une enfant...mais au moment où les adultes me fuyaient moi et mes problèmes, je pouvais enfin soulager ma conscience devant les yeux ébahis de la petite Absat.
Mais leur ravissante mère n’est pas de cet avis, car elle finissait toujours par l’éloigner de moi grâce au concours de leur magnifique maison.
Je ne le disais pas ouvertement, mais j’étais jaloux d’eux, jaloux au point de souhaiter leur perte, et Dieu sait que je ne suis pas méchant. Et d’ailleurs méchant ou pas oserai-je ? Leur père est le seul qui a voulu m’aider... à sa façon. Il possédait plusieurs hectares en dehors de la ville, alors il me proposa d’y cultiver pour lui. Sa proposition tombait au bon moment car, suite à une dispute avec le chef de chantier je passais de sous-employé à sans-emploi .J’avais passé trois jours sans manger avec comme seul réconfort un morceau de pain enveloppé dans un plastique, cela permettait de le conserver plus longtemps vois-tu. Avant cela, j’allais m’asseoir chez un oncle qui prit le soin d’être sûr que toute la famille soit réunie avant de vociférer qu’il me prendra en charge. Les jours qui ont suivi, rien n’y fait, à mon plus grand désarroi et ce dernier habitait à plusieurs kilomètre de mon cagibi. Une maison, non un chantier abandonné depuis des années faute de moyen. Nous étions six miséreux à y vivre.
Tu dois sans doute te demander ce que j’ai fait pour en arriver là.
Eh bien folie ou faute d’arguments, les coups que recevait ma mère à répétition n’étaient pas assez au regard de mon père. Alors jour, un élément décisif vient y mettre fin.
Ma mère disait souvent aller voir une tante. En réalité cette dernière se rendait au dispensaire de la localité où elle faisait penser ses blessures physiques par une infirmière de la place qui était plus âgée qu’elle, je dirai la cinquantaine environ. L’origine des blessures, elle la connaissait, et alors ? « Une femme doit rester chez son mari quoi qu’il arrive », tel était le slogan de notre société ou encore, « je ne veux pas savoir ce que tu as fait, demande pardon à ton mari ». Ceci était le discours d’investiture et sans appel, d’un cimetière à domicile, oh combien sont mortes dans ce carcan lui leurs servait de foyer.
Ainsi, Chance ou malchance, avant son retour du dispensaire, mon père prit le soin de jeter toutes ses affaires à la rue, il y eut un petit attroupement. A la vue de ce spectacle, ma mère s’arracha les cheveux, cria, supplia mon père à genoux de bien vouloir lui pardonner un crime qu’elle ignore même avoir commis, et de ne pas la jeter à la rue, de penser aux enfants.
-Les enfants sont bien assez grands a-t-il dit et un homme a ses raisons.
L’homme « touzour » sapé comme le surnommait-on n’en avait que faire.
Ah petite fille, choisie donc avec dextérité et clairvoyance l’homme avec qui tu partageras demain ta vie.
Mais je pense que ton père sera toujours là pour te défendre... il semble bien tenir à vous. Elle ne comprit cependant pas un traitre mot de cette phrase, mais semblait partager la peine de cette inconnue.
Ainsi, nous restions dans un coin, impuissant à regarder. Et Avant la fin de la journée, toute trace de ma mère disparue, elle était partie, sans nous hélas car notre père s’y était farouchement opposé. Je ne la reverrai que seize ans plus tard.
Entre temps, je n’avais pas compris que madame Dija mon institutrice ne serai plus une pour moi, pas seulement parce qu’elle avait convaincu mon père de me déscolarisé sous prétexte que je lui faisais honte, mais parce que cette dernière était devenue ma belle-mère. Dire qu’elle remplaça ma mère sera trop dire car les coups iront de pair. Non, telle une succession, nous avions hérité de cette haine incommensurable et insensée que notre père ressentait à l’égard de notre mère. Il nous maltraitait aussi.
J’étais tenté de dire que s’il avait une idée de la douleur de l’enfantement, la clémence aurait pu être de mise.
Mais aucune chance ! Nous devenions trop lourds à porter pour mon père. Ainsi, Coup sur coup, j’étais devenu le vaurien dont il avait fait arrêter la scolarité, lui un enseignant ? Quel paradoxe ! Mes frères et moi avions maigri à vue d’œil, souvent nous raclions les marmites pour pouvoir calmer notre faim. Ma belle-mère de son côté ne ménageait aucun effort pour monter de toute pièce des mensonges sur nous pour ensuite se délecter de notre souffrance.
Et un jour, calciné par la faim. Je pris innocemment une boule de mil et la remis au petit Souley. Malheureusement des comptes eurent lieu cette nuit et ma belle-mère cria au vol ! Nous étions terrorisés mes frères et moi. Quand mon père arriva, j’avais cru voir chez lui une once de compassion. Mais Aminata lui lança un regard dédaigneux.
Et d’un coup sec il brisa une lampe sur mon crâne, je poussais un hurlement et une violente douleur me fit perdre connaissance durant un instant. Sa fierté était sauve, mais à quel prix ?
On me versa de l’eau et je repris mes esprits, je marchais à quatre pattes afin de m’adosser à un mur. Quelque chose coulait le long de ma tempe, j’avais chaud et froid en même temps. Ce n’était pas de l’eau, mais du sang !
Ma tête retombait toute seule et c‘est à ce moment que j’ai senti sur moi les petites mains de Mamadou suivies de sa petite voix qui me tenaient la tête et d’une certaine manière le cœur.
Fuir ou périr ? Voilà donc une grande question dont la complexité n’avait pas su me retenir.
Et c’est ainsi que je pris le nord, réconforté par l’idée que ma mère sera sûrement au village prochain.
WAHALA était loin à présent. Il n’y avait pas de doute, l’exil était bien plus doux pour moi que le cœur de mon père.
Quand j’arrivais au village prochain après 2jours, j’étais à l’article de la mort. C‘est ainsi que je fus accueilli et nourri par une vielle femme du nom de Inna. Je devins comme son fils. Tous les matins j’allais au marché vendre des légumes qu’elle prenait le soin de cultiver dans son arrière-cour.
Lentement, les années passèrent et j’étais devenu fort et vigoureux, j’avais 21ans.Une remarque viendra changer le cours de ma vie.
Un matin, un homme s’arrêta devant moi et me dit ceci : « mon garçon, tu ressembles beaucoup a un ami à moi, il est instituteur à WAHALA ». Mon sang fit un tour. Mon père avait fini par me retrouver.
Dois-je fuir encore ?je pensais à mes frères que j’avais abandonnés, pourquoi ai-je cessé de chercher ma mère ? Je courus me réfugier chez ma vieille Sofoua. Cet homme fini par me retrouver, il ne me connaissait pas et n’avait jamais eu vent des événements antérieurs.
Par contre, il connaissait la famille de mon père, dont la majorité habite à la capitale. Et d’ailleurs qui ne les connaissaient pas, car ils sont riches et influents. Après une longue discussion, charmée, je décidais de le suivre à la capitale. Inna, chère à mon cœur, si j’ai survécu, c’est grâce à toi. Que dieu te le rend au centuple dans ta nouvelle demeure.
Voilà comment j’ai atterri en ville, ou j’ai dû me battre pour pouvoir prétendre à un semblant de vie.
A présent, j’ai 35ans, quelques années plutôt j’économisais enfin de l’argent et rendis visite à ma mère dans la région de ROUA à 474,9km de WAHALA. Apres sa terrible mésaventure, c’était là qu’elle trouva asile. Aujourd’hui elle est sereine.
Mais ma mère ne s’est jamais remariée.
De mon côté je suis chef maçon et j’ai rencontré une magnifique femme du nom de Astou, elle a accepté d’épouser le bougre que je suis, nous avons deux filles que je chéris plus que tout, je ne deviendrai jamais comme mon père... quant à mes frères, ils ont poursuivi leurs études et sont devenus de grands monsieur. A côté d’eux j’ai l’aire d’un paysan mais qu’à cela ne tienne.
Et à mesure que le temps passe, je ne suis plus sale et abandonné lors des réunions de famille, j’étais plus tôt au 3ème rang, je n’avais pas à me plaindre.
Cependant, la seule fois où on se dispute ma femme et moi, c‘est lorsqu’elle aborde le sujet de mon père.
-J’arrêterai de lui en vouloir le jour où cette cicatrice disparaitra du haut de mon crâne dis-je. Il m’a marqué à vie physiquement et psychologiquement.
Ce dernier vivait à présent à la capitale chez Modou mon frère, en raison de l’insécurité.
Mon père souffre d’une hypertension aigue qui le cloue au lit depuis des années. Dija est toujours mariée à lui mais les deux affichent des visages ronger par la culpabilité, j’appris que mon père ne s’est jamais pardonné mon départ, pendant des années il crut que j’étais mort. Ne pas lui rendre visite, l’empêché de rencontrer ses petits-enfants, était mon châtiment pour lui.
Mais le bruit court que le temps efface tout.
-ce n’est pas mon cas dis-je.
Cependant, je décide de lui rendre visite afin de lui montrer l’homme que suis devenue. Ma femme choisit ma plus belle chemise. Celle que je portais pour les mariages, et invitations à l’occasion. Elle avait ces plis qui disaient : « j’ai réussi », c’était le gamin de 14ans qui guidait mes pas. J’enfourche ma moto et m’y rendis le cœur battant. La chambre est froide, et mal éclairée. Quelques plats gisent un peu partout sur le sol, la famille a sûrement pensé à lui apporter à manger comme il est de coutume à KOKARI J’ai passé le Salam et trois heures plus tard, nous voici entrain de rire, la haine a laissé place à quelques choses de plus agréable je ne saurai dire quoi. J’appelai ma femme à la hâte et lui demanda de venir avec les filles, j’avais ce rire idiot d’un enfant amoureux de 14ans. Voilà donc la force des liens de sang !
Le 6 décembre 2018, mon père a succombé à la maladie, je garde en mémoire ce moment ou il disait : « Abacar, je n’ai pas été juste envers toi, penses-tu pouvoir me pardonner un jour ? »
Il est vrai qu’une mère porte l’enfant en elle durant neuf mois. Mais les pères les portent à leurs tours durant toute leur vie. Les enfants quant à eux porteront leurs parents à la seconde où une certaine prise de conscience viendra leur caresser la tête... avec ou sans cicatrice et ce, jusqu'à la mort.
Et dit-moi donc, qui sommes-nous pour juger nos parents ?
Et c’est ainsi qu’à la fin, on finit par aimer ceux qu’on a tant détesté.