Un combat singulier

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Image de Portez haut les couleurs ! - 2020

1170. Le Centre de la France, plus précisément un village à une centaine de kilomètres au sud de Paris. Saint-André-des-Bois compte environ deux cents habitants dont la plupart sont de simples paysans qui travaillent pour l'abbaye de Fleury, à laquelle ils sont assujettis.
Leur vie se déroule au rythme des saisons : semailles et moissons, sans oublier la culture de la vigne. Même le plus humble d'entre eux sait que le vin, issu des raisins de son village, a acquis une grande réputation dans toute la province.
Et puis, jouxtant le village, il y a la forêt... l'immense forêt des Loges, réserve giboyeuse, mais destinée aux nobles. Contre rétribution, les paysans ont juste le droit d'y faire paître leurs porcs ou d'y ramasser du bois mort.
Certes, Saint-André peut s'enorgueillir de la tenue de deux pèlerinages très fréquentés. Toutefois, en ce mois d'octobre 1170 va se dérouler un spectacle à peine croyable pour cette bourgade : un tournoi entre chevaliers. Tous les alentours ne bruissent que de cette nouvelle. C'est une lubie du seigneur du château de La Tour. À l'imitation des Grands du royaume, il veut organiser dans son fief un événement qui fera date... et qui, par la même occasion, accroîtra sa propre renommée.

Un champ clos a été aménagé au milieu du village, des estrades construites pour le public venu nombreux et, un peu à l'écart, des tentes pavoisées permettront aux chevaliers de se reposer entre deux épreuves.
Avant le début du tournoi, un héraut présente chaque concurrent : nom, titres et lignage. Parmi les prétendants au titre, un des chevaliers dénote. D'abord par son aspect : quand il s'est avancé face au public, des ricanements ont fusé.
— Seigneur de Villevaude !
La visière relevée de son heaume laissait entrevoir les traits fins d'un tout jeune homme et malgré son armure, on devinait un corps fluet.
— Attention jouvenceau ! Quand les naseaux du cheval d'en face vont souffler, ça va t'envoler !
— Eh, gamin ! Retourne donc jouer aux chevaux de bois et laisse les vrais hommes entre eux !

Le chevalier resta impassible. Il retourna se préparer, les rênes de son cheval étaient tenues par un écuyer qui, autre singularité, n'était pas un jeune page, mais un homme d'âge mûr. Enfin son bouclier arborait une étrange devise « Si tous, moi pas » et des symboles peu communs : séparés par une bande oblique noire, lunes et soleils dorés parsemaient un fond azur.

Les duels tant attendus débutèrent. Un héraut était posté en bord de piste pour en assurer la régularité. Il avait été décidé que ce serait un combat « à plaisance », avec une lance émoussée pour ne pas blesser ou tuer. Un décompte de points déterminerait le vainqueur.

La frêle stature de Villevaude, dont on s'était tant moqué, semblait être un avantage. Il n'avait pas son pareil pour se baisser, autant que son armure le permettait, et esquiver les coups de son adversaire. Lorsqu'il attendait son tour de concourir, il se penchait vers son écuyer qui semblait intarissable et faisait de grands gestes.
Plus les duels se succédaient, plus Villevaude s'enhardissait et prenait de la vitesse. Et si on voyait bien que les muscles de son bras peinaient à tenir la longue lance sans trembler, lui et son cheval paraissaient voler plus que toucher le sol. À chaque passage, il heurtait avec le plus de force possible le bouclier ou l'armure adverse ; à chaque passage, il augmentait son nombre de points.

La journée tirait à sa fin. Le héraut, commis à cet office, faisait scrupuleusement les comptes afin de connaître les deux finalistes. Sans surprise, on retrouva Villevaude, opposé un concurrent pugnace, le chevalier de Marigny. La tension était à son comble et les trompettes sonnèrent pour ajouter en solennité. À l'œil nu, le seigneur de Marigny était deux fois plus large d'épaules que son opposant : l'issue du combat faisait peu de doute... Qu'importe, au signal donné, Villevaude éperonna son cheval, mais sans excès. Juste avant la confrontation, il se baissa pour parer au coup adverse et on entendit une voix aiguë, qui venait du fond de ses entrailles : « ainsi, je frappe ! » Cela ne dura que quelques secondes, mais Marigny en fut interloqué. Villevaude en profita pour percuter son armure et le désarçonner.

Le « freluquet » avait donc terrassé le massif Marigny. Normalement, le combat aurait dû s'arrêter là, mais ce dernier, humilié de se retrouver à terre, se releva et dégaina son épée. Alors que rien ne l'y obligeait, Villevaude descendit de cheval, planta sa lance dans le sol et en fit de même. Si le premier était revanchard, le second, tenant son épée à deux mains, virevoltait autour de lui comme un moustique. La fougue et l'inconscience de la jeunesse l'emportaient sur la force et l'expérience. Quand les fers se croisèrent encore une fois, dans un ultime effort et un cri de rage, Villevaude renversa Marigny et celui-ci se retrouva étendu, une épée pointée à la hauteur de la gorge.
Le héraut arriva en courant et cria :
— Cessez le combat Villevaude ! Vous êtes notre champion !
— Ne craignez rien, je ne voulais pas occire mon valeureux adversaire, mais simplement signifier ma victoire, fit une toute petite voix.

Un tonnerre d'applaudissements rompit le silence et quelques minutes plus tard, le seigneur de La Tour s'apprêtait à remettre sa récompense au vainqueur, une rondelette somme d'argent. Toujours accompagné de son écuyer, Villevaude s'avança vers lui et s'inclina. C'est alors qu'il enleva son heaume, provoquant un cri de stupéfaction. Villevaude était bien une personne aux traits fins, mais dotée d'une longue chevelure blonde qui ne laissait aucun doute sur son identité.

Le seigneur de La Tour sentit la tête lui tourner.
— Qu'est-ce donc que tout cela ? demanda-t-il d'une voix blanche.
L'écuyer prit alors la parole :
— Je me présente. Je suis le Seigneur de Villevaude et voici ma fille Ermeline, qui a eu l'honneur de concourir devant vous aujourd'hui.
À ce moment le rejoignit un chevalier à l'armure identique.
— Et voici mon fils Guillaume. C'est lui qui s'est présenté tout à l'heure devant vous. Je savais que vous refuseriez la participation d'une damoiselle.
— Comment avez-vous pu ? s'étrangla le seigneur de La Tour
— Ma chère et tendre épouse est morte en mettant en monde ces jumeaux. Je les ai élevés du mieux que j'ai pu et je n'ai pas négligé de donner à Ermeline l'éducation qui sied à sa condition de femme. Cependant, il existe un lien indéfectible entre jumeaux. Ce que j'apprenais à Guillaume, Ermeline voulait le faire aussi. J'ai vite remarqué ses prédispositions quand elle joutait avec lui. C'est pourquoi j'ai voulu qu'elle participe à ce tournoi.

Un silence total régnait dans le champ clos. Le seigneur de La Tour regarda le héraut, garant de la bonne tenue du tournoi. Celui-ci toussota légèrement avant s'exprimer :
— Dans le règlement, rien ne dit que la gente féminine peut jouter... mais... rien non plus n'est écrit concernant son interdiction. Donc, si Monseigneur le veut bien, et au vu des qualités dont a fait preuve Villevaude, je propose qu'on le... qu'on la déclare championne de ce tournoi.
De La Tour, pensa soudain au profit qu'il pourrait tirer de cette situation inédite : en France, il serait le premier à récompenser une damoiselle.
Alors qu'il lui remettait son prix sous les vivats de la foule, Ermeline dit :
— Merci de votre geste, Monseigneur. Vous avez vu en moi la compétitrice toute dévouée à son art, sans vous arrêter aux apparences. En joutant, j'ai voulu faire honneur aux valeurs inculquées par mon père : force, loyauté et honneur.

Qu'est devenu ce champ clos ? Après quelques recherches, il semblerait que, de nos jours, on y trouve un équipement sportif. Comment s'appelle-t-il donc ? Salle Robert Mauger ? Non. Gilbert Roger ? Que nenni ! C'est la salle Albert Auger ! Mais pour en être certain, il faudrait aller sur place et depuis le XIIe siècle, le village a changé de nom...

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