Ma couche était rêche ce matin. Je me redressais et restais un moment les bras sur les genoux à réfléchir. Mon bokken trônait à mes côtés. Je saisis ce sabre en bois dédié à mon ... [+]
Assis dans la salle d’attente, Jan se remémorait les événements qui l’avaient conduit à franchir le seuil du Docteur Lancre.
Sa maladie le rongeait, il ne pouvait pas s’en isoler, impossible. Chaque passage qu’il empruntait et ayant la capacité d’être refermé derrière lui, devait l’être. Il ne pouvait s’en empêcher. Si une personne le suivait, il devait attendre qu’elle soit passée, pour s’assurer que tout était bien clos. Alors, à la sortie du métro, s’il était bondé, cela devenait une farce et hier soir cela avait été une horreur. Un flot discontinu de voyageurs.
Que la vie était simple chez lui, des rideaux faisaient office de « cache regard » entre les pièces. Ils masquaient aussi bien l’odeur que le bruit, de par leur duvet moelleux. Nul besoin de ce système archaïque, qui n’empêcherait pas quelqu’un de nuire à un autre, tout solide qu’il était. Il avait poussé un soupir de soulagement, devant sa télé, un paquet de chips à la main; repensant à son travail et à ces locaux qui (bien qu’aménagés en sa faveur due à son ancienneté) comprenaient de nombreux et maudits passages munis d’une poignée.
À peine rentré, il avait pris la carte de visite (accrochée par une amie pleine de bonne volonté) et rappela le Docteur Lancre, psychiatre et hypnotiseur. Un désistement inopiné lui assura le rendez-vous du lendemain.
L’horloge sonna sept coups. Un grincement significatif le força à se lever. Le docteur Lancre vint l’accueillir et l’emmena dans son bureau, lui proposant un fauteuil.
« Vous ne fermez pas? Lui demanda Jan.
— Je n’attends plus personne, mais si cela vous rassure, je ferme.
— Oui, merci, à vrai dire, je reviens à ce sujet.
— Très bien, vous allez m’expliquer tout ça, l’heure est à vous.»
Ils commencèrent leur entretien, Jan lui rafraîchit la mémoire, lui expliquant pourquoi il n’était pas revenu, lui parlant de sa phobie. Le médecin lui posa quelques questions sur ses évolutions récentes, se peignant un tableau de sa personne pour pénétrer plus profondément dans son être. Finalement il lui dit: « Voulez-vous essayer l’hypnose Jan?
— Vous pensez que cela peut fonctionner sur moi? dit-il dubitatif.
— Après tout, pourquoi pas, vous n’êtes pas quelqu’un de fermé. »
Installé sur un épais matelas, il se laissa bercer par la voix confortable. Replongeant dans un passé oublié. Il était dans son appartement, enfant, jouant avec son frère à cache-cache. Ce dernier s’était enfui dans le couloir et montait vers les combles. Il le suivit dans le débarras, il le vit le regardant à travers la fissure de la mansarde, son oeil grossissant, prenant de plus en plus d’espace. La cloche sonna une fois. Il se redressa d’un coup. Le médecin eut l’air surpris.
« Ça va Jan?
—Oui, oui, je crois.
— Qu’avez-vous vu?
— Mon frère, qui courrait dans l’appartement. Il hésita, plus très sûr de ce qu’il s’était passé.
— Et que faisait-il?
— Il se cachait, dans la mansarde. »
Le diner avalé, Jan s’assit sur son canapé. C’était le soir d’Halloween et ses voisins étaient visiblement entrain de le fêter. Il voulut en avoir le coeur net, prit une lampe. Sorti dans le couloir, monta le petit escalier jusqu’aux combles inhabités. Entra dans la mansarde et se fit un chemin à travers les cartons et meubles inutilisés, des locataires de l’immeuble. Il s’attendait à voir une fissure au fond de la pièce, mais il n’en était rien. « Une porte » dit-il surpris. À peine eut-il prononcé ces mots qu’un oeil doré pendouillant à des fils en or s’ouvrit sur la surface en chêne. Jan s’avança et, comme mû par une force extérieure, saisit l’oeil et frappa une fois sur la surface. Le son résonna, les paupières s’ouvrirent, les gonds grincèrent.
—
Quelques semaines plus tard, un courrier de l’hôpital psychiatrique local arriva dans la boîte à lettres du Docteur Lancre.
Cher confrère, je crois savoir que le dénommé Jan Ghen a été votre patient. Il est actuellement interné dans notre établissement. Il répète sans arrêt une phrase dont le sens nous échappe. « N’ouvre pas à celui qui nous regarde, ne prononce pas le nom de ce qui le retient». Si vous avez une idée de la signification de cette phrase, ou voulez rendre visite à ce jeune homme, n’hésitez pas à passer à notre établissement. Par ailleurs, il n’a aucune famille à notre connaissance, si vous avez des informations quant à l’existence de ses proches, je vous serez grée de me les transmettre.
Docteur Auguste Pilastre
Lancre revêtit sa toge et franchit la porte cachée dans la bibliothèque de son bureau. Ils étaient une dizaine autour d’une table, il prit la parole : « mes frères, l’invocation a échoué. Mais n’ayez crainte, la porte s’ouvrira. »